Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Cette rencontre est un tournant

Propos recueillis par M.-A. Beaulieu auprès de Mgr Pizzaballa
30 mars 2019
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Mgr Pizzaballa, administrateur apostolique du diocèse latin de Jérusalem et vice-président de la Conférence des évêques latins des régions arabes était présent à la réunion inter religieuse à laquelle avait été invité le pape François aux Emirats Arabes Unis. Il livre ses impressions sur cette rencontre importante dans le contexte moyen-oriental de la relation entre chrétiens et musulmans.


Monseigneur, en quoi cette rencontre entre le pape François et l’imam de l’Université d’Al Azhar est-elle différente des précédentes ?

Je pense que la nouveauté principale réside d’abord dans le lieu. Le pape et Al Tayeb se sont rencontrés en Egypte il y a deux ans et au Vatican l’année dernière. Entre ces rencontres, il y a eu de nombreuses réunions avec les dicastères et des représentants de Al-Azhar. Elles sont très importantes. Mais cette fois, on a pu constater des différences sensibles : les discours sont complètement différents, l’atmosphère était, elle aussi, différente. Et surtout la rencontre s’est déroulée au cœur des pays islamiques. Cette invitation là, marque un tournant. Il est probablement plus sensible dans le monde islamique que dans le monde catholique. Parce que notre attitude dans le dialogue est toujours la même. Mais pour dialoguer il faut être deux. Aussi ne peut-on pas se contenter de voir cet événement uniquement de notre perspective.

Vous parliez des discours, mais il y a eu également la signature d’un document sur “La fraternité humaine”. Ici en Terre Sainte, le mot paix est sur toutes les lèvres, mais la situation ne fait que se détériorer. Y a-t-il des chances pour que ce texte ait une traduction sur le terrain ?

Pour important que soit le conflit israélo-palestinien au Moyen-Orient, cet événement dépasse le conflit que nous avons ici. En tous les cas, le contexte de la rencontre d’Abou Dabi le dépasse. Cet événement concerne la région : Syrie, Irak, Jordanie, Egypte, Arabie Saoudite etc. Tout le monde islamique. Peut-être au-delà du Proche-Orient même. Mais concentrons-nous sur notre région. C’est tout le Moyen-Orient qu’il faut reconstruire. Pas seulement reconstruire les bâtiments et infrastructures. Nous avons besoin de savoir où nous allons. Et ce document – qui certainement ne répond pas à toutes les questions – est un tournant sur le chemin que nous faisons ensemble. Les chrétiens vont rester ici, les musulmans vont rester ici.
Si nous n’avons pas des personnes qui se lèvent pour avancer, si nous n’avons pas ce genre de gestes pour espérer, que nous reste-t-il ? Dans nos sociétés où la religion a une telle importance, nous avons besoin de leaders religieux pour nous donner une direction. Durant tout le temps de Daesh, nous avons accusé les leaders religieux musulmans de garder le silence. Et finalement l’imam d’Al-Azhar parle. Ce n’est pas complet, ce n’est pas une fin, la paix n’arrivera pas demain, mais nous avons besoin d’une telle impulsion, d’une telle orientation pour commencer.

 

Le 24 décembre à Bethléem, traditionnellement le patriarche latin de Jérusalem fait une entrée solennelle à Bethléem. Et les musulmans se pressent sur le passage de Mgr Pizzaballa pour l’accueillir eux aussi.

 

Entendu, mais d’un côté nous avons le pape qui a une autorité sur tous les catholiques et de l’autre côté, l’imam de l’Université Al-Azhar ne représente que lui-même…

Cette disparité existera toujours. Seule l’Église catholique a une structure pyramidale. Dans le judaïsme et dans l’islam il n’y aura jamais un interlocuteur qui équivaille au pape. Il ne faut donc pas l’attendre pour commencer.Par ailleurs al-Azhar a une importance morale majeure dans le monde sunnite. Et nous devons commencer de quelque part.

Pensez-vous que si des musulmans bougent c’est parce qu’ils ont pris conscience que l’islam avec Daesh a enfanté un monstre ?

Je ne prétends pas pouvoir parler au nom des musulmans. Mais je pense qu’en effet Daesh a soulevé un mouvement interne à l’islam de réflexions sur eux-mêmes et sur la façon dont ils lisent leur propre foi et dont ils peuvent interpréter leurs écritures. Ces questionnements existaient à l’intérieur de l’islam avant Daesh, ce dernier a accéléré le mouvement.
Nous sommes habitués dans cette région à entendre de beaux discours, sans que rien ne change ensuite. Pensez-vous que les gens présents à la rencontre étaient sincères ?
Sûrement non pas tous, il y avait tellement de gens. Mais parmi les musulmans je pense vraiment que la plupart étaient sincères. Il faut mesurer aussi la nouveauté que c’était pour eux, le chef de l’Église catholique est venu les visiter chez eux pour parler, leur parler de fraternité. Je ne néglige pas les problèmes que nous rencontrons avec l’islam, pas du tout. Mais nous ne pouvons pas nous arrêter aux problèmes.

Comment le patriarcat latin va-t-il diffuser le document, ainsi qu’il a été demandé de le faire ?

Nous allons avoir une réunion avec tous les prêtres pour discuter du texte et des moyens d’en faire connaître le contenu aux conseils paroissiaux et pastoraux et de là aux fidèles.

Lire aussi >> Le père Madros n’a pas aimé le document signé aux Emirats

Et qu’en est-il des écoles ?

Quant aux écoles, il faudra penser quelque chose mais pour l’année prochaine. Leur préoccupation actuelle est de finir le programme prévu cette année aux examens. Mais il est certain que les écoles sont un lieu privilégié de transmission car les chrétiens et les musulmans y vivent ensemble.

Dans l’ensemble du diocèse, comment voyez-vous les relations entre chrétiens et musulmans ?

C’est contrasté, entre l’ombre et la lumière. Dans nos écoles, dans un certain nombre de nos activités, les soucis ne manquent pas mais il y a aussi de magnifiques échanges entre chrétiens et musulmans. En Jordanie, le Peace Center, est vraiment un bel exemple. Il y a des communautés religieuses engagées dans ces échanges. Dans de nombreux déplacements officiels que je fais dans le diocèse, les communautés musulmanes, les gens se déplacent pour m’accueillir très respectueusement et tous me disent combien ils estiment précieuse la présence chrétienne au milieu d’eux, pas seulement parce qu’il y a un besoin d’école mais aussi parce que la présence chrétienne apporte d’autres dynamiques dans la société. C’est très positif. Mais je n’ignore pas qu’à certains endroits, il y a des problèmes de propriétés, des préjudices.
Enfin pour revenir à la rencontre d’Abou Dabi, ce qu’Al Tayeb a dit a fortement impressionné les chrétiens. Il a parlé de citoyenneté, d’égalité des droits. Entendre cela ouvertement d’une autorité musulmane devant le monde entier était une première. On ne l’a jamais entendu, et il ne s’adressait pas qu’à des chrétiens mais aux musulmans du monde. C’est une vraie évolution.♦

Dernière mise à jour: 13/03/2024 13:08

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