Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Face à la crise, les Eglises au Liban lancent un cri d’appel

Christophe Lafontaine
24 octobre 2019
email whatsapp whatsapp facebook twitter version imprimable
Le cardinal maronite Bechara Raï s’exprimant au nom des Eglises chrétiennes du Liban, le 23 octobre 2019 au siège de son Patriarcat à Bkerké (Liban) © Patriarcat maronite/bkerki.org

Au vu de la gravité de la situation au Liban, les Eglises chrétiennes ont exhorté l'Etat, le 23 octobre 2019, à répondre aux demandes du peuple. A l’instar de la plus haute autorité sunnite et du chef spirituel des druzes au Liban.


Depuis le 17 octobre, cent ans après la naissance de leur Etat, les Libanais sont dans la rue. Ils réclament la démission du gouvernement, rejettent sa classe dirigeante en place depuis près de 30 ans, qu’elle accuse de corruption et de népotisme, et dénoncent leurs conditions de vie. Face à ce mouvement d’ampleur « historique et exceptionnel », c’est au nom des Eglises et des représentants des communautés chrétiennes au Liban que le Patriarche maronite, le cardinal Bechara Raï, a pris la parole hier. Il a à ce titre lancé un triple appel au pouvoir en place, aux Libanais et à la communauté internationale.

La déclaration commune qu’il a lue à l’issue d’une réunion extraordinaire à Bkerké (siège du Patriarcat maronite) s’adressait d’abord aux autorités du pays qui ont été plus que vivement invitées « à prendre des mesures sérieuses, radicales et courageuses »pour sortir le pays de la crise politique et socio-économique majeure dans laquelle il se trouve. Pour les Eglises chrétiennes, une chose est sûre : « la paralysie persistante de la vie publique dans le pays entraînerait son effondrement économique et financier, qui se retournerait contre le peuple libanais ». D’où l’urgence : « Il est grand temps que l’Etat réponde aux demandes justes et que la vie des gens revienne à la normale ».

Réformes structurelles

C’est dans ce sens que les Eglises chrétiennes au Liban, qui appuient ce mouvement populaire inédit – « Nous soutenons vos demandes (…). Ce que vous avez fait est plus qu’un soulèvement » -, ont explicitement indiqué une feuille de route à suivre aux autorités. Certes, le Premier ministre Saad Hariri a déjà proposé lundi – « sous la pression de la rue », soulignent les Eglises – un plan de réformes économiques et financières : un budget 2020 sans impôts supplémentaires, baisse de 50% des salaires du Président, des ministres et des députés (actuels et anciens), une réforme des retraites, de nouvelles taxes sur les banques, un plan de lutte contre la corruption et une refonte du secteur de l’électricité. Si cela constitue « une première étape positive » aux yeux des Eglises, ce n’est toutefois pas suffisant. Il faut, a déclaré le patriarche Bechara Raï au nom des signataires de « l’appel de Bkerké » aller plus loin dans la réponse à donner aux manifestants. Il s’agirait notamment de remanier le gouvernement, favoriser une gouvernance démocratique et impartiale, installer un système judiciaire indépendant, mettre en place une administration décentralisée qui soit gérée par des personnes compétentes, crédibles, intègres et patriotes.

S’adressant directement au Président de la République, Michel Aoun, qui est le gardien de la Constitution, les leaders chrétiens l’ont enjoint à entamer sans délai des consultations avec les dirigeants politiques et les chefs de communautés religieuses pour prendre les décisions qui s’imposent en ce sens. La Ligue maronite a, pour sa part, indiqué dans un communiqué publié hier et rapporté par L’Orient-Le Jour dans la foulée, qu’elle soutenait l’appel du cardinal Raï que « la poursuite des manifestations jusqu’à obtention des demandes (des citoyens) est légale aux plans humain, national et constitutionnel et nous la soutenons ».

Mise en garde contre risques d’un coup d’Etat

Derrière ce premier appel des Eglises aux autorités du pays, les chefs des Eglises chrétiennes ont demandé au peuple libanais (ainsi qu’à la diaspora libanaise) de préserver la « pureté » et le « calme » du mouvement pour « empêcher toute partie d’exploiter son cri, de le transformer en coup d’Etat et d’en déformer son visage démocratique ». Les Eglises, saluant au passage le travail des forces armées et des forces de sécurité libanaises, ont mis en garde les manifestants en leur demandant de respecter la liberté de circulation des citoyens pour répondre notamment à leurs besoins médicaux ou nécessités d’ordre professionnel ou scolaire, et ce, afin que l’opinion publique ne se retourne pas contre eux. Par la voix du Patriarche maronite, les manifestants ont aussi été appelés « à se mettre d’accord entre eux sur des personnes parlant en leur nom auprès des autorités pour aboutir aux solutions ».

Enfin, c’est vers la communauté internationale que se tournent les Eglises, l’appelant à jouer « son rôle » en soutenant non seulement « la première démocratie qui a vu le jour en Orient » mais aussi en préservant ce rare « mouvement d’unité islamo-chrétien ». Aussi, afin d’épauler le Liban impacté par les conflits régionaux, la communauté internationale est vivement poussée à faire appliquer les résolutions internationales.

A noter que les Eglises chrétiennes n’ont pas été les seules représentations religieuses à s’être exprimées. Dar el-Fatwa, la plus haute autorité de l’islam sunnite au Liban, basée à Beyrouth et présidée par le grand mufti de la République libanaise, Abdellatif Deriane, a également appelé l’Etat à « répondre aux revendications justes » des manifestants, cité dans les colonnes de L’Orient-Le Jour. « Le pays passe par un tournant dangereux » et la situation « doit être traitée rapidement », a-t-il ajouté.

Le cheikh akl druze, Naïm Hassan, a estimé quant à lui que « la situation difficile dans laquelle se trouve le pays est causée par les profondes souffrances du peuple libanais qui se révolte pour ses droits, sa dignité et les choses les plus basiques de la vie loin des divisions communautaires, et cela nous pousse à affirmer que personne n’a le droit de négliger ou de sous-estimer la voix du peuple ». « Nous devons trouver des issues exceptionnelles (à la crise) qui préservent avant tout le droit du peuple à une vie libre, digne et juste », a-t-il ajouté.

Sur le même sujet
Le numéro en cours

La Newsletter

Abonnez-vous à la newsletter hebdomadaire

Cliquez ici
Les plus lus