Pèlerinages en Terre Sainte: les guides ne suivent plus
Être guide francophone en Terre Sainte représente aujourd’hui de plus en plus de contraintes et de moins en moins d’intérêt. Derrière la chance que représente leur profession, les guides dénoncent des situations qui se détériorent, le plus souvent au détriment de leur vie privée.
Tout est parti d’une lettre ouverte, rédigée par une quarantaine de guides francophones, Israéliens et Palestiniens ensemble (fait rare), à l’attention des directeurs de pèlerinage et des agences de tourisme en France et en Terre Sainte. En octobre dernier, ces guides ont adressé leurs revendications à leurs employeurs au sujet de leurs conditions de travail et de la difficulté qu’ils avaient à exercer convenablement leur métier. Leur situation se dégradant, ils se sont réunis selon les termes de la lettre “pour discuter et réévaluer certaines de ces conditions dans le but de pouvoir fournir le service désiré à nos clients et pèlerins, respectant les normes conventionnelles vis-à-vis des attentes de nos groupes sur les plans culturel et spirituel, tout en défendant nos droits qui ne sont malheureusement pas toujours respectés.”
“Nous nous rendons compte, poursuivent les signataires, que les programmes envoyés sont trop chargés, et ne tiennent pas compte du besoin du client d’absorber les lieux visités, ni des conditions climatiques et de l’âge parfois avancé de nos clients, ou des horaires des ouverture et fermeture de certains sites archéologiques ou religieux, ni de la circulation, et surtout ne tiennent pas compte de nos efforts supplémentaires pour les réaliser, au détriment de nos horaires de travail et donc de notre vie privée.”
Devant une situation qui se détériore de jour en jour, les guides francophones ont donc posé leurs revendications. En outre, dans leur lettre, ils demandent le respect des horaires de travail quotidien que la loi fixe à neuf heures, incluant une pause déjeuner d’une heure, la célébration de la messe, ainsi que des temps de prière, de méditation, de rencontre et toute activité en dehors de l’hébergement. Ils réclament aussi une tarification des heures supplémentaires qui en découleraient, ainsi qu’une prime pour le travail les jours de congé ou fériés en Israël ou Territoires Palestiniens suivant les confessions et nationalités des guides. Enfin, ils revendiquent un minima sur le pourboire selon le nombre de pèlerins que compte le groupe.
Une profession réglementée
Pour comprendre les difficultés du métier, il faut se pencher sur son fonctionnement. Le travail de guide est souvent un travail saisonnier. Le guide fonctionne en freelance, c’est-à-dire en qualité de travailleur indépendant. Son activité se fait donc sous la forme de missions qu’il ne peut exercer qu’en étant titulaire de la licence de guide en Israël. Licence qu’il obtient auprès du ministère du Tourisme après deux ans de formation et à renouveler au bout de deux ans. La plupart du temps, le guide est sollicité par une agence locale pour suivre un programme établi à l’avance par une agence de pèlerinage ou de tourisme basée en France. Mais “ces agences ont tendance à trop en demander, leurs programmes sont trop chargés et nous devons souvent leur expliquer que tout ne sera pas faisable”, explique Lena de l’agence Awad basée à Jérusalem. Car c’est en effet à des agences locales comme la sienne que revient le rôle d’organiser sur place les réservations d’hôtel, la location du chauffeur de bus et surtout la recherche de guide pour accompagner le groupe. Avec l’habitude et le bouche-à-oreille, les guides collaborent avec les mêmes agences. Leur rémunération journalière est de 240$ (210€), quelle que soit la nationalité, la taille du groupe ou le nombre de visites effectuées. Salaire sur lequel ils paient leurs charges et impôts. À cela s’ajoute un complément de salaire, tel que le “pourboire” ou les commissions dans certains restaurants et magasins de souvenirs.
Des groupes et des programmes trop exigeants
Le vrai problème qui se pose pour les guides francophones est celui des inégalités des conditions de travail. Mais en quoi seraient-ils lésés par rapport à leurs homologues anglais, espagnols ou italiens ? Il faut savoir avant tout que les groupes français ont tendance à avoir des exigences supérieures à leurs voisins européens ou à leurs amis américains outre-Atlantique. D’après Georges Safar, signataire de la lettre, les groupes français se caractérisent par des demandes spécifiques et des visites nombreuses. Des exigences qui ne leur rendent souvent pas service. “Par expérience, un pèlerinage français va multiplier les visites au détriment de temps de prière ou de méditation. C’est l’expérience spirituelle du pèlerin qui en fait les frais” explique-t-il. En outre, leurs homologues anglais, espagnols ou encore italiens travaillent donc pour le même revenu quotidien, mais avec des horaires bien plus légers et des compléments de salaire également plus intéressants. Ainsi, en moyenne, là où un Anglais ou un Espagnol travailleront 8 ou 9 heures par jour, le Français, lui, comptera près de 11 h de travail effectuées pour le même montant. Par ailleurs, le complément de salaire, c’est-à-dire pourboires et commissions, est également moins intéressant. Chez les Américains par exemple, il n’est pas rare de voir un guide percevoir jusqu’à 10$ (8,75€) par jour et par personne tandis que le guide francophone ne recevra en moyenne que 2$ (1,75€). Pourtant, “il est explicitement mentionné aux pèlerins avant le voyage qu’une somme de 5$ (4,40€) se doit d’être transmise au guide pour son service” souligne Lena. “Mais en réalité dans 90 % des cas, le montant n’est pas respecté”. Un constat que fait lui aussi Georges Safar qui estime que “les Français habitués au “service compris” ont perdu la culture du “pourboire””, faisant pâtir la part variable du revenu des guides.
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Les guides ne sont pas les seuls à pouvoir accompagner des groupes de pèlerins. Des prêtres, religieux ou consacrés (diacres, religieuses) mandatés par leur évêque et capables de constituer un dossier démontrant leurs compétences peuvent prétendre à demander “la carte verte”. Elle est délivrée par la Commission Épiscopale des pèlerinages de l’Assemblée des Ordinaires catholiques de Terre Sainte. Certes, un guide à la carte verte ne perçoit pas de rémunération, ce qui pourrait passer pour un bon point du point de vue des pèlerins. Mais tous n’ont pas les compétences techniques nécessaires pour mener à bien un groupe. D’après Lena, “il est toujours plus simple d’avoir un guide car en cas de problème il sait quoi faire”, d’autant qu’il parle au moins une des langues du pays. “En octobre, un de nos pèlerins est tombé et s’est cassé le pied, le guide nous a très vite contactés puis s’est organisé pour reprendre la visite avec le groupe”, raconte-t-elle.
La balle est donc dans le camp des agences françaises chargées de constituer les programmes en fonction de la demande de leurs clients, à savoir les pèlerins eux-mêmes. Et le cercle se révèle parfois vicieux. “Les agences en France se font concurrence, mais comme elles ne peuvent plus jouer sur les prix, elles jouent sur la densité des programmes pour attirer les clients” explique Georges Safar. “La situation est telle que certains guides anglophones que je connais ne veulent pas que l’on sache qu’ils parlent aussi français pour travailler principalement avec les Américains et bénéficier de meilleures conditions de travail”. Résultat, quand ils en ont l’occasion, les guides francophones préfèrent accompagner dans un autre langage au profit d’horaires réduits et de compléments de salaire plus intéressants.
Aujourd’hui, la situation semble compliquée. Les guides francophones sont devenus rares sur le marché touristique et ils souhaitent faire appliquer leurs revendications au 1er janvier 2019 (1). Avec plus de 10 h de travail quotidien, des journées contre-la-montre, des temps de pause maigres ou inexistants, la coupe est pleine. “Notre métier empiète sur notre vie privée, car au-delà de nos horaires, la fatigue nous casse nos fins de journée”. Davantage que la question du salaire, la solution semble être d’alléger les programmes ou de rallonger le séjour en Terre Sainte pour répondre à toutes les attentes. “Notre but n’est pas de faire de l’argent en plus mais simplement de faire respecter nos droits du travail”. Sur ces revendications, le guide sera-t-il suivi ?
(1) Tout en sachant qu’il faudra un temps d’adaptation pour que les nouvelles clauses soient appliquées.♦