Sur la route de Jérusalem à Taybeh, au niveau de Bir al qalah, je constate l’avancée des travaux de voirie. Les Israéliens ont aménagé un nouveau rond-point, bienvenu quand on sait combien ce croisement sans feux tricolores était encombré et chaotique. Ils ont aussi aménagé un petit tunnel pour ceux qui veulent poursuivre directement sur la route 60. Dans la voiture, une Palestinienne commente les facilités faites aux colons pour leurs allers et venues. Je lui fais remarquer que les Palestiniens qui empruntent cette même route en bénéficieront également et que tout pays dont la population – et corrélativement la circulation – augmente doit procéder à ce type de développements structurels. Il est vrai que les paysages s’en trouvent bouleversés, pas seulement du fait de l’élargissement des routes mais des maisons qui se construisent partout. La nature perd du terrain. La carte géographique de la Palestine se réduit comme peau de chagrin.
Je pense à cette discussion en devisant avec une collègue journaliste sur la mélancolie qui semble affecter tous les habitants d’ici. C’est comme si tout le monde se languissait à ne rêver que du passé. Les Israéliens prétendent être retournés sur leur terre, se référant plus ou moins explicitement à un royaume d’Israël qui exista durant deux siècles il y a quelque 3000 ans. Les Palestiniens rêvent de la Palestine perdue, celle d’avant 1948, en voulant oublier qu’elle ployait sous d’autres bottes. Les pèlerins cherchent la terre de la Bible.
À ne vivre que dans le passé, à ne rêver que de passé, ne désenchantons-nous pas nos rêves d’avenir ? Ne sommes-nous pas tous devenus des orientalistes, condamnés à se représenter les traits d’une terre qui n’est plus et n’a peut-être jamais été à la hauteur de l’idéal qu’on s’en fait ?
N’est-ce pas là la source de cet épuisement mental ? Les gens d’ici se sont réinventé un mythe de Sisyphe. Éternellement condamnés à porter vers les cimes un passé attiré par sa propre pesanteur, ils en oublient de se bâtir un avenir, préférant ressasser avec leurs chimères, leurs rancœurs réciproques. Quel est le grain de sable qui pourra bien venir gripper cette ennuyeuse mécanique ?
Je n’ai pas de réponse. Pas de réponse politique du moins. Et je ne lis pas dans les boules de cristal. Vous allez dire que c’est obsessionnel et vous aurez raison ! Mais en allant déposer les intentions de ce monde devant le tombeau vide, je tends toujours l’oreille pour entendre une nouvelle fois ces mots : “Il n’est pas ici, il vous précède en Galilée, c’est là que vous le verrez”. Le meilleur reste donc bien l’à venir avec celui qui est, qui était et qui vient.♦
Dernière mise à jour: 06/03/2024 14:09