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Le Saint-Sépulcre n’a jamais été reconstruit à l’identique

Marie-Armelle Beaulieu
18 avril 2019
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Le Saint-Sépulcre au cours des âges (© Raffaella Zardoni/ATS Pro Terra Sancta)

La première basilique du Saint-Sépulcre a été construite vers 324. Elle a connu plusieurs incendies et tremblements de terre. A chaque époque les Gardiens du Tombeau ont du faire des choix entre réparer, restaurer, rénover ou reconstruire. Survols des grandes étapes.


La basilique du Saint-Sépulcre est une des plus anciennes églises du monde. C’est en 313 que l’édit de tolérance, connu aussi sous le nom d’édit de Milan, ouvrit la possibilité pour les chrétiens de construire des lieux de culte dans l’empire romain.

La toute première église de la résurrection

Dès 324, à la demande de l’empereur, Constantin l’évêque de Jérusalem, Macaire, s’activait à libérer le tombeau de Jésus qu’Hadrien avait enfoui en 135 sous un temple consacré à Jupiter. En 335, tout entier orienté à la vénération du point zéro, le point GPS de la résurrection du Christ, était inauguré un des joyaux architecturaux de l’empire byzantin.

Il avait suffit de dix années pour le construire sur un axe se déployant sur près de 140 mètres.

La basilique ouvrait sur le cardo, le grand boulevard nord sud de la ville. Après être entrés par l’atrium, les pèlerins pénétraient dans le martyrium, le lieu de culte. Le toit de la nef de 45 mètres de large, 60 de long et 8 de hauteur, était supporté par deux rangées doubles de colonnes, divisant l’espace en cinq travées. Dans le prolongement du martyrium, un grand espace à ciel ouvert et délimité sur trois côtés par un cloître (d’ou son nom de triportique) donnait accès au lieu saint à proprement dit , une rotonde. D’un diamètre de près de 37 mètres, elle abritait en son centre le tombeau de Jésus. La pierre de la chambre funéraire, taillée dans le roc, avait été recouverte de marbre. Les pèlerins entraient donc dans un aediculum, petit bâtiment, écrin du tombeau. Le terme d’édicule resta pour désigner, à l’intérieur de la basilique, le tombeau vide.

La rotonde était surmontée d’un cône, percé en son centre. L’ensemble de la rotonde était richement décorée de marbres et de mosaïques.

Moins de 300 ans plus tard, en 614, l’édifice étaient pillé et incendié par les Perses. L’incendie du martyrium fut tel que seule une moitié fut récupérable. Les Perses ne s’étaient pas seulement attaqués aux pierres de l’édifice, mais aussi à la communauté des chrétiens de la ville dont la plupart furent massacrés.

Après la destruction perse de 614

Bien qu’exsangue la communauté chrétienne sous le patriarcat de Modeste entreprit la reconstruction de la rotonde dès 616 tandis que les Perses régnaient encore sur la ville. Les travaux accélèrent quand en 630, l’empereur byzantin Héraclius entrait triomphalement à Jérusalem, porteur de la vraie croix qu’il avait récupérée dans le butin des Perses défaits à Ninive l’année précédente.

En 638, l’invasion musulmane n’eut pas de conséquences sur la basilique si ce n’est quelques pillages. Selon la tradition, le patriarche de la ville, Sophrone, avait pris les devants et avait remis les clés de la ville au calife Omar afin que les chrétiens soient épargnés.

Si la dynastie abbasside s’engagea à respecter le lieu saint, celui-ci ne fut pas épargné par les éléments. Une succession de tremblements de terre (Jérusalem est bâtie sur la faille tectonique de la vallée du rift) et d’incendies touchèrent la basilique.

Le premier tremblement de terre à cette époque survint en 746, suivi d’un autre plus violent en 810 qui endommagea le cône. En 841 et 938 ce furent des incendies. Celui de 938 fut volontaire. Il prit depuis les portes et se communiqua aux toitures de l’église et des portiques jusqu’à la coupole de la rotonde. L’église était de nouveau dévastée. Réparée, elle subit un nouvel outrage suite à une défaite des musulmans en Syrie qui se vengèrent sur l’édifice déclenchant un nouvel incendie.

A chaque fois la communauté chrétienne de toute la région, au prix de grands efforts financiers, répara. Fort heureusement, l’épaisseur des murs leur permit de résister, c’étaient les structures de bois et les décorations qu’il fallait reprendre ou refaire à neuf.

1009 et la folie d’Hakim

L’année 1009 marque une étape décisive dans l’histoire de la basilique. Cette année-là, le calife fatimide Al-Hakim bi-Amr Allah surnommé par les chrétiens Hakim le fou, entreprit de détruire toute la basilique. Il ordonna d’abord la destruction de l’édicule et du rocher du tombeau, puis celle de la basilique et spécialement de la coupole. Sans doute estimait-il que dans le paysage de la ville, l’église avait encore trop d’importance architecturale. Le tombeau fut enseveli sous les gravats de la coupole et de la galerie supérieure détruite ce qui le sauva pour partie. Cet événement est un de ceux déclencheurs des croisades.

L’église reste en ruine jusque vers 1020. Hakim, calmé, autorise moyennant finances les premières réparations. De réels travaux ne sont entrepris qu’en 1040 quand Constantin Monomaque le nouvel empereur byzantin débloque des fonds. Mais Jérusalem n’est plus ville d’empire et les finances de l’Etat ne permettent pas de voir grand. Ce qui restait de l’atrium et du martyrium constantinien est abandonné. Tous les efforts se concentrent sur l’Anastasis (la rotonde), et le calvaire. Mais puisqu’il n’y a plus de lieu de culte distinct, le lieu de la vénération, le lieu saint, va devoir accueillir les offices. Il faut alors procéder à de nouveaux aménagements structurels. De chaque côté de la rotonde on ajoute bâtiments et chapelles, dans le style de l’époque. Un étage est ajouté à la rotonde qui supporte désormais une galerie au dessus du déambulatoire. Le cône est reconstruit mais en pierre au lieu de bois. La façade est percée à l’est pour ajouter une abside qui empiète sur le jardin du cloître. Et l’on construit une chapelle pour enchâsser le calvaire jusqu’ici à l’air libre.

Si dans l’ensemble, l’architecture constantinienne a été conservée, l’aspect de la basilique a complètement changé. La décoration elle aussi fut complètement refaite.

Avec l’arrivée des croisés à Jérusalem une cinquantaine d’année plus tard (1099) une nouvelle basilique allait voir le jour.

L’empereur byzantin avait fait des aménagements compatibles avec des cérémonies de rite oriental. La latinité des croisés ne s’y retrouvait pas. Il leur fallait un chœur où installer les stalles des chanoines.

Les croisés entre respect et innovation

Les croisés conservèrent la rotonde en l’état mais en consolidèrent les colonnes qu’ils enchâssèrent dans d’énorme piliers rectangulaires pour une meilleure résistance aux séismes. En revanche, à partir de 1140, ils détruisirent la nouvelle abside pour construire au-dessus de tout le jardin une église dans le plus pur style roman à ceci près que le toit du chœur ne fut pas couvert par une charpente, mais qu’ils le firent à la mode locale avec un dôme circulaire.

Au nord, ils conservèrent le mur constantinien toujours debout et la colonnade appelée Arches de la Vierge, mais la doublèrent de massifs piliers composés destinés à supporter les voûtes de pierre. Ils détruisirent en revanche le mur sud, pour installer ce qui allait devenir la façade et entrée principale de l’église. La nouvelle structure intégrait désormais le calvaire.

Attenant à l’Anastasis, les croisés construisirent un massif clocher à 5 étages et haut de 48 mètres dépassant ainsi le cône de la rotonde.

Là où autrefois s’élevait le martyrium constantinien, ils construisirent le monastère des chanoines du Saint-Sépulcre. Dans leur style roman on devine les prémices du gothique.

L’ensemble architectural ne ressemblait à rien de connu. Mélange des restes d’une construction romaine devenue orientale et qui se voyait adjoindre un chœur roman. Le tout avec une profusion de chapelles et la variété des décorations, celles de leurs prédécesseurs que les croisés conservèrent, celles qu’ils ajoutèrent. Au long des siècles, les pèlerins ne manquèrent pas de faire part de leur surprise.

Jusqu’à aujourd’hui, cet appareillage d’époques et de styles divers cueille à froid le pèlerin occidental. La basilique des croisés fut inaugurée le 15 juillet 1149, 50 ans tout juste après l’entrée des croisés dans la ville.

Une joie de courte durée pour la chrétienté, puisque 38 ans plus tard Saladin reprenait Jérusalem (1187). L’église fut épargnée mais ses portes furent closes. C’est la même église que l’on visite aujourd’hui encore que l’on ne puisse plus distinguer de prime abord sa composition romane.

Puisque les portes étaient closes, les religieux se firent enfermer à l’intérieur à partir du début du XIVe siècle. Dans le lieu saint, il fallut aménager dès lors des lieux d’habitation ! Des murs, des cloisons, des escaliers s’ajoutèrent ici ou là. La crispation des divisions internes au christianisme ne concourra pas à l’harmonie des nouveaux aménagements intérieurs. Les grecs-orthodoxes prirent possession du chœur des chanoines qu’ils protégèrent au nord et au sud de murs, masquant l’harmonie des formes romanes.

Réparations, restaurations et rénovations contemporaines

Si la structure architecturale de l’actuelle basilique du Saint-Sépulcre est toujours celle héritée de l’histoire et de l’époque croisée, il n’empêche qu’il a fallu à l’édifice résister à de nouveaux incendies et séismes.

Le tremblement de terre de 1545 fit tomber le clocher. Il ne fut pas reconstruit. Il décida le custode de Terre Sainte Boniface de Raguse, supérieur des franciscains résidant dans la basilique, à refaire l’édicule en 1555. Celui-ci fut détruit par l’incendie de 1808, le plus grand incendie survenu depuis 1000 ans. En 1810, un nouvel édicule était construit cette fois-ci par les grecs-orthodoxes dans le style baroque ottoman. C’est cet édicule qui a donné lieu aux travaux de rénovation de l’année 2016-2017, puisque le grand tremblement de terre de 1927  (6.2 sur l’échelle de Richter) l’avait fragilisé au point que les Britanniques durent le ceindre de poutres d’acier.

Ce même tremblement de terre fut à ce point dangereux pour la basilique que les différentes confessions chrétiennes s’accordèrent en 1959 pour entreprendre toutes ensemble des travaux sur l’édifice qui n’avait pas connu d’entretien d’ampleur depuis le XIIe siècle. Ils s’achevèrent à la fin des années 90. Chacune des Eglises s’occupa des parties dont elle est propriétaire et toutes décidèrent des travaux à opérer sur les parties communes : consolidation de la façade, changement total du dôme au-dessus du tombeau. Des négociations difficiles à mener chacun espérant que son goût architectural l’emporte…

A l’époque, dans la partie de la galerie qui leur appartient, les franciscains n’hésitèrent pas à refaire des chapiteaux modernes dans un style très cubique, célébrant des événements récents comme la rencontre du pape Paul VI avec le patriarche Athénagoras à Jérusalem en 1964 ou la restitution du corps de saint Sabbas jusque là dans la cathédrale de Venise. Les Grecs, eux, firent faire de nouvelles mosaïques à l’intérieur du dôme qui surplombe le catholicon.

En ce moins d’avril 2019, les échafaudages installés depuis quelques mois par les Arméniens dans la chapelle de Saint-Grégoire l’illuminateur – qui va à la chapelle de l’Invention de la croix – ont été enlevés pour laisser place dans cette architecture médiévale à la nouvelle décoration en technicolor du dôme ! Les avis sont partagés sur le bienfondé au XXIe siècle de faire de telles fresques dans un environnement d’architecture médiévale. Le sol de marbre de la même chapelle, réalisé l’année dernière, avait déjà fait réagir.

De leur côté, et dans un autre esprit, les franciscains (qui représentent l’Eglise catholique romaine dans la basilique), envisagent de redonner à la chapelle de l’Apparition de Jésus à sa mère, la splendeur du génie architectural qui la fit construire en 1040 toute entière sur le nombre d’or (1).

Le lieu le plus saint du christianisme – bien avant Notre -Dame de Paris – est ainsi : vivant, surprenant et partagé par des cultures différentes.

Quoiqu’il en soit des appréciations esthétiques, des millions de pèlerins y entrent chaque année, des millions de fidèles se tournent vers lui en cette semaine sainte parce qu’il est le seul endroit dans l’univers à prétendre être le point GPS de la résurrection de Jésus. C’est le plus incontestable de ses charmes !

1. Voir Terre Sainte Magazine de Mars Avril 2019

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Marie-Armelle Beaulieu, rédactrice en chef de Terre Sainte Magazine et signataire de l’article a écrit une exposition itinérante qui retarce l’histoire de la basilique du Saint-Sépulcre. Pour en savoir plus cliquez ici.

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