Une église de la « zone tampon » qui sépare l’île de Chypre s’est écroulée après de fortes pluies. Dans une déclaration commune, les chefs chrétiens et le mufti de l’île demandent sa restauration. Un cri d’alarme global.
« La signification d’un lieu de culte va bien au-delà des pierres qui le composent et sa destruction ne respecte pas notre patrimoine religieux et culturel commun. » Dans un communiqué conjoint daté du 14 février 2019, publié par l’organisation Religious Track of the Cyprus Peace Process (RTCYPP : Suivi religieux du processus de paix à Chypre), qui travaille sous les auspices de l’ambassade de Suède à Nicosie, les dirigeants qui représentent les cinq principales communautés religieuses de Chypre (divisée depuis 1974) expriment une « profonde douleur » face à l’effondrement partiel à Nicosie de l’église Saint Jacques le persan, datant du XVème ou XVIème siècle et d’inspiration byzantine, selon les informations relayées sur le site officiel de l’Eglise grecque-orthodoxe de Chypre. L’édifice aurait été bâti sur des restes du Xème siècle et abriterait en son sein des fresques d’époque. Elle se trouve dans la « zone tampon » dite « ligne verte » qui sépare la partie grecque (au sud) de la partie turque (au nord) de Chypre. Cette zone, démilitarisée et contrôlée par les Nations unis, traverse la capitale, Nicosie.
« Nous sommes ensemble comme des frères », déclarent de concert l’archevêque grec-orthodoxe Chrysostomos II, l’archevêque de l’Eglise Maronite Yousef Soueif, l’archevêque de l’Eglise orthodoxe apostolique arménienne Khoren Doghramadjian et le vicaire patriarcal latin Jerzy Kraj, aux côtés du mufti de l’île, Talip Atalay. Une solidarité interreligieuse « pour veiller à ce que tous les lieux sacrés de nos fidèles, tous les lieux de culte faisant partie du patrimoine religieux et culturel chypriote soient respectés, soignés, protégés et restaurés », signent-ils. C’est ainsi qu’ils renouvellent un appel – déjà lancé une première fois en 2014 – concernant « le besoin urgent de renforcer et restaurer de manière appropriée » non seulement l’église Saint Jacques mais aussi l’église voisine dédiée à Saint Georges, datant du XVIIème siècle qui mériterait d’être reconsolidée avant de connaître le même sort. Cette église est aussi située dans la zone tampon de l’île, où l’accès pour des équipes de travail est limité. De fait, à Nicosie la zone est déclarée zone militaire fermée. Elle est à cet endroit difficilement accessible.
C’est le responsable chypriote grec du Comité technique sur le patrimoine culturel, Takis Hadjidimitriou qui a fait l’annonce de l’effondrement de l’église Saint Jacques, via Facebook le 9 février dernier. Il explique que ce sont les pluies torrentielles de février qui auraient causé la chute de la rotonde et du clocher et provoqué l’éboulement d’une partie du mur de l’église. Le Comité technique est une organisation bicommunautaire (grecque et turque) qui supervise les travaux de restauration à travers l’île méditerranéenne. Il avait accepté de prendre en charge la préservation des monuments menacés, en mars 2017 et avait alerté sur la situation alarmante des églises en réclamant des travaux urgents. Cité dans la presse chypriote, il n’a pas caché son amertume en affirmant que le comité n’avait pas été autorisé à entamer des travaux de renforcement des deux églises au motif que le déminage était nécessaire dans la zone où se trouvent les deux lieux de culte.
Le 24 octobre 2018, à l’occasion de la Journée des Nations unies, Europa Nostra – la voix du patrimoine culturel en Europe – avait organisé un grand débat public sur le patrimoine culturel en péril dans la « zone tampon » de Nicosie. Et avait, elle aussi, déclaré qu’il était « nécessaire de commencer les travaux de secours sans plus attendre pour éviter toute perte irréparable. » Les pluies n’auront pas attendu…
Une restauration qui doit être décidée par les deux dirigeants de l’île
Il est prévu que le 26 février prochain, la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations unies et Conseillère spéciale adjointe pour Chypre, Elizabeth Spehar, accueille une réunion informelle entre le président de la République de Chypre, Níkos Anastasiádis, et le président de la République turque de Chypre du Nord, Mustafa Akinci.
Dans cette optique, les chefs religieux ont exprimé dans leur communiqué l’espoir que cette prochaine réunion donnerait aux dirigeants l’occasion « de discuter et de résoudre tous les obstacles pour renforcer et restaurer [les] deux monuments historiques » dans la « zone tampon ». Appelant de leurs vœux à « une solution constructive et proactive. » Et assurant prier pour qu’un autre lieu de culte n’en vienne à s’affaisser à son tour.
Les deux chefs du Comité technique pour le patrimoine culturel, Takis Hadjidimitriou (pour la partie grecque) et Ali Tunzay (pour la partie turque), ont de leur côté évoqué la question lors de réunions séparées avec les deux chefs d’Etat, a rapporté l’agence Cyprus News Agency. Pour Takis Hadjidimitriou, le traitement de cette question « dépasse les capacités du Comité technique. »
De leur côté, les chefs religieux de l’île ont défendu et répété « le principe selon lequel les propriétaires légitimes de tous les monuments religieux à Chypre doivent être directement impliqués », tout en se félicitant du dialogue engagé avec les Nations unies dans cette direction.