Non loin de la place Oumayyn, dans les quartiers résidentiels de Damas dominés par la silhouette grise du palais présidentiel (une vraie forteresse en béton armé qui surplombe le wadi profond qu’a creusé la rivière Barada), une longue file encombre la sortie d’un bâtiment public. À l’entrée, le drapeau syrien et la photo officielle du président Bashar al Assad en tenue de camouflage militaire et lunettes de soleil.
Parmi les 300 000 réservistes engagés par l’armée, certains se sont présentés spontanément. Pour celui qui n’a pas la possibilité de sortir du pays ou de se cacher, l’alternative à la naja est la prison. Beaucoup trouvent alors que l’engagement vaut la peine…
La guerre, qui a déjà laissé des traces indélébiles sur une génération entière, cherche aussi à engloutir ce qui semblait lui avoir échappé… Certains sont ingénieurs, médecins, techniciens en informatique, employés… Leur départ viendra affaiblir encore le tissu social. Si en plus des engagés dans l’armée, on considère ceux qui, pour diverses raisons, désirent émigrer, il semble alors que la Syrie ne soit pas un pays pour les jeunes.
Peu nombreux sont ceux qui continuent à croire en l’avenir. Mais parmi les optimistes, Joseph, 27 ans, jeune diplômé, chrétien, fait partie des animateurs de la paroisse Saint-Paul à Damas. “90 % des jeunes chrétiens sont diplômés en Syrie aujourd’hui. Cela nous confère une grande responsabilité, comparativement à la population musulmane qui a un niveau d’instruction plus bas. Pour aider le pays à renaître nous devons nous investir dans le domaine de la culture. Personnellement, j’ai choisi de rester en Syrie parce que je suis convaincu que la culture et l’histoire de mon pays sont un héritage pour toute l’humanité. Et ce patrimoine doit être défendu ; à partir des valeurs dont il est porteur, il est possible d’instaurer un dialogue fécond avec le monde musulman.”
Iham, 31 ans, chargé du bureau d’Ats Pro Terra Sancta de Damas, est diplômé d’économie et travaillait jusqu’à il y a trois ans dans une banque. Son engagement en faveur des plus pauvres et de toutes les personnes de la ville dans le besoin, lui fait comprendre chaque jour l’importance de la présence chrétienne dans la Syrie d’aujourd’hui. “Je cherche à communiquer l’espérance et la confiance. Sans elles aujourd’hui, on ne peut pas vivre en Syrie. C’est notre pays et nous devons bâtir ensemble notre avenir, du point de vue aussi bien économique que social. Nous avons actuellement besoin de l’aide et de la solidarité de l’Occident, mais nous devons nous efforcer de redevenir autosuffisants.”
Sur la situation des jeunes dans le pays, frère Fadi Azar a un avis bien précis. Le jeune curé de Saint-Antoine, paroisse fréquentée par les expatriés et les employés des ambassades, est membre de l’association Caritas de Damas ; il est engagé dans le projet “hôpitaux ouverts” voulu par le nonce apostolique de Syrie, le cardinal Mario Zenari, afin d’apporter une assistance sanitaire à toute personne en difficulté. Frère Fadi est parfaitement lucide sur la situation des jeunes aujourd’hui : “Peut-être faudra-t-il encore deux ou trois ans pour voir la fin de cette triste situation. En attendant, beaucoup veulent partir parce que personne ne voit la lumière au bout du tunnel. La guerre est malheureusement une constante dans nos pays du Moyen-Orient. Tout cela créée un climat de méfiance qu’il est difficile de renverser. Tant de chrétiens s’en vont… Ils s’enfuient en Irak, à Erbil, où s’est ouvert un canal d’immigration en direction de l’Australie. Le Canada accueille aussi massivement l’émigration syrienne. Des familles entières abandonnent cette terre pour en trouver une autre. Dans une situation de grave crise économique, sans travail et sans perspective d’avenir, comment pourrions-nous les blâmer ?”♦
Dernière mise à jour: 02/04/2024 13:50