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Les conditions de la France pour rouvrir le Tombeau des rois

Christophe Lafontaine
24 décembre 2018
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Des juifs ultra-orthodoxes réclament l’accès au Tombeau des rois, à Jérusalem-Est, pour y prier. Pour l’heure, la France, propriétaire, refuse de peur que le site ne devienne que religieux et craint pour sa souveraineté.


Prières et protestations. Des juifs ultra-orthodoxes, rapporte le journal Haaretz, font monter la pression devant la porte du Tombeau des rois à Jérusalem-Est. Le site archéologique, sur lequel flotte le drapeau français, n’est pas ouvert au public. Ces dernières semaines, indique le quotidien israélien dans son édition du 21 décembre 2018, un petit groupe d’haredim (craignant-Dieu), dirigé par le rabbin Zalman Grossman de Jérusalem, a pris l’habitude de se mobiliser deux fois par semaine devant ce site archéologique remontant à la période du Second Temple qui abrite plus d’une trentaine de tombes monumentales, situé rue de Naplouse dans le quartier de Sheikh Jarah, près de la cathédrale anglicane Saint-Georges et de l’hôtel de l’American Colony.

Le nom du complexe funéraire fait référence aux premiers rois de Juda suite à une erreur historique. Aujourd’hui, quasiment tous les archéologues se rallient plutôt aux écrits de l’historien judéo-romain Flavius Josèphe (Antiquités judaïques, XX, 94-95) attribuant ce lieu de sépulture à celui de la reine Hélène d’Adiabène, royaume situé en Mésopotamie dans – peu ou prou – l’actuel Kurdistan. L’hypogée aurait été destiné aussi à sa famille. La reine s’était convertie au judaïsme vers 30 ans après JC. Le Talmud la loue pour sa piété rigoureuse et sa grande générosité vis-à-vis des juifs de Judée et de Galilée qui lui vouèrent une profonde admiration. Il y aurait aussi, selon la tradition juive mais sans preuve, les tombes de Kalba Savoua et Nakdimon Ben Gourion, deux très riches habitants de Jérusalem au Ier siècle ap.J.-C. qui furent de saintes figures du judaïsme antique. C’est pourquoi aujourd’hui encore, les juifs qui manifestent considèrent ce lieu de sépulture, comme un lieu saint, explique le quotidien israélien.

« Bien qu’il soit tout à fait clair qu’il était secondaire par rapport au site sacré voisin, la grotte de Shimon Hatzadik (ndlr : Siméon le Juste, grand prêtre de Jérusalem sous Alexandre le Grand) », précise le journal, les juifs ultra-orthodoxes en revendiquent l’accès. D’où leurs manifestations, de surcroît soutenues par les factions israéliennes de droite, le ministère israélien des Affaires religieuses, le grand rabbin de Jérusalem, Shlomo Amar. Sans compter l’appui du rabbin du Mur occidental, Shmuel Rabinovich dont le bureau, cité par Haaretz, a précisé la position officielle : « en vérité, le site est un lieu saint pour les juifs. À cette fin, le rabbin agit avec la plus grande sensibilité afin que le site offre également un accès gratuit à la prière juive et que son caractère et sa sainteté soient préservés. » Le hic, c’est que le gardien palestinien de la porte d’entrée joue parfaitement son rôle de cerbère et renvoie les manifestants vers le propriétaire des lieux : la France. Le site est l’un des quatre domaines français à Jérusalem (les autres sont l’église du Pater Noster (ou de l’Eleona) sur le Mont des oliviers, l’église Sainte-Anne de Jérusalem, et l’Abbaye bénédictine d’Abou Gosh).

L’Hexagone, ces dernières années, a financé à hauteur d’environ 900 000 euros de lourds travaux de restauration en vue d’une ouverture au public du Tombeau des rois.

Discussions en cours

Selon Haaretz, le consulat général de France à Jérusalem qui administre le lieu, craint à l’instar de l’Autorité des antiquités israéliennes, favorable – elle aussi – à son ouverture, que le site archéologique une fois accessible au public, en faisant partager au Tombeau des rois « le même sort » que de nombreux autres sites historiques de la ville qui sont passés de simples sites archéologiques et touristiques à des sites purement religieux. Notamment dans la vieille ville de Jérusalem. Des faits qui ne sont d’ailleurs pas à imputer aux seuls juifs ultra-orthodoxes. Un exemple parmi d’autres, les chrétiens évangéliques ont pris leurs habitudes devant les portes de Hulda et sur les grandes marches de l’escalier qui permettaient l’accès au sud de Temple.

D’autre part et ce n’est pas la moindre, la France pour éviter de faire entrer la flamme dans la casserole veut se prémunir d’une occupation des lieux qui pourrait mettre à mal sa souveraineté. Qui plus est à Jérusalem-Est, ce qui pour la France, « engendrerait de graves complications politiques avec les Palestiniens », soulève Haaretz.

C’est dans ce sens, rapporte le quotidien, qu’après avoir annoncé au ministère des Affaires étrangères israélien, en septembre 2018, que les travaux étaient terminés et qu’il était désormais possible de rouvrir le site, que le consulat a posé deux conditions : « premièrement, qu’Israël reconnaisse officiellement la propriété française du site et deuxièmement, qu’ils soient assurés qu’aucun nouveau procès ne soit intenté contre eux ». Comme ce fut le cas en 2015.

Pour l’heure, d’après Haaretz, « les représentants du ministère des Affaires étrangères ont indiqué que des discussions à ce sujet étaient en cours. En attendant, l’endroit reste fermé et les manifestations ont repris. »

Un litige de longue date

La demande des ultra-orthodoxes qui les oppose à la France ne date pas d’hier. Entre judaïsme, histoires de familles, diplomatie, on a à faire à un véritable imbroglio qui a démarré en 1863. A cette date-là, des juifs avaient contesté la toute première fouille officielle des tombes ancestrales qui avait reçu l’aval des autorités ottomanes. Les juifs reprochaient à Félicien de Saulcy, un archéologue français, de déterrer des ossements juifs et de profaner ainsi le lieu.

Suite à plusieurs manifestations publiques, les fouilles furent finalement suspendues. Une douzaine d’années plus tard, en 1878 une juive française, Berta Amalia Bertrand, une richissime philanthrope, réputée pour être très religieuse, apparentée aux frères Pereire, les célèbres banquiers, se porta acquéreuse du complexe funéraire. Elle déclara alors n’avoir « d’autre but que la conservation de cet antique et vénérable monument. (…) C’est en souvenir de mes ancêtres que je veux préserver de toute profanation le tombeau des Rois d’Israël. » Il fut alors spécifié en présence du grand rabbin de Paris que le terrain avait vocation à rester propriété de la communauté juive. Mais par les aléas de la bureaucratie notariale et des péripéties en matière de succession, l’un de ses héritiers, Henry Pereire, donna le site à la France en 1886 (selon la loi ottomane en vigueur, il fut en fait remis directement au consul de France). Le site fut alors et ce, jusqu’à aujourd’hui, administré et entretenu par le consulat de France à Jérusalem, qui a parrainé ces dernières années un festival annuel de musique arabe avec l’organisation culturelle palestinienne Yabous. Face à cela, devant l’impossibilité pour les juifs de venir s’y recueillir, c’est ce qui aurait conduit en 2015, deux juifs, Yitzhak Mamo et Yaakov Saltzman, à intenter puis gagner un procès via le tribunal rabbinique contre la France pour occupation d’un lieu saint du judaïsme. Mais le ministre des Affaires étrangères israéliens a fait savoir à la France que, conformément à la Convention de Vienne (1961), le tribunal rabbinique n’avait pas de pouvoir sur les employés du consul. Le procureur général israélien s’est également rangé du côté des Français Les Français ont ensuite annoncé la fermeture du site pour travaux de rénovation. Sa réouverture dépend aujourd’hui des garanties que l’Etat d’Israël donnera à la France.

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