C’est un sacré rebondissement qui donne un peu d’espoir aux Eglises de Terre Sainte. Le journal israélien Haaretz a rapporté hier soir qu’un juge du tribunal de district de Jérusalem avait annulé la décision de justice (et ainsi accepté de facto une demande de nouveau procès) selon laquelle trois propriétés du Patriarcat grec-orthodoxe, situées dans le quartier de la Porte de Jafffa à l’entrée occidentale de la vieille ville de Jérusalem, avaient été légalement vendues à Ateret Cohanim, une organisation nationaliste juive. L’Eglise, elle, a toujours affirmé que la transaction avait été conclue au moyen de pots-de-vin et de fraudes. Il s’agit – pour être exact – de baux emphytéotiques qui équivalent de facto à une vente.
Ateret Cohanim (en français : Couronne des prêtres) est née il y a quarante ans et cherche à accroître la présence juive dans la vieille ville en rachetant des maisons dans les quartiers historiquement musulman, chrétien et arménien. L’organisation a été ainsi accusée plusieurs fois par les Eglises chrétiennes de vouloir notamment affaiblir la présence chrétienne dans la vieille ville de Jérusalem. Le 12 juin dernier, dans une déclaration commune les 13 patriarches et chefs des Eglises chrétiennes de Jérusalem dénonçaient en effet « les attaques du groupe extrémiste qui tente de s’emparer des propriétés orthodoxes de la porte de Jaffa, [qui] portent non seulement sur les droits de propriété de l’Eglise orthodoxe de Jérusalem, mais aussi sur la protection du statu quo pour tous les chrétiens de la ville sainte et menacent la présence chrétienne originelle en Terre Sainte ». Le statu quo étant l’ensemble de règles qui régit les rapports entre les diverses communautés religieuses à l’intérieur de la ville sainte.
Mais comme un « deus ex machina », la décision du tribunal de district de Jérusalem annoncée hier dans la presse israélienne, vient rabattre les cartes. Elle intervient après que les intermédiaires étrangers – trois sociétés écran – œuvrant pour le compte d’Ateret Cohanim, n’ont pas déposé de lettre de défense dans les délais impartis contre un recours, remontant à cet été, de la part de l’Eglise grecque-orthodoxe pour faire annuler le jugement approuvant la vente de ses biens.
L’affaire en est à son énième épisode. Le 10 juin dernier, dans un verdict qui semblait être le point final à 15 ans de bataille juridique, la Cour suprême d’Israël avait approuvé la vente des trois propriétés de l’Eglise grecque-orthodoxe à Ateret Cohanim, reconnaissant ainsi à l’organisation juive des droits légaux sur les bâtiments concernés (l’hôtel Petra et le New Imperial Hotel, ainsi qu’un autre immeuble résidentiel, tous trois dans la vieille ville). La Cour suprême confirmait là une décision rendue le 1er août 2017, déjà par le tribunal de district de Jérusalem.
Les biens concernés avaient été achetés en 2004 à l’Eglise grecque-orthodoxe alors dirigée par le patriarche Irénée Ier. Le scandale éclatant, il fut très vite destitué et remplacé la même année par Theophilos III. Ce dernier avait promis aux autorités jordaniennes et palestiniennes d’annuler les transactions. Au prétexte que les ventes concernées avaient été réalisées de manière frauduleuse et peu transparente. Non seulement parce qu’elles avaient été effectuées sans l’autorisation du conseil synodal (collège supérieur qui s’occupe des questions ecclésiastiques et des détails liés à l’administration de l’Eglise grecque-orthodoxe de Jérusalem) mais aussi parce que son directeur financier aurait été soudoyé par Ateret Conhanim (pots-de-vin et fixation du prix de vente des immeubles à un niveau inférieur de leur valeur marchande). L’Eglise estimait par conséquent que les contrats de vente étaient illégaux.
En attente d’une décision sur le fond
Mais faute de preuve suffisante de fraude et de corruption, la juge Gila Canfy Steinitz du tribunal de district de Jérusalem décida de valider en 2017 les ventes approuvant le fait que le patriarche Irénée Ier avait le pouvoir de conclure les ventes au nom de son Eglise et que son directeur des finances avait été son mandataire dans la procédure. Et c’est donc peu avant l’été que la Cour suprême lui a emboîté le pas en décidant de rejeter un recours du patriarche Theophilos III en considérant les ventes comme étant légales et en approuvant alors le transfert à Ateret Cohanim des propriétés. Ouvrant la voie à l’expulsion très probable de leurs résidents à l’avenir.
La décision de la Cour suprême avait poussé la plupart des chefs des Eglises de Terre Sainte à protester ensemble par la prière en juillet dernier devant le New Imperial Hotel pour exprimer de nouveau leurs craintes concernant le caractère chrétien du quartier de la Porte de Jaffa et son accessibilité aux fidèles et pèlerins.
Quelques semaines plus tard, en août, le Patriarcat grec-orthodoxe décida de déposer une requête en annulation de la décision prise en 2017 par la juge Gila Canfy Steinitz du tribunal de district de Jérusalem arguant disposer de « preuves claires » et « découvertes récemment » comme l’a rapporté Haaretz. Pots-de-vin, fraudes, parjures, falsification de documents présentés au tribunal, et même une tentative présumée de corruption sexuelle. Selon Ynet, le rapport du procureur fait aussi état « d’enregistrements » prouvant des mensonges et dissimulations de documents au cours de la procédure judiciaire.
Et ce sont sur ces preuves que le Patriarcat grec-orthodoxe mise. Pour autant, si la juge Tamar Bar-Asher du tribunal de district de Jérusalem a ordonné que l’affaire soit reprise – et donc en attendant la vente gelée – c’est d’abord parce que les trois sociétés écrans étrangères affiliées à Ateret Cohanim n’ont pas déposé de réponse à la requête de l’Eglise dans les délais impartis. Ainsi pour l’heure, souligne Haaretz, « sa décision n’a pas été rendue sur le fond de l’affaire ».