Le pape François a décidé d'ouvrir le 2 mars 2020 des archives secrètes du Vatican pour des dossiers concernant le pontificat du pape de la 2nde Guerre Mondiale et donc les rapports entre le Vatican et la Shoah.
« L’Eglise n’a pas peur de l’histoire », a affirmé le pape François devant les supérieurs et collaborateurs des Archives secrètes du Vatican, qu’il a reçus le 4 mars 2019. « J’ai décidé que l’ouverture des archives du Vatican pour le pontificat de Pie XII (ndlr : 1939-1958) aurait lieu le 2 mars 2020. » Une annonce qui coïncide – à deux jours près – au 80ème anniversaire de l’élection du 260ème pape. Généralement, le Vatican attend 70 ans après la fin d’un pontificat pour ouvrir les archives concernées.
Une occasion anticipée donc, pour faire la lumière sur les actions du souverain pontife pendant la Seconde Guerre Mondiale. Lui qui a été proclamé « vénérable » en 2009 suite à un décret de Benoît XVI attestant de ses « vertus héroïques ». Etape ouvrant la voie de sa béatification. La cause avait été introduite en 1965 sous le pontificat de Paul VI et relancée par la décision de Benoît XVI qui a cependant soulevé la polémique dans le monde juif et en Israël étant donné qu’il est reproché au pape Pacelli son silence sur l’extermination des juifs d’Europe.
L’ouverture des archives réjouit ceux qui voudraient comprendre face à la Shoah l’absence de parole publique de la part de Pie XII. Etait-ce par prudence diplomatique ? Par peur de réactions encore plus brutales contre les juifs et ceux de l’Eglise catholique qui les ont protégés ? Quoi qu’il en soit, son attitude a été dénoncée par des organisations juives comme une forme de complicité passive. Notamment concernant la rafle du ghetto de Rome le 16 octobre 1943, et la déportation à Auschwitz de plus d’un millier de juifs les jours suivants sans intervention aucune de Pie XII.
D’autres voix assurent en revanche que le Pape a sauvé en coulisses des dizaines de milliers de juifs italiens en demandant aux couvents de leur ouvrir leurs portes. L’Eglise a accordé le refuge à 477 Juifs à l’intérieur du Vatican, à 4 238 autres dans des monastères et couvents italiens des environs et 3 000 ont été logés à Castel-Gandolfo (la résidence d’été des papes) et 400 ont été enrôlés dans la Garde pontificale. D’aucuns rappellent qu’il avait rédigé en 1937 la partie diplomatique de l’encyclique « Mit brennender Sorge » (Avec une brûlante inquiétude) condamnant le nazisme sous le pontificat de Pie XI.
« Juste lumière »
Pie XII, a rappelé hier le pape François, « s’est trouvé à conduire la barque de Pierre à l’un des moments les plus tristes et les plus sombres du XXème siècle, agité et déchiré de tous côtés par le dernier conflit mondial, et durant la période successive de réorganisation des nations et de reconstruction.»
Le pape François a dit assumer sa décision. Et a ajouté être « sûr que la recherche historique sérieuse et objective saura évaluer sous sa juste lumière, avec les critiques appropriées, les moments d’exaltation de ce pape et, sans doute aussi les moments de graves difficultés, de décisions tourmentées, de prudence humaine et chrétienne qui pourront apparaître de la réticence pour certains, mais qui furent au contraire des tentatives (…) pour tenir allumée (…) la petite flamme de l’initiative humanitaire, de la diplomatie cachée mais active, de l’espérance dans de possibles bonnes ouvertures des cœurs. »
« On verra alors ce qu’il en est et, si erreurs il y a eu, nous devrons les reconnaître. Il ne faut pas avoir peur. La vérité passe avant tout », déclarait celui qui était encore le cardinal de Buenos Aires, en 2010, dans un livre d’entretien avec le rabbin argentin Abraham Skorka (Sur la terre comme au ciel). Des propos qui avait été reconfirmés en janvier 2014 par le compatriote et ami du Pape, à l’issue d’une rencontre avec lui : « le Pape est cohérent avec ce qu’il a affirmé comme cardinal et comme pape, il va réaliser ce qu’il disait (…). Je crois que, oui, il ouvrira les archives. »
Pie XII à Yad Vashem
Voilà qui est donc bientôt fait. Et le président d’Israël n’a pas manqué de s’en réjouir dans un communiqué. « La décision courageuse et bienvenue de mon ami le pape François, d’autoriser l’ouverture des archives du Vatican pour la période de la Shoah, permettra un accès gratuit et sans médiation aux archives de la période la plus sombre de l’histoire de l’humanité. Ceux qui ne peuvent pas se souvenir du passé sont condamnés à le répéter. Cette étape est particulièrement importante en ces temps d’attaques antisémites, de réécriture de l’histoire et de tentatives de nier la Shoah. »
L’ouverture de ces archives a aussi été saluée par l’American Jewish Committee(AJC), l’une des plus grandes associations juives dans le monde qui y voit un geste « immensément important pour les relations juifs-catholiques. » Cette organisation et le Congrès juif mondial réclamait depuis des années une telle démarche. « Il est primordial que les experts de la Shoah en Israël et aux Etats-Unis évaluent le plus objectivement possible les archives concernant cette période épouvantable. Cela permet de reconnaître les erreurs mais aussi les efforts courageux faits pendant la Shoah », a réagi pour Reuters le rabbin David Rosen, membre de l’AJC.
A Jérusalem, le Mémorial de la Shoah de Yad Vashem, a estimé que la décision du pape François « va permettre des recherches ouvertes et objectives de même qu’une étude complète des questions liées à l’attitude du Vatican en particulier, et de l’Eglise catholique en général, pendant la Shoah. » Le mémorial qui, après avoir exhorté l’Eglise pendant de nombreuses années à ouvrir les archives, espère que les chercheurs bénéficieront d’un accès complet à tous les documents préservés dans les archives.
Les dernières années ont vu Yad Vashem modifier son approche eu égard à l’action de Pie XII pendant la Shoah. Le 1er juillet 2012, en effet, le mémorial avait pris l’initiative d’édulcorer un texte de 2005 légendant un portrait de Pie XII qui accusait le pape d’être resté passif face au sort des Juifs pendant la Shoah, en exposant en détail la controverse liée à son attitude pendant la Seconde Guerre Mondiale. Une nouvelle légende a été finalement apposée. Si elle conserve les arguments des critiques de Pie XII, présents dans l’ancien texte, elle présente aussi ceux de ses défenseurs. Le Patriarcat latin de Jérusalem avait alors reconnu dans un communiqué « le désir de chercher la vérité de la part de l’institut international de Yad Vashem pour la recherche sur la Shoah. » Saluant « la prise en compte des recherches historiques de ces dernières années. » « On ne peut pas accepter une moitié de vérité qui n’est pas aboutie. Il faut donner du temps pour étudier les archives du Vatican. En attendant, il n’est pas possible de laisser écrire des choses qui ne sont pas sûres », avait souligné la plus haute autorité catholique de Terre Sainte. Dans un an, cela sera désormais chose possible. « Toutefois, explique le journal La Croix, de l’avis de certains historiens, il ne faut pas s’attendre à des découvertes spectaculaires, notamment sur les raisons qui ont poussé Pie XII à la réserve concernant la Shoah, d’autant qu’une large synthèse en douze volumes a déjà été publiée en 1965 concernant cette période. L’ouverture des archives devrait cependant permettre une meilleure compréhension des mécanismes et du contexte de l’époque. »
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