Un sol de mosaïques d’environ 1 500 ans retrouvé dans une église à Hippos (nord d'Israël) représente apparemment le miracle de la multiplication par Jésus des cinq pains et des deux poissons décrit dans l'Evangile.
A Antiocha-Hippos (Sussita), ancienne ville de la Décapole sur la rive orientale du lac de Tibériade en Galilée, un tapis – très dense – de mosaïques colorées, a été mis au jour. La découverte a eu lieu cet été, fait savoir ce 4 septembre un communiqué de l’Université de Haïfa (Israël) dont les chercheurs ont réalisé des fouilles dans l’une des sept églises connues sur le site. L’église en question, dite « brûlée », a été construite entre la seconde moitié du Ve siècle et le début du VIe siècle. L’édifice aurait été détruit lors d’un incendie probablement durant l’invasion par les Sassanides (dynastie perse) au début du VIIe siècle, selon les chercheurs, et la toiture se serait alors effondrée. D’après le communiqué, le sol de mosaïques figuratives doit son salut à une couche de cendre qui l’a protégée des siècles durant (des effets du temps, de la pluie et du soleil ou d’éventuels pillages comme on peut le supposer), jusqu’à ce qu’une équipe d’archéologues du projet de fouilles Hippos-Sussita effectuées dans le parc national Sussita géré par l’Autorité de la Nature et des Parcs d’Israël, la révèle au grand jour. Et ce, sous la houlette de l’américaine Jessica Rentz, responsable de la gestion d’une zone de fouilles pour sa toute première saison.
Dans les semaines qui ont suivi sa découverte, la plus grande partie du tapis de mosaïque (10×15 mètres) de « l’église brûlée » a été nettoyée et conservée par Yana Vitkalov de l’Autorité des antiquités israéliennes. Composent ce tapis de tesselles motifs géométriques, oiseaux, paon, poissons dodus, citrons, grenades (symbole chez les chrétiens de la résurrection et de la vie éternelle), corbeilles de pains dont « les couleurs peuvent refléter différents types de farine, de blé et d’orge », a expliqué dans les colonnes du journal Haaretz, Michael Eisenberg, chef de l’équipe de fouilles à Hippos pour le compte de l’Institut d’archéologie de l’Université de Haïfa.
Dans l’église, les mosaïques ont la particularité de représenter dans l’abside deux poissons, et dans la nef deux séries de trois poissons ainsi que douze corbeilles à cinq pains rappelant les douze paniers avec lesquels sont restés les douze apôtres à l’issue du repas d’une foule d’environ 5 000 personnes (sans compter femmes et enfants) que Jésus avait nourrie en multipliant miraculeusement cinq pains et deux poissons, selon l’Evangile de saint Matthieu (14, 21). Une telle iconographie et l’emplacement de l’église surplombant le lac de Tibériade « établissent immédiatement le lien » avec le miracle de Jésus, indique le communiqué de l’Université de Haïfa. « Il peut certes y avoir différentes explications aux descriptions des pains et des poissons dans la mosaïque, mais vous ne pouvez pas ignorer la similitude avec la description du Nouveau Testament », confie l’archéologue Michael Eisenberg.
Hippos ou Tabgha ?
Bien que l’emplacement de la multiplication des cinq pains et des deux poissons ne soit pas clairement précisé dans les Evangiles, la tradition veut que ce soit le site de Tabgha, sur la rive occidentale du lac de Tibériade, près de Capharnaüm, qui soit reconnu comme le lieu du miracle. Le sanctuaire est élevé sur les vestiges d’une église du IVe siècle et d’une basilique du Ve siècle et abrite une célèbre mosaïque du Ve siècle retrouvée in situ qui représente deux poissons et un panier rempli de quatre pains.
Michael Eisenberg qui veut rester prudent quant à l’interprétation de la nouvelle mosaïque, précise bien le communiqué, fait toutefois remarquer que « si on lit attentivement le Nouveau Testament, il est évident que [le miracle] aurait pu se dérouler au nord d’Hippos, dans les environs de la ville ». Il est en effet écrit dans l’Evangile de saint Jean (6, 17) qu’après son miracle, Jésus est resté prier dans la montagne et les disciples, quant à eux, se sont rendus de l’autre côté de la mer de Galilée, en direction de Capharnaüm. Une version qui plaiderait donc plutôt en faveur d’une localisation du miracle à Hippos.
Un autre argument jouerait en faveur d’Hippos, indique le communiqué. Car, à Tabgha, si la mosaïque représente bien deux poissons, la corbeille ne contient que quatre pains alors que les quatre Evangiles qui mentionnent tous le miracle, font précisément état de cinq pains. Ce qui est le cas dans la mosaïque d’Hippos qui, en sus, fait figurer les douze fameux paniers de la fin du repas. Et il y a bien dans la mosaïque de l’abside de l’église brûlée deux poissons… mais géographiquement décorrélés des paniers représentés sur la grande mosaïque de la nef.
A l’inverse, à Tabgha, la corbeille de pains est clairement entourée de deux poissons, évoquant ainsi de manière éloquente le miracle. De plus, Michael Eisenberg n’élude pas l’existence de « différences entre la représentation de la mosaïque de l’église brûlée et la description dans le Nouveau Testament ». Il note notamment que les paniers ne sont pas tous remplis de pains. Certains portent des fruits. Le chercheur fait aussi remarquer que lesdits paniers sont entourés de deux trios de poissons au lieu de seulement deux poissons, mentionnés dans les Ecritures.
En définitive, il n’y a pour l’heure aucun moyen, aucune inscription contextuelle qui permette de vérifier si l’intention de la conception par les auteurs de la mosaïque, était de revendiquer Hippos comme étant le lieu où le miracle s’est produit, ou tout simplement d’en faire une simple évocation étant donné la proximité géographique avec le lac de Tibériade. « Nous terminerons l’excavation et le nettoyage des 20% restants de la mosaïque et examinerons cette [dernière] hypothèse avec soin. Les poissons eux-mêmes ont un certain nombre de significations symboliques supplémentaires dans le monde chrétien, et leur interprétation requiert de la prudence », a résumé Michael Eisenberg.
Les fouilles de « l’église brûlée » à Hippos-Sussita ont également révélé deux inscriptions en grec, assez mal orthographiées et avec des fautes de grammaire, comme l’a rapporté Haaretz. Ce qui laisse supposer que les habitants ne parlaient pas couramment le grec à l’époque byzantine. La langue aurait été gardée seulement pour la liturgie. Le premier texte évoque deux prêtres de l’église, Theodoros et Petros, qui firent construire un martyrium, sanctuaire à la mémoire d’un martyr généralement bâti autour d’une relique centrale. Le second texte, situé à l’intérieur d’un médaillon de mosaïque à l’entrée de la nef, dévoile le nom du martyr, un certain Theodoros.