En collaboration avec les autorités musulmanes d’Alep, Mgr Abu Khazen,vicaire apostolique de l’Église latine de Syrie, a mis en place un projet en faveur des “enfants sans nom”. Plus que de soutenir la population, la réconciliation devient le fil conducteur
de la mission pastorale.
Les journées d’un évêque, particulièrement en Syrie aujourd’hui, sont toujours extrêmement remplies. Mgr Georges Abu Khazen, vicaire apostolique de l’Église latine en Syrie, est à peine rentré du Liban qu’il est sollicité pour assister à une grande célébration à la cathédrale gréco-catholique de Damas. Le surlendemain, à l’aube, il entreprendra un long voyage vers Alep, siège du vicariat latin.
Nous nous rencontrons non-loin du Mémorial Saint-Paul, à Damas, sanctuaire voulu par le pape Paul VI sur le lieu où l’on fait mémoire de la conversion de l’apôtre. Abuna Georges, frère mineur, a été pendant de longues années curé à Alep, avant de succéder à Mgr Giuseppe Nazzaro, son confrère qui fut aussi custode de Terre Sainte.
C’est le soir. Malgré la fatigue, Mgr Abu Khazen accepte volontiers de répondre à nos questions.
Excellence, quelle est aujourd’hui la situation de l’Église catholique en Syrie ?
L’Église a souffert, comme du reste toute la population. Elle a souffert de la guerre, des bombes, et de l’oppression. Nous nous sommes toutefois engagés immédiatement dans le soutien aux personnes dans le besoin, et l’engagement reste d’ailleurs ouvert à tous, chrétiens et non-chrétiens. Tous les Syriens se trouvent dans le besoin. En tant qu’Église, nous avons le devoir d’aider tout le monde. Ce que nous avons fait fut rendu possible grâce aux bienfaiteurs, aux Églises d’Occident, à la custodie de Terre Sainte et aux organisations humanitaires ecclésiastiques.
La diaspora chrétienne est devenue impressionnante…
Malheureusement oui. Mais je crois pouvoir dire qu’en tant qu’Église nous avons largement contribué à freiner l’exode de la population et spécialement de la population chrétienne. Et c’est déjà une victoire. Il est vrai que nous ne sommes qu’une petite partie à être restés, mais je crois que cet échantillon, par sa foi et sa vocation profonde, sera utilisé par le Seigneur pour sauver son Église et la Patrie syrienne.
Vous parlez souvent de la mission confiée aujourd’hui aux chrétiens du Moyen-Orient.
Notre mission aujourd’hui est de témoigner de la charité. Nous sommes ouverts à tous, aussi bien aux non-chrétiens. Nous ne voulons en aucun cas faire de prosélytisme, mais plutôt porter le témoignage de l’amour de Dieu. Nous voulons que cette pâte soit fermentée par une autre mentalité, le message de l’amour chrétien. C’est d’ailleurs en train de fonctionner. Les personnes extérieures à l’Église découvrent quelque chose de complètement nouveau pour eux : l’amour gratuit… Beaucoup nous demandent : pourquoi vous mettez-vous à nous aider ? Peut-être sont-ils un peu suspicieux au début. Et puis, ils voient que nous ne poursuivons qu’un seul but, celui de l’amour du Christ. Cela ouvre des portes… J’entends souvent cette phrase de la part de mes frères musulmans : “Nous apprenons la charité grâce à vous”. C’est quelque chose de très beau.
Le pays cependant a cédé à la violence et reste divisé…
La charité porte en soi une dimension très importante : le pardon, la réconciliation. Cela aide beaucoup les gens à reconnaître en l’autre, en celui qui est différent, un frère qui vit dans la même maison. L’aide que fournit l’Église est “un dialogue de vie”, qui porte plus de fruit que de nombreuses rencontres théologiques et dogmatiques.
Un dialogue pratique, concret.
Bien sûr. Un dialogue qui nous aide aussi à nous ouvrir, à ne pas avoir peur. En tant que chrétiens, minoritaires, nous sommes tentés de nous refermer sur nous-mêmes. Tourné vers l’autre, le dialogue offre l’occasion de se connaître plus en profondeur, pour construire plus tard une vraie convivialité. La Syrie est composée de 23 groupes ethniques et religieux différents. Nous vivions autrefois comme une belle mosaïque. Et puis certains ont voulu en mélanger les carreaux, en brouiller les couleurs et le seul résultat, c’est le noir. Aujourd’hui, nous cherchons à réparer cette mosaïque, c’est notre mission en tant que chrétiens : être un ciment pour relier toutes les tesselles.
Quelles sont aujourd’hui les régions du pays qui souffrent le plus ?
La région qui a le plus souffert est celle d’Idlib, où les chrétiens sont restés dans la vallée de l’Oronte, dans trois villages, où se trouvent deux frères franciscains, frère Hanna Jallouf et frère Luai Bisharat. Ces derniers se mettent au service non seulement des catholiques latins, mais aussi des communautés orthodoxes. Ils font une véritable expérience du dialogue œcuménique. Et puis en Mésopotamie, la zone de Raqqa, où se trouvaient aussi des chrétiens de tradition ancestrale : chaldéens, assyriens, arméniens… Ceux-là ont quitté leur terre, leurs traditions, leurs langues. C’était la région la plus prospère de Syrie, avec beaucoup de pétrole et une riche agriculture. Les chrétiens ont tout perdu. Nous ne devons pas oublier Alep, qui a aussi beaucoup souffert. Et dans les dernières années, ce fut aussi le cas de Damas.
L’unique région où les souffrances ont été minimes, est le littoral, même si certains villages ont été touchés par la violence djihadiste et que certains chrétiens ont tout de même dû quitter leurs maisons.
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Excellence, récemment, vous avez lancé un appel pour les “enfants sans nom”, les orphelins de la guerre.
Une fois la guerre à Alep terminée, nous avons découvert des milliers d’enfants sans parents, orphelins ou abandonnés. Certaines sources parlent de 6 000 enfants qui vivent dans la rue ou dans des maisons à moitié détruites. Ces petits garçons, ces petites filles, sont pour la plupart inconnus des registres officiels, non-déclarés ou issus de parents inconnus. Le Parlement syrien est en train d’élaborer une loi à ce propos, mais cela prend du temps. Selon les sources locales, ils seraient 30 000 dans tout le pays.
L’Église a décidé d’agir, inspirée par notre esprit franciscain. Ces enfants, tous nés d’un ou deux parents musulmans, sont livrés à eux-mêmes, et pourraient devenir les terroristes de demain, parce qu’ils grandissent dans la haine et l’abandon.
Qu’êtes-vous en train de mettre en place ?
À Alep, en collaboration avec les autorités musulmanes, nous avons lancé le programme “Un nom et un avenir”, en ouvrant deux centres de soutien psychologique dans la partie occidentale de la ville et nous projetons l’ouverture d’un troisième centre. Une équipe travaille auprès du Collège de Terre Sainte et est coordonnée avec beaucoup de dévouement et de compétence par frère Feras Lutfi et par une femme médecin musulmane très ouverte d’esprit et intelligente. En plus de la partie psychologique, nous cherchons à intervenir avec des activités récréatives.
Excellence, croyez-vous que la guerre soit finie ?
Assurément, une page de la guerre s’est tournée, elle a duré 8 ans. Mais aujourd’hui une autre est en train de s’écrire, autrement délicate. N’oublions pas que des forces étrangères sont toujours à l’œuvre dans le pays. Quels accords seront alors signés et quels impacts ces accords auront-ils sur la situation en Syrie ? Pendant ce temps-là, les gens souffrent et aujourd’hui plus que jamais, un soutien est nécessaire. La guerre est peut-être finie mais l’urgence demeure.♦
Le sanctuaire de l’accueil
Le vacarme des tambours du défilé des scouts qui se retrouvent au cimetière du Mémorial Saint-Paul pour leur répétition, se mêle aux klaxons des voitures qui encombrent les ruelles autour de Tabbaleh, un des quartiers populaires de Damas.
Frère Raimondo Girgis, ayant étudié le droit canonique, auteur de différents traités sur le sujet, est le recteur de ce qui, avant la guerre, était l’un des lieux les plus visités de Syrie et un but de pèlerinage pour les chrétiens du monde entier. À l’occasion de l’année paulinienne en 2008, la custodie de Terre Sainte a entièrement rénové la chapelle construite à proximité des lieux archéologiques qui font mémoire de la conversion de saint Paul.
Ce temps nous semble aujourd’hui préhistorique. À côté du Mémorial, se dresse une Casa Nova, maison d’accueil pour les pèlerins, comme il en existe en Israël et Palestine, gérées par la custodie. “Aujourd’hui, explique frère Raimondo, cet endroit est devenu un sanctuaire de charité. Nous accueillons des personnes malades, surtout atteintes de cancer, venues de différentes parties de Syrie.” La guerre dans beaucoup de régions du pays a détruit les hôpitaux et toute possibilité d’accès à des soins médicaux. Certaines maladies ont ainsi augmenté, telles que les tumeurs. Ces derniers mois, les informations annonçaient la maladie d’Asma al-Assad, épouse du Président, affectée d’un cancer du sein. Comme elle, beaucoup de Syriens se battent contre de terribles maladies, sans jouir cependant des mêmes accès aux soins.
Dernière mise à jour: 02/04/2024 13:38