Réveiller les saveurs du passé brassicole de la Terre Sainte est de bon aloi à l’heure où la région connaît un pic de chaleur. Mais est-ce dans les vieux fûts qu’on fait les meilleures mousses ? La question est posée car pour la première fois, selon l’Autorité des Antiquités d’Israël (AAI), une équipe israélienne de microbiologistes, d’archéologues et de brasseurs, a fabriqué une bière (ainsi qu’un hydromel) à partir d’échantillons de levure, restés en sommeil depuis l’Antiquité au fond de pichets d’argile. Pour ce faire, les auteurs du projet ont eu recours à des brasseurs professionnels de la cave Kedma à Kfar Uriya (au nord de Bet Shemesh) des technologies contemporaines de fabrication de la bière. Et d’après un communiqué de l’AAI : « les tests ont révélé que les bières [étaient] de bonnes qualités et [pouvaient] être bues. »
Lors d’une conférence de presse le 22 mai dont l’AFP s’est fait l’écho, l’équipe interdisciplinaire de chercheurs attachés pour les uns à l’AAI et pour les autres à trois universités israéliennes (Tel Aviv, Bar-Ilan, université hébraïque de Jérusalem), a expliqué avoir réussi à prélever des spores de levure sur 21 morceaux de jarres provenant de quatre sites archéologiques en Terre Sainte.
Certains ont été retrouvés dans le centre d’Israël à Tell Zafit, site identifié à la ville de Gath (d’où était originaire Goliath), l’une des cinq cités-états des Philistins établies à partir du XIIème siècle av. J.-C. et qui fut détruite après la conquête d’Hazaël, roi de Damas, au IXème siècle. Un épisode que la Bible raconte dans le Deuxième Livre des Rois. Les autres éléments de poteries proviennent d’Ein HaBessor (dans le désert du Néguev), de Tel-Aviv (dans la rue HaMasger) et de la région de Jérusalem notamment à Ramat Rachel, sur le site d’un ancien palais en activité du VIIème au IIIème siècle avant J.-C. C’est sur ce dernier site, rapporte dans une vidéo de l’AAI, Yuval Gadot, du département d’archéologie et de cultures anciennes du Proche-Orient de l’Université de Tel Aviv, qu’ont été retrouvés des débris de jarres avec les lettres YHD (Yehudah), ce qui signifie Judée, le nom de la Province à l’époque perse (538-323 av.J.-C.)
Ainsi, si de la levure vieille de 5 000 ans (c’est-à-dire remontant à l’époque du premier royaume égyptien unifié) a été retrouvée, comme le précise l’AAI, les levures datent pour la plupart du règne du pharaon égyptien Narmer (environ 3000 av. J.-C.), d’autres du roi araméen Hazael (800 av. J.-C.) et les dernières de l’époque du prophète Néhémie (400 av. JC).
Au total, ce sont six souches de levure toujours vivantes qui ont été retrouvées pour être revitalisées. Ronen Hazan, microbiologiste à l’Université hébraïque de Jérusalem explique dans la vidéo de l’AAI que concrètement, les micro-organismes ont d’abord été isolés de la céramique poreuse des anciennes jarres ; puis les scientifiques les ont fait germer et pousser, en les purifiant des bactéries. Et là, « étonnamment, vraiment étonnamment, nous avons réussi », se réjouit le chercheur impressionné par le fait que « la levure puisse survivre aussi longtemps dans un pot sans substance alimentaire, sans énergie. » Mais pour lui, « le plus fascinant c’est que nous pouvons goûter la bière d’anciens peuples comme les Philistins ou les Judéens avaient l’habitude de boire. » Sans compter les Egyptiens.
De couleur blonde, cette bière a « une teneur en alcool de 6% et un goût similaire à une bière de blé », a rapporté l’AFP. Mais, les scientifiques ne peuvent toutefois pas affirmer que leur boisson a exactement le même goût que celle des temps bibliques, étant donné qu’ils n’ont isolé que quelques levures et que des éléments modernes ont été utilisés.
En outre, à la différence près que les anciens n’avaient pas de réfrigérateur pour la garder au frais, cette bière qui n’a pas encore de nom officiel, était bue autant par les riches que les pauvres. Ce breuvage était « vraiment un produit de base » explique Yitzhak Paz de l’AAI dans la vidéo de l’institution à laquelle il appartient. Soulignant même que la boisson alcoolisée était consommée par toutes les classes d’âge : « des nourrissons aux personnes âgées ». On sait aussi que la bière était utilisée au cours de rituels de culte et de guérison.
La ‘‘nouvelle bière ancienne’’ n’a pas fait de malade parmi les chercheurs qui espèrent à l’avenir pouvoir en produire à plus grande échelle dans le but éventuel de la commercialiser. Mais avec le projet cette fois, de la produire non plus avec des méthodes modernes mais de reconstituer les pratiques des brasseurs d’il y a plusieurs millénaires.
Les chercheurs espèrent aussi recréer d’autres aliments fermentés qui étaient consommés dans l’Antiquité, comme le vin et le fromage. Voire les cornichons, rapporte le Times of Israel. En attendant, selon Ronen Hazan, de l’université hébraïque de Jérusalem, « cette recherche est extrêmement importante pour l’archéologie expérimentale », pour qui cherche à reconstruire le passé.