Inquiet, le cardinal Bechara Raï, actuel patriarche de l’Eglise maronite (rattachée à Rome), la plus importante communauté chrétienne au Liban, avait annulé un voyage prévu du 8 au 21 mai au Nigeria. La santé de son prédécesseur, le cardinal Nasrallah Boutros Sfeir, s’étant gravement détériorée. Une infection pulmonaire a fini par emporter à trois jours de ses 99 ans, celui qui fut à la tête de l’Eglise maronite, durant un quart de siècle de 1986 à 2011. L’un des plus longs mandats que ladite Eglise a connus dans son histoire.
Son successeur, le cardinal Bechara Boutros Rai, dans un communiqué diffusé par l’agence de presse officielle Ani, a qualifié son prédécesseur d’«icône » de sa fonction et de « pilier de la nation ». « L’Eglise maronite et le Liban sont en deuil », a-t-il ajouté. Le président libanais Michel Aoun a déclaré que le patriarche Sfeir avait été « un des patriarches les plus importants du Liban, qui a laissé une empreinte lumineuse sur le pays. » Le mufti de la république a salué dans le patriarche défunt « un exemple de justice, d’ouverture, de dialogue, de charité et de vivre-ensemble pour les musulmans et les chrétiens. »
A l’appel du cardinal Raï, les cloches des églises au Liban ont sonné dimanche le glas en signe de deuil pour le cardinal Sfeir. Le Conseil des ministres a décrété deux jours de deuil national, les 15 et 16 mai. Ses obsèques seront célébrées jeudi 16 mai à Bkerké, siège du patriarcat maronite à 25 km au nord de Beyrouth. En son hommage, la journée sera chômée dans toutes les administrations publiques, les municipalités ainsi que dans les institutions publiques et privées.
Le directeur par intérim de la salle de presse du Saint-Siège Alessandro Gisotti, interrogé par Vatican News, a indiqué que le pape François priait pour le patriarche défunt, « ainsi que tous ceux qui lui sont chers et l’ensemble de l’Eglise maronite. »
Dans un communiqué, la Présidence de la République Française a salué dans le cardinal Sfeir un « ami sincère de la France, francophone et francophile, il a eu à cœur de maintenir les liens étroits établis de longue date entre notre pays, les communautés chrétiennes et les peuples du Proche-Orient dans toute leur diversité ».
Figure historique du Liban contemporain, celui qui fut le 76ème patriarche maronite d’Antioche et de tout l’Orient est né le 15 mai 1920 à Rayfoun, dans le Kesrouan au Liban. Ce fils de la montagne fut formé au séminaire maronite de Ghazir au Liban et à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth. Il fut ordonné prêtre le 7 mai 1950. Onze années plus tard, le 16 juillet il sera ordonné évêque titulaire de Tarse des maronites et vicaire général pour le patriarcat d’Antioche. Et sera élu – dans les dernières années d’une guerre civile confessionnelley compris entre milices chrétiennes opposées – patriarche d’Antioche et de tout l’Orient pour l’Eglise maronite le 19 avril 1986 à la suite de la démission du cardinal Antoine Khoraiche. Il sera par la suite créé cardinal de l’Eglise catholique (le troisième de l’Eglise maronite) par le pape Jean-Paul II lors du consistoire du 26 novembre 1994. Membre de la Congrégation pour les Églises orientales, il occupera les fonctions de président du Synode de l’Eglise maronite, de président de la Conférence épiscopale libanaise, et de président du Conseil des Patriarches d’Orient. A ce titre, il sera notamment président délégué du synode spécial des évêques sur le Moyen-Orient convoqué à Rome par le pape Benoît XVI en octobre 2010. Choisissant de renoncer à sa charge à 91 ans pour raison d’âge, il présente sa démission à Benoît XVI qui l’accepte le 26 février 2011.
Le patriarche de la seconde indépendance
Durant la guerre civile, le patriarche Sfeir avait réussi à rassembler les responsables chrétiens (à l’exception du général Michel Aoun, l’actuel président du Liban) autour de l’accord de Taëf (Arabie Saoudite) signé en 1989 qui mit fin au conflit l’année suivante.
Chef de file du camp antisyrien au Liban, il a défendu farouchement la souveraineté et l’indépendance du Liban jusqu’au retrait israélien en 2000 et la fin de la tutelle syrienne en 2005 (Damas maintenant plusieurs milliers de soldats au Liban depuis 1976).Il hérita alors du titre de patriarche de la seconde indépendance (Le Liban a obtenu son indépendance en 1943). Tout au long de ses années à la tête de l’Eglise maronite, Nasrallah Boutros Sfeir avait refusé de visiter la Syrie. Contrairement à son successeur, Béchara Raï, qui s’y est rendu en plein conflit, en 2013, pour appuyer les chrétiens de Syrie.
Le patriarche émérite fut aussi très engagé dans le dialogue interreligieux et œuvra à la réconciliation entre chrétiens et druzes au Mont Liban en 2001.
Après sa démission, le cardinal Sfeir considéré comme un homme de grande envergure, comme un sage et un priant, était régulièrement sollicité par les politiciens de tous les partis.
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