Dans la vieille ville, autrefois bondée de touristes, on touche du doigt la crise économique que traverse le pays. La paroisse latine propose diverses aides à la population, chrétienne ou musulmane. Mais face à l’incertitude de l’avenir, beaucoup de jeunes et de familles choisissent d’émigrer.
Un, deux, trois, quatre, cinq. Paix et bien”. La même phrase est répétée en continu, en anglais et en arabe… C’est un après-midi comme un autre dans la cour intérieure de la paroisse Saint-Paul à Damas. À la sortie de l’école, les espaces de loisirs et les salles de catéchisme se remplissent d’enfants bruyants. L’univers est coloré, fait de pull-overs, de sacs à dos, de goûters qui remplissent l’oratoire de façon peu commune. Frère Bahjat Karakach, curé de la paroisse latine, très nombreuse dans la vieille ville de Damas, est accompagné d’animateurs. Ensemble ils les accueillent et les invitent à former un “cercle de joie”. Et puis, direction la salle paroissiale où on leur projette la version arabe du film d’animation Oceania.
Avec son confrère, frère Antonio Louxa (en charge du sanctuaire voisin de Saint-Ananie), frère Bahjat a la mission pastorale d’une grande partie des chrétiens damascènes. “En ville, explique-t-il, nous avons deux paroisses et deux sanctuaires. Saint-Paul, qu’on appelle le grand couvent, et Saint-Antoine dans la partie la plus moderne de la ville, le quartier des ambassades. S’y ajoutent le sanctuaire Saint-Ananie et le Mémorial Saint-Paul, lié à la conversion de l’Apôtre des Gentils. Notre quotidien est très animé ! Nous proposons de nombreuses activités pastorales : catéchisme, scoutisme, groupes de familles et groupes de prière, la Jeunesse franciscaine. Avant la guerre nous comptions 400 familles de rite latin. Il est difficile de se procurer des statistiques aujourd’hui, mais beaucoup sont partis… Ceux qui sont restés sont surtout des personnes âgées, souvent seules.” Et pourtant, lorsqu’on voit les enfants et les jeunes aller et venir à la paroisse, la réalité semble bien différente.
Lire aussi >> Un congrès à Damas pour l’avenir de l’Eglise et de la Syrie
Miser sur la formation spirituelle
“Notre paroisse – reprend frère Bahjat – grâce à la quantité d’activités proposées, est fréquentée aussi par les chrétiens des autres Églises, attirés par le style franciscain. Beaucoup de jeunes, et même des enfants en bas-âge viennent chez nous. On mise beaucoup sur la formation spirituelle, parce que pour les chrétiens de Damas, la foi n’est souvent qu’une donnée sociologique.”
À l’extérieur de la paroisse, non loin de Bab Touma, une des portes principales de la vieille ville, quelques boutiques ont repris de l’activité. Les gens dans les rues sont encore peu nombreux et il n’y a plus aucun touriste, mais les bars et les restaurants commencent peu à peu à rouvrir leurs volets. Aujourd’hui en apparence, Damas semble une ville assez calme.
“Mais à 300 mètres d’ici, il y a des quartiers entièrement détruits. Pour nous qui vivons dans cette zone moins endommagée, le danger est d’oublier ceux qui souffrent encore dramatiquement de la guerre et de ses conséquences. Il y a un nombre affolant de personnes qui ont perdu leur maison et tout ce qu’ils avaient. De nombreux Damascènes sont partis, mais des centaines de milliers ont déferlé venant d’autres régions du pays. Ici, ils ont trouvé un vrai accueil et une sécurité qu’ils ne trouvaient plus dans les banlieues urbaines et rurales. Cet exode intérieur a rendu le problème du logement dramatique. Si tant est que vous en trouviez une, une petite chambre coûte quasiment le double du salaire moyen : 120 dollars par mois.” Depuis qu’elle a été reconquise, au son des bombes, la zone périphérique d’al Ghutah a été désertée par sa population : “Les chrétiens, en particulier, ont quitté leurs quartiers, des milliers de personnes ont déménagé et ont perdu toute sécurité économique.”
À Damas aussi, l’urgence humanitaire est encore une réalité. “Notre centre paroissial offre un soutien alimentaire à environ 500 familles chaque mois. On aide les familles qui ont des bébés jusqu’à deux ans et demi, pour leur procurer du lait ou des couches. On offre aussi un soutien financier aux malades pour les soins et les produits pharmaceutiques ; il y a une subvention pour payer le chauffage et des bourses d’étude aux étudiants. Finalement, malgré les apparences, il reste beaucoup de pauvres ou de personnes dans le besoin.” Ceux qui bénéficient de l’aide sont principalement chrétiens, explique frère Bahjat, mais le religieux insiste sur le fait que leur action caritative n’exclue personne. “Nous aidons tout le monde, explique-t-il, y compris les musulmans. Surtout en ce qui concerne les interventions chirurgicales. Nous ne demandons pas si l’un est chrétien ou l’autre musulman. Ce sont souvent les hôpitaux eux-mêmes qui nous signalent là où il est nécessaire d’agir et nous couvrons les frais, dans la mesure du possible, parfois sans que le patient le sache.”
Face aux mille nécessités du pays, il serait tentant de se décourager et frère Bahjat en est conscient : “Ce que nous faisons n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan. Plus qu’une solution, c’est un geste de proximité, afin que notre peuple ne perde pas espoir. L’Église ne peut certainement pas résoudre le problème économique et social du pays entier.”
En ce qui concerne l’espérance et l’avenir, un des points cruciaux pour le religieux franciscain est celui de la situation des jeunes. À Damas, depuis quelques mois, des jeunes ont été licenciés et en même temps, ont été publiées des listes de réservistes (où figuraient même des pères de famille de 40 ans) qui devront se présenter dans des districts militaires. La situation a créé un vent de panique et en a poussé beaucoup à fuir par refus de prendre les armes.
La mission des chrétiens
“C’est une réalité. Les garçons fuient la guerre ou le service militaire. Beaucoup vivent cachés, craignant d’être pris dans la rue et envoyés au combat. Seuls les fils uniques sont exemptés. Mais le paradoxe est que ceux qui n’ont pas de problème eux, sont prêts à émigrer. Toujours cette illusion que l’herbe est plus verte ailleurs. Chez beaucoup on trouve aussi l’idée que si ça ne se passe pas bien, en Europe on pourra vivre des aides sociales. Je vous dis cela pour que vous mesuriez à quel point aujourd’hui, il est difficile de convaincre un garçon ou une fille de rester.”
Quelles mesures doivent donc être prises pour contenir cette diaspora inexorable ? Frère Bahjat laisse tomber ses bras, non sans garder un petit sourire en coin. “Je suis optimiste malgré tout. Je suis convaincu que notre mission est de s’investir dans la formation des enfants et des jeunes, pour qu’ils se sentent acteurs et responsables de la renaissance de la nation. Nous nous servirons de la culture pour développer un véritable humanisme chrétien.” Cependant les chrétiens semblent désormais marginaux…
“Nous devons repartir de la mission des chrétiens sur cette terre… Peu de gens ont cette vision. La foi est vécue comme une composante familiale et sociale, alors que nous avons besoin au contraire de renouveler notre foi dans ses racines. La Syrie est une terre paulinienne, une terre de grands saints, de grands papes et de Pères de l’Église… Aider les chrétiens en Syrie, c’est aider tout le pays, parce que les chrétiens ont toujours été un facteur d’équilibre pour notre société.
Frère Bahjat marque un temps d’arrêt, puis reprend la parole d’un air grave : le vrai danger est que sans les chrétiens, la société syrienne opte pour le fondamentaliste musulman. Je voudrais qu’on ne néglige pas cet aspect : sauvegarder la présence chrétienne dans ce pays signifie aussi contribuer à éviter les prochaines guerres qui pourraient, qui sait, toucher les rives de la Méditerranée et l’Occident.”♦
L’Église sur le terrain pour les personnes en manque de soin
En Syrie, la guerre a provoqué plus d’un million de blessés ou de mutilés et leur nombre s’accroît chaque jour. Beaucoup d’entre eux meurent, faute d’argent pour se soigner. La réponse concrète aux besoins de la population syrienne se dessine, grâce à l’initiative du cardinal Mario Zenari, nonce apostolique en Syrie, et avec le soutien du Dicastère pour le service du Développement Humain Intégral. Le projet “Hôpitaux ouverts” a été conçu en 2016 et est devenu opérationnel en 2017. L’objectif ? que les Syriens les plus pauvres aient un accès gratuit aux soins médicaux ; le moyen ? en renforçant le pouvoir des hôpitaux à but non lucratif que sont l’hôpital italien et l’hôpital français de Damas et l’hôpital Saint-Louis d’Alep. Ce projet est soutenu aussi par la polyclinique Gemelli et l’hôpital pédiatrique de l’Enfant-Jésus à Rome qui ont déjà assuré plus de 15 000 soins gratuitement aux Syriens dans le besoin (depuis le 15 janvier 2019) et prévoit d’atteindre 50 000 opérations au cours des deux prochaines années.
18 millions d’euros par an sont nécessaires pour garantir les soins de santé, envoyer du matériel médical et des médicaments dans un pays qui en fut privé à cause du conflit et de l’embargo international. Il s’agira aussi de reformer toute une classe de médecins et d’infirmiers. Le projet est cependant déjà opérationnel : grâce à un million d’euros versés par la Conférence épiscopale italienne, les premiers endoscopes, doppler à ultrasons et respirateurs artificiels sont déjà arrivés et quelques milliers de personnes ont reçu des premiers secours.
Certes, la situation en Syrie ne conduit pas vraiment à l’optimisme. “D’un conflit régional, nous sommes passés à un conflit international et 5 des armées les plus puissantes du monde se font face à quelques mètres de distance, explique le nonce Zenari, en choisissant de ne pas les nommer. La Syrie est à l’image de la parabole du Bon Samaritain, elle a été frappée par des voleurs, attaquée, piétinée et laissée sur le bord de la route. Mais à la différence du récit de l’Évangile, cette fois-ci, même les bons samaritains risquent de mal finir.” Aujourd’hui 70 % de la population vit dans une extrême misère, la moitié des hôpitaux sont détruits et la seconde moitié encore sur pied ne travaillent plus qu’à 30 ou 40 %, 2/3 des médecins et des infirmières ayant aussi émigré. (e.p).
Si vous voulez faire quelque chose pour venir en aide aux franciscains de Syrie
En France, la Fondation François d’Assise relaie certains projets de la custodie de Terre Sainte en Syrie.
Cette année le projet choisi est l’aide médicale d’urgence pour les plus pauvres à Damas.
Pour faire un don
en ligne : www.fondationfrancoisdassise.fr
par chèque : Vous pouvez envoyer votre chèque, libellé à l’ordre “Fondation François d’Assise”, au 7 rue Marie Rose, 75 014 PARIS. Un reçu fiscal vous sera délivré par courrier. Précisez : Syrie : aide médicale d’urgence
La Fondation François d’Assise, sous égide de la Fondation Caritas France, est reconnue d’utilité publique et bénéficie des meilleures dispositions fiscales.
Dernière mise à jour: 02/04/2024 13:29