Jordanie : la plus ancienne pièce d’échecs découverte ?
Ciselé dans un petit rectangle en gré blanc, un artefact découvert dans le sud de la Jordanie pourrait s’avérer être la plus vieille pièce de jeu d’échecs au monde. L’objet de moins de 2,5 centimètres, légèrement biseauté et daté d’il y a environ 1300 ans, au début de l’ère musulmane, a été retrouvé en 1991 sur le site d’Humayma (Hawara dans son appellation moderne) qui a prospéré pendant des centaines d’années à l’ombre de nombreuses cultures.
Les structures sur le site comprennent des tombes datant du Ier siècle ap. J.-C., un fort romain, des églises byzantines, des mosquées et des ruines islamiques datant du VIIème siècle. C’est dans ces ruines que les chercheurs ont découvert ce qui serait une pièce d’un jeu d’échecs. En tous les cas, selon les récentes conclusions de celui qui dirigea il y a près de 30 ans les fouilles in situ, John P. Oleson, professeur d’archéologie à l’université Victoria en Colombie-Britanniqueau Canada. Conclusions qu’il a rendu publiques lors de la rencontre annuelle des American Schools of Oriental Research, qui s’est tenue cette année, du 20 au 23 novembre, à San Diego, en Californie (Etats-Unis).
A l’origine, le chercheur pensait que l’objet surmonté de deux saillies symétriques (de la forme de « deux cornes »), était un autel nabatéen miniature ou un bétyle (pierre sacrée faisant l’objet de vénération). Après une nouvelle étude récente, John P. Oleson a estimé dans le résumé qui a été fait de sa recherche que « les parallèles avec les pièces d’échecs du début de l’islam sont beaucoup plus convaincants ».
Pour l’archéologue, « l’objet apparaît comme une « tour » (ou « château ») et a la forme abstraite typique de cette pièce du jeu ». La tour est cette pièce dans le jeu d’échecs qui peut se déplacer rapidement verticalement et horizontalement sur un damier à travers un nombre quelconque de cases inoccupées. Selon Science Post, ce type de pion était en réalité censé représenter autrefois un char à deux chevaux (le mot “rook” en anglais, qui signifie “tour”aux échecs, vient du mot persan “rukh” qui désigne un char). « D’où la présence des deux protubérances qui font référence aux endroits où l’on attelait les chevaux », explique Science Post. Mais les musulmans évitant les représentations figuratives ont sans doute peu à peu stylisé le pion persan.
D’autres objets plus tardifs trouvés dans des sites archéologiques de Jordanie et du Proche-Orient qui ont été identifiés comme des tours d’échecs sont presque identiques à l’artefact de grès retrouvé à Humayma, qu’ils soient en bois, en pierre ou en ivoire. Et tous sont, selon John P. Oleson, « presque identiques au design et à l’échelle de l’objet d’Humayma ». Inventé au Vème siècle ap.J.-C., selon les historiens, en Asie, sans doute en Inde, le jeu d’échecs s’est rapidement répandu dans le monde perse et dans le monde arabe, avant de gagner le monde entier.
Les références islamiques aux échecs remontent dès 643 ap. J.-C. et selon John P. Oleson, il s’agissait d’un passe-temps populaire dans le monde islamique à la fin du califat omeyyade (maison caliphale qui gouverna le monde musulman de661 à 750). Pour autant, les plus anciennes pièces retrouvées ne remontaient jusqu’alors qu’au VIIIème siècleap. J.-C. Et l’archéologue d’ajouter : « étant donné que l’artefact a été trouvé dans le contexte du VIIème siècle, si l’identification comme pièce d’échecs est correcte, il s’agirait possiblement du plus ancien exemple connu d’une pièce d’échecs ».
Pour l’archéologue, « le jeu a probablement été transporté d’Inde vers l’ouest par le mouvement des marchands et des diplomates». Le fait d’avoir retrouvé une pièce d’échecs à Humayma, un comptoir d’échange commercial tenue par la dynastie des Abbassides (qui régna une grande partie du monde islamique jusqu’en 1258) n’a rien de surprenant selon lui puisque le site se trouvait sur la très fréquentée Via Nova Traiana, une ancienne route commerciale entre l’Inde et le Proche et Moyen-Orient.
Et puisque la tour d’Humayma est sculptée dans du grès local, celainidque que la personne qui la possédait n’était probablement pas de l’élite. Une preuve que le jeu d’échec s’est rapidement propagé non seulement sur le plan géographique mais aussi touché toutes les strates sociales.
L’hypothèse qu’il s’agirait d’une tour d’échecs a besoin d’autres confirmations. Bien que John Oleson affirme qu’il s’agit de l’explication la plus probable, vu le contexte historique et géographique. Mais des travaux supplémentaires sont nécessaires pour vérifier que l’objet en pierre est bien une pièce d’échecs avant de pouvoir être désigné comme tel et peut-être que le tablier du jeu et d’autres pions du jeu pourront à l’avenir être retrouvés. Au risque sinon pour les archéologues d’être tenus en échec…