Saint-Sépulcre, Gethsémani, Cénacle… Jérusalem n’est pas avare de lieux saints uniques pour des mystères uniques. Mais quand il s’agit de commémorer l’Assomption de la Vierge Marie, quelqu’un assis sur la margelle d’un puits pourrait bien interroger : “Nos pères ont vénéré sur la montagne qui est là (Sion), et vous, vous dites que le lieu où il faut aller est dans la vallée de Josaphat (Cédron)”.
Comment l’abbaye de la Dormition sur le mont Sion et la tombe de Marie en contrebas de Gethsémani dans le creux du Cédron peuvent-elles l’une et l’autre faire mémoire de l’Assomption de la Vierge ?
La tradition de ces deux lieux réside dans les textes apocryphes. Cette abondante littérature, qui n’a pas été retenue par le canon de l’Église, fait le récit du passage de “ce monde pour les cieux” de la mère du Christ.
Pour comprendre ce mystère, il faut revenir au temps des premières communautés chrétiennes, quelques décennies après la mort du Christ. Selon une tradition, après la résurrection de Jésus, Marie choisit de partir quelques années avec Jean à Éphèse. “Beaucoup de pharisiens qui étaient à Jérusalem à cette époque souhaitaient la mort de la Mère de Dieu. En partant, Marie a fait le bon choix car elle aurait été déférée devant le Sanhédrin”, explique le père Frédéric Manns, professeur au Studium Biblicum Franciscanum de Jérusalem et auteur de Le récit de la Dormition de la Vierge (1). Elle y resta une dizaine d’années durant lesquelles elle accompagna Jean dans sa mission auprès de la communauté d’Éphèse. Sentant le besoin de revenir à Jérusalem, Marie regagna ensuite la ville sainte et s’installa sur le mont Sion. Se rendant un jour sur le mont des Oliviers elle rencontra un ange qui lui annonça sa mort prochaine. Elle fit part à son entourage de cette nouvelle et vit les apôtres revenir miraculeusement l’entourer pour cet événement. “Le récit explique qu’ils sont venus depuis les nuages, au milieu d’une nuée”, précise le père Manns. Jésus vint alors rejoindre sa mère pour lui donner un baiser tout en prenant son âme qu’il confia à saint Michel archange qui l’emmena au ciel. Les apôtres se chargèrent ensuite de prendre le corps “endormi” de la mère du Seigneur pour l’inhumer dans la vallée du Cédron. Partant en procession de sa maison, située sur le mont Sion, jusqu’au pied du mont des Oliviers, ils la déposèrent dans une tombe. Son corps reposa durant trois jours. “Marie n’a pas eu un privilège supérieur à celui de son fils. Le Christ est resté trois jours dans le tombeau, il en fut de même pour sa mère”, souligne Frédéric Manns. Ces trois jours passés, les anges descendirent pour emporter cette fois le corps de la Vierge dans les cieux, poursuit le texte.
Une tradition héritée des premières communautés chrétiennes
Déjà au IIe siècle l’Église judéo-chrétienne, constituée en grande partie de juifs devenus chrétiens, avait défini le mystère de l’Assomption. L’apocryphe du Pseudo-Jean explique que Marie avait célébré avant son départ la dernière fête des Tentes, soukkot. “Elle reçoit une palme de la part de l’ange venu lui annoncer sa mort. Tous les symboles de la fête des Tentes étaient repris”, explique le père Frédéric Manns. “Or, la fête des Tentes dans la tradition juive était la fête de la Résurrection. Marie, avant de quitter ce monde, exprime de façon imagée, avec les symboles juifs et bibliques, sa foi en la Résurrection. Elle sait que la mort n’est pas l’ultime point de la vie”. De la même manière, les références à l’Ancien Testament viennent souligner le caractère judéo-chrétien du récit. Le baiser donné à Marie par son fils fait écho à celui que Moïse reçut de Dieu au mont Nébo au moment de sa mort. Le récit raconte également que la procession du corps de Marie depuis sa maison jusqu’au tombeau, fut perturbé par le grand-prêtre nommé Jéphonias qui voulut renverser le cercueil. Mais un ange descendu du ciel l’en empêcha et lui coupa la main. L’épisode trouve une résonance avec le récit de l’acheminement de l’arche d’Alliance vers Jérusalem. “Dans l’Ancien Testament (2S 6, 3-8), il est raconté qu’en route, l’arche d’Alliance faillit tomber. Uzza s’en saisit pour éviter sa chute, mais en mourut, raconte le franciscain ; la symbolique est évidente : Marie est la nouvelle Arche d’Alliance. Quiconque la touche meurt. Le grand-prêtre qui voulut la renverser a quant à lui eu la main coupée”. Mais comme il implora aussitôt la Vierge Marie en reconnaissant son divin enfantement, sa main fut “rattachée” à son bras.
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Si le mystère de l’Assomption de Marie n’est pas mentionné dans les Évangiles, les récits apocryphes viennent apporter un éclairage sur la façon dont il s’est déroulé. “Ces écrits tentent de répondre à leur façon, avec la tradition juive qu’ils connaissaient bien, à l’interrogation des premiers chrétiens : comment Marie est-elle morte ? Ils apportaient des explications face au silence du Nouveau Testament”.
Quand l’histoire appuie les écrits
C’est justement par ces textes apocryphes que la présence de ces deux lieux de mémoire – abbaye de la Dormition et tombe de Marie – est expliquée aujourd’hui. En effet, le premier correspond au lieu où la Vierge, après avoir reçu le baiser de son fils, rendit l’âme dans sa propre maison sise sur le mont Sion. Et le second fait référence à une sépulture située au pied du mont des Oliviers, dans la vallée du Cédron qui n’est autre aujourd’hui que la tombe de la sainte mère de Dieu. Nous avons donc là les emplacements des deux mystères spécifiques à l’Assomption, à savoir la mort, puis la montée au ciel – trois jours après – de la mère de Jésus.
C’est une tradition du VIIe siècle qui situe la dormition de Marie là où se dresse aujourd’hui l’abbaye de la Dormition. Dès le Ve siècle, Jean II, évêque de Jérusalem avait fait construire une église tombée en ruines après la défaite croisée de 1187. Le lieu resta abandonné jusqu’à ce que le terrain soit acheté par l’empereur Guillaume II en 1898. Et sur les ruines découvertes de la Hagia Sion (sainte Sion), il fit ériger une nouvelle basilique inaugurée en 1900. L’abbaye est tenue depuis 1906 par une communauté de moines bénédictins allemands.
Et en contrebas du jardin de Gethsémani on trouve le tombeau de Marie. Le premier (à moins que ce ne soit déjà le second) édifice fut construit à la fin du VIe siècle, sous l’empereur Maurice (582-602). L’église fut restaurée à l’époque croisée puis détruite par les soldats de Saladin. Ne subsiste plus que l’impressionnant portail d’entrée vers la crypte qui renferme la tombe.
En 1972, à la suite d’importantes inondations, les grecs-orthodoxes et arméniens apostoliques qui se partagent le lieu, demandèrent aux franciscains de procéder à des restaurations. Les travaux donnèrent lieu à une véritable campagne de fouilles qui permit de mieux comprendre la crypte, une grotte taillée dans le roc, ses constructions et surtout la tombe elle-même qui se présente comme le tombeau du Christ, une chambre funéraire taillée dans le roc et isolée du reste de la colline. Au cours des siècles, les murs en avaient été crépis de plâtres, et la banquette funéraire recouverte de marbre. Après moult tergiversations, on décida de l’enlever ce qui permit de découvrir la banquette de rocher que l’on peut voir aujourd’hui grâce aux aménagements qui furent dès lors entrepris.
Le mystère de la mort et de la résurrection de Marie est issu d’une longue tradition, mais l’Église catholique en fit un dogme religieux en 1950 sous le pontificat de Pie XII. Le souverain pontife déclare alors que l’Assomption doit être considérée comme un dogme de foi. Le mystère est célébré le 15 août en souvenir de la fête du “repos de Marie” commémorant une halte qu’auraient faite Joseph et Marie durant le trajet vers Bethléem avant la naissance de Jésus. Sur l’emplacement supposé de leur arrêt fut bâtie l’église de la Kathisma de forme octogonale, dont il ne reste aujourd’hui que quelques pierres entre Jérusalem et Bethléem (2). “Cette église était consacrée à Marie et une fête se tenait tous les 15 août en son honneur, raconte le père Manns, la date a ensuite été réattribuée à la solennité de l’Assomption”.
À Jérusalem les deux lieux cohabitent et chacun célèbre à sa manière, selon sa tradition, le mystère de la mort et de la résurrection de Marie. S’il est aujourd’hui impossible pour les catholiques d’avoir une liturgie dans la tombe de la Vierge, le lieu étant propriété orthodoxe depuis 1757, une célébration existe bien le 15 août à l’extérieur du tombeau, dans la grotte “de la Trahison” toute proche. Preuve que, malgré les différences, la Mère de Dieu peut, elle aussi, élever toutes les âmes vers elle. ♦
(1). Le récit de la Dormition de la Vierge. Contribution à l’étude des origines de l’exégèse chrétienne, FPP, 1989.
(2).Terre Sainte Magazine n°648, mars-avril 2017, “Quand Jérusalem célébrait le repos de Marie”, par Frédéric Manns.
Le tombeau de la Vierge dans les sources syriaques
“Ce matin, prends la Vierge Marie – ordonne Jésus à Pierre – et sors de Jérusalem par le chemin qui conduit au mont des Oliviers, là où commence la vallée. En cet endroit, il y a trois grottes : l’une est vaste et visible de l’extérieur ; la deuxième est située à l’intérieur ; l’autre, la troisième, plus petite, se trouve plus loin encore à l’intérieur. Dans la paroi orientale de cette dernière est taillé un banc de pierre. Entre et tu y déposeras la Bénie.”
Dernière mise à jour: 28/03/2024 17:25