Michel est accoudé derrière le comptoir de son épicerie de la porte de Jaffa. De là il a une vue imprenable sur la foule qui va et vient. C’est la fête de souccot à Jérusalem, la fête des tentes ou des tabernacles, une des trois fêtes de pèlerinage du judaïsme où la Torah commande à un juif observant de se rendre au Temple. Si le Temple n’existe plus, du moins le lieu où a reposé la présence divine existe-t-il encore, alors les pèlerinages continuent et ont repris de plus belle ces dernières années. Il n’y a jamais eu tant de monde pour les fêtes juives d’automne.
Pour Michel, c’est une aubaine. Par ces chaudes journées, il vend glaces et bouteilles d’eau en grand nombre. “Un juif est entré dans le magasin un jour. Il a montré son mécontentement qu’il ne soit pas tenu par un juif”. Derrière l’épaule de Michel une simple croix en bois orne le mur. “Depuis quand êtes-vous là ?”, lui a demandé le client agacé. Michel, lui n’est pas du genre à s’énerver. Du doigt il désigne en hauteur une vieille caisse enregistreuse qui affiche la monnaie en pounds et mils – la livre sterling des Britanniques. “Elle parle pour moi. Nous étions là avant eux et ils me font le reproche d’exister encore.” Michel hausse les épaules. “Ma présence est une forme de fidélité à Jérusalem. Une forme d’espérance aussi, car les chrétiens sont là depuis 2000 ans, quels qu’aient été les régimes politiques.” Si ce n’était que sa présence au magasin est menacée par les plus radicaux des colons à cause d’une sombre histoire d’acquisition frauduleuse de l’immeuble où il loue son pas de porte, Michel n’a rien contre les juifs en tant que juifs. À vrai dire il y a une chose que de derrière son comptoir il admire secrètement : “La transmission de la foi, la transmission de l’amour de cette terre et de Jérusalem. Il faut bien avouer que nous chrétiens palestiniens, comparés aux juifs et aux musulmans, nous avons failli. Nos enfants désertent les Églises et ne pensent qu’à émigrer.” C’est pour lui une préoccupation. Mais Michel résiste. Ce chrétien syriaque est entouré de tous ses enfants pour sa joie.
Derrière son comptoir, Michel sert ses clients avec la même constance sans souci de leur religion ni de leur origine dès lors que l’on reste courtois et poli devant lui. Discrètement il observe la foule et songe à ce qu’elle traduit des évolutions de la ville. Et Michel prie aussi, pour sa famille, pour ses enfants, pour les chrétiens d’ici et ceux de passage et pour la paix sur Jérusalem. Merci Michel d’être une vigie sur nos pas dans la Cité sainte. ♦
Dernière mise à jour: 15/04/2024 13:55