Des jeunes hommes avec la kippa et les payot (les boucles des juifs ultra-orthodoxes) dansent avec tous les autres à l’occasion du mariage du fils du maire dans un village palestinien de Cisjordanie. C’est le contenu d’une vidéo qui fait le tour des réseaux sociaux et qui s’est retrouvée au cœur d’une polémique en Palestine. L’homme politique en question – un représentant du Fatah, le parti du président Mahmoud Abbas – a été sévèrement attaqué pour la présence de haredi à la fête de famille. Et après une défense assez peu probable – il a affirmé que de jeunes juifs se seraient incrustés au mariage, avec des intentions provocantes (ce qui contrastait par rapport aux images) -, il a été contraint de démissionner.
L’affaire a levé le voile sur un aspect peu connu de la vie en Cisjordanie. Nous avons l’habitude de penser aux relations entre les colonies israéliennes et les villages palestiniens voisins, uniquement à travers le récit d’affrontements. Ce qui est une réalité évidente et également difficile. Mais il existe aussi différentes situations, où la vie côte à côte – malgré des milliers de contradictions et de difficultés – ouvre des perspectives inattendues de rencontres. En Cisjordanie, il arrive que le maçon palestinien se retrouve à réparer le toit de la maison d’un colon ou simplement se rende là où tout le monde va faire ses courses à bon marché. Et si dans 99% des cas, la méfiance l’emporte, il y a aussi des situations dans lesquelles ce type de rencontre crée un lien d’amitié ou, en tout cas, de respect mutuel. Et c’est probablement ce qui s’est passé entre les jeunes israéliens et palestiniens du mariage en question.
Seulement, ce type de relation marche entre des personnes réelles, alors qu’un buzz sur les réseaux sociaux se nourrit d’icônes stéréotypées. Il n’est donc pas surprenant que l’histoire des jeunes juifs ultra-orthodoxes au mariage palestinien se soit retrouvée dans l’affrontement exclusivement palestinien au sujet de la « normalisation ». Concrètement : toute initiative conduisant Israéliens et Palestiniens à tout partager finit par susciter des lectures politiques à Ramallah. On pointe du doigt ceux qui « sous prétexte de dialogue font passer l’occupation comme une chose normale ». Aujourd’hui, c’était le mariage du fils du maire, mais hier, la même accusation était dressée – par exemple – aux enseignants des écoles qui proposaient la méthode du « double récit » pour étudier l’histoire du conflit, à partir aussi du point de vue de l’autre.
La question est extrêmement délicate car la « normalisation » est un réel problème : dans une situation où il n’y a plus d’horizon de négociation pour pouvoir au moins espérer parvenir à la paix dans la justice entre Israéliens et Palestiniens, les rapports de forces imposés avec des armes se perpétuent, les colonies continuent à se multiplier, les murs nous permettent de faire semblant de ne pas voir ce qui se passe de l’autre côté. Mais qualifier toute forme de rencontre de « normalisation » est-il vraiment le moyen de résoudre ce genre de problèmes ?
C’est ce que conteste un article publié ces jours-ci sur le site de Rabbis Without Borders (Rabbins sans frontières) d’Hanan Schlesinger, juif religieux, l’un des fondateurs de Roots (Racines), l’organisation la plus importante qui favorise en Cisjordanie le dialogue apparemment impossible entre les colons et les Palestiniens. Hanan lui-même est un colon dont la vie a changé il y a cinq ans lorsqu’il a choisi un jour de prendre un autostoppeur palestinien ; en violant le dogme de la séparation, il a découvert l’humanité de ceux qui sont de l’autre côté. Et avec son ami palestinien Ali Abud Awwad, il a commencé à promouvoir ce type de rencontre. Ensemble, ils ont mûri une idée : peut-être qu’au lieu de la division, l’amour pour ce même pays pourrait devenir une voie plus concrète que les solutions étudiées par les politiciens pour rapprocher les Arabes et les juifs.
Maintenant, en commentant l’épisode du mariage, Schlesinger reconnaît les difficultés de ce type de parcours : le climat – explique-t-il – devient pesant autour des Palestiniens qui y adhèrent, accusés eux aussi de normalisation ». Mais – soutient Schlesinger – c’est déraisonnable car au final il ne fait qu’accentuer la séparation, qui est alors le meilleur allié de l’occupation. « Si elle est bien utilisée – argumente-t-il – l’interaction entre les personnes pourrait être votre « arme secrète », vous, Palestiniens. Je l’ai appris de mon expérience personnelle : les Arabes qui m’ont laissé entrer dans leur vie m’ont transformé en défenseur de leurs droits ».
« Chers Palestiniens – c’est la conclusion de sa réflexion – nous n’avons aucune intention de venir ruiner vos fêtes, mais si vous nous y invitez, nous viendrons. » Trouvez du courage. Bien sûr, ce ne sera pas facile. La résistance non violente à l’injustice n’est jamais facile. Vous devrez vous opposer aux tabous de votre société comme aux restrictions israéliennes étouffantes qui rendent souvent nos interactions extrêmement difficiles. Rebellez-vous en lançant des formes massives de rencontre entre Israéliens et Palestiniens ; présentez-les comme une résistance non violente au statu quo, menez-les comme un acte de rébellion. Trois jeunes juifs – ou même plus – en habits religieux à chaque mariage palestinien en Cisjordanie et, au final, une discussion sérieuse sur les souffrances et les injustices de l’occupation : cela ne pourrait-il pas devenir le moyen de changer les choses ? ».