L’Eglise grecque-orthodoxe de Jérusalem serait soumise à de fortes pressions pour reconnaître la nouvelle Eglise orthodoxe d’Ukraine. Séparée de Moscou, elle a été officialisée par le Patriarche de Constantinople.
Des représentants de la nouvelle Eglise orthodoxe d’Ukraine (OCU), dont l’institution a été fortement encouragée politiquement par le gouvernement ukrainien, avaient envisagé de se rendre à Jérusalem pour fêter la Théophanie (l’Epiphanie chez les orthodoxes), le 19 janvier.
Cependant à l’heure actuelle, cette Eglise – répercussion de la crise ouverte entre la Russie et l’Ukraine dans la sphère religieuse – n’est en communion qu’avec le Patriarcat œcuménique de Constantinople qui lui a accordé l’autocéphalie.
Le monde orthodoxe était organisé jusqu’ici en 14 Eglises indépendantes, dites autocéphales. Il faut savoir que les Eglises orthodoxes canoniques autocéphales, indépendantes sur le plan juridique et administratif, sont unies les unes aux autres par la confession d’une foi commune et une reconnaissance réciproque. Pour manifester cette unité dans la foi, lorsque le primat d’une Eglise autocéphale célèbre la Divine Liturgie (on ne dit pas « messe » chez les orthodoxes), il mentionne les noms des primats des autres Eglises autocéphales. Ainsi, les Eglises autocéphales orthodoxes sont naturellement appelées à décider de reconnaître ou non la nouvelle Eglise orthodoxe d’Ukraine.
Or, les Ukrainiens sont très nombreux à se rendre en pèlerinage en Terre Sainte. Par conséquent, l’Eglise grecque-orthodoxe de Jérusalem, faisant partie des Eglises orthodoxes canoniques autocéphales, subit de sérieuses pressions pour recevoir les hiérarques (prêtres) de la nouvelle Eglise établie à Kiev et pour concélébrer avec eux. Ce qui vaudrait reconnaissance.
Le monde orthodoxe déchiré
Jusqu’alors, le Patriarcat grec-orthodoxe de Jérusalem, gardien des lieux saints au nom des orthodoxes, n’avait guère accepté de recevoir le clergé de la nouvelle Eglise d’Ukraine. Cependant, la Théophanie approchant, s’est posée la question de savoir si le patriarche de l’Eglise grecque-orthodoxe de Jérusalem, Theophilos III, concélèbrerait avec les représentants de la nouvelle Eglise. Aux dires d’une source interne du Patriarcat de Jérusalem, citée la semaine dernière par la rédaction du site orthodoxie.com, la pression en ce sens aurait été « intense ». Notamment de la part d’Israël (dont les relations diplomatiques avec l’Ukraine sont très bonnes), des Etats-Unis qui ont déclaré apporter « un support sans faille à l’Ukraine », et du Patriarcat de Constantinople qui a confirmé formellement la création d’une Eglise ukrainienne indépendante de Moscou. Provoquant la colère de l’Eglise russe qui a dénoncé un « schisme » et dont les liens sont rompus avec Constantinople depuis le 15 octobre 2018.
Il faut dire que la décision est lourde de conséquences sur l’influence du Patriarcat de Moscou dans le monde orthodoxe. Les orthodoxes d’Ukraine représentent en effet environ un tiers des biens et des communautés religieuses de l’Eglise russe. Après la décision de Constantinople, les communautés et les prêtres en Ukraine vont devoir choisir leur allégeance. Sachant que l’alignement du patriarche de Moscou, Kirill, sur le pouvoir politique incarné par Vladimir Poutine va sans doute pousser de nombreux fidèles ukrainiens à s’éloigner de Moscou et à rallier le Patriarcat de Kiev depuis l’annexion de la Crimée, notamment.
Cette séparation cristallise donc une lutte d’influence dans le monde orthodoxe sur le plan symbolique comme stratégique entre le Patriarcat de Constantinople, qui jouit d’une primauté d’honneur (au nom de son ancienneté) et le Patriarcat de Moscou, plus influent (du fait de son nombre) sur les autres Eglises orthodoxes.
Pour bien comprendre la crise, il convient de retenir que l’Eglise orthodoxe d’Ukraine est devenue la 15ème Eglise autocéphale orthodoxe en janvier dernier, après que le patriarche œcuménique de Constantinople, Bartholomée Ier, lui a accordé le « tomos », c’est-à-dire l’indépendance canonique. Le 15 décembre 2018, un concile avait en amont réuni deux Eglises non canoniques séparées de l’Eglise orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Moscou au cours du XXème siècle. Il s’agit donc principalement d’une fusion entre d’une part l’Eglise orthodoxe ukrainienne-Patriarcat de Kiev (UOC-KP) autoproclamée en 1992 après l’indépendance de l’Ukraine créant un schisme avec l’Eglise orthodoxe ukrainienne-Patriarcat de Moscou (UOC-MP) rattachée canoniquement au dit Patriarcat depuis 1686, et d’autre part l’Eglise orthodoxe autocéphale ukrainienne (UAOC), minoritaire, proclamée par une loi en 1919.
On l’aura compris, l’Eglise orthodoxe ukrainienne-Patriarcat de Moscou a rejeté le concile de décembre dernier. Ce qui fait qu’aujourd’hui l’Ukraine compte deux Eglises. L’une dite loyale à Moscou, dirigée par le métropolite, Onuphre de Kiev. L’autre dite ukrainienne nationale, il s’agit de l’Eglise orthodoxe d’Ukraine (OCU), dont le métropolite Epiphane est à la tête.
Finalement, le 19 janvier, les représentants de la nouvelle Eglise dont le métropolite Alexander Drabinko, ancien évêque de l’Eglise canonique ukrainienne, figure de proue de la nouvelle Eglise orthodoxe d’Ukraine ne se sont pas rendus à Jérusalem comme ce que d’aucuns avaient annoncé. Alexander Drabinko a en effet célébré la Théophanie à Kiev (Ukraine), d’après orthochristian.com. Le patriarche grec-orthodoxe de Jérusalem, Theophilos III, n’a donc pas concélébré la Théophanie avec des représentants de la nouvelle Eglise d’Ukraine, au Saint-Sépulcre, rapporte le même site, appuyant ses propos par une vidéo.
Pas encore de déclaration officielle de la part de Jérusalem
Si les faits sont ce qu’ils sont, il n’en demeure pas moins que la problématique subsiste car le Saint-Synode du Patriarcat grec-orthodoxe de Jérusalem n’a encore fait aucune déclaration officielle sur la crise des Eglises ukrainiennes. On retiendra seulement que Théophilos III a soutenu plusieurs fois ces derniers mois l’Eglise canonique ukrainienne rattachée à Moscou et son primat, le métropolite Onuphre. Notamment, juste avant que l’Etat ukrainien ne fasse appel à Constantinople fin avril 2018 afin d’obtenir l’autocéphalie, Théophilos III avait alors rencontré une délégation ukrainienne en Terre Sainte, exprimant sa conviction que le métropolite Onuphre, primat de l’Eglise orthodoxe d’Ukraine-Patriarcat de Moscou était le seul à pouvoir faire face à la situation difficile dans laquelle se trouvait actuellement le peuple ukrainien.
De plus, d’après le site orthochristian.com, « on peut dire qu’environ 80% des hiérarques du Patriarcat de Jérusalem soutiennent en principe la position de l’Eglise orthodoxe ukrainienne canonique et de l’Eglise orthodoxe russe. »
Le 10 janvier 2019, le métropolite Hilarion de Volokolamsk (Russie), chef du département des relations extérieures du Patriarcat de Moscou, était venu en Terre Sainte et avait rendu visite à Théophilos III. Un communiqué du Patriarcat de Moscou a rapporté au terme d’une réunion d’1h30 que « les parties ont discuté d’un large éventail de questions d’intérêt commun. Ils ont notamment abordé la situation des chrétiens au Moyen-Orient, diverses questions relatives aux relations bilatérales entre les Patriarcats de Jérusalem et de Moscou et les problèmes à l’ordre du jour des relations entre orthodoxes. » Une rencontre pouvant être considérée comme une tentative de gagner Theophilos III à la cause du Patriarcat de Moscou.
A son tour, le président ukrainien, Petro Porochenko, en voyage officiel en Israël depuis hier jusqu’à aujourd’hui, prévoyait de rencontrer le patriarche Theophilos III. Nul doute qu’il voulait essayer de convaincre le Patriarche grec-orthodoxe de reconnaître l’autocéphalie de la nouvelle Eglise orthodoxe d’Ukraine. La visite n’a finalement pas eu lieu, a rapporté le 21 janvier une source proche de la délégation ukrainienne, dont s’est fait l’écho orthochristian.com. Officiellement, pour raison de santé.
Toujours entre deux feux, le Patriarcat grec-orthodoxe de Jérusalem voit la pression augmenter jour après jour à l’heure où l’Ukraine arrive dans le top 10 des pays qui viennent visiter la Terre Sainte.
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