Grâce Al-Zoughbi Arteen est une Palestinienne protestante, originaire de Bethléem. Elle grandit au sein d’une famille évangélique méthodiste puis décide, au sortir du lycée, de se lancer dans des études de théologie.
En 2010, Grâce part étudier en Angleterre à la London School of Theology, et y rédige une thèse sur le thème : “Étude de six femmes d’influence : leur impact personnel dans l’Ancien Testament et dans la Palestine actuelle”.
Elle continue aujourd’hui ses travaux en Angleterre, en travaillant notamment sur l’éducation théologique des femmes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.
Nous l’avons rencontrée chez elle, à Bethléem.
Grâce, pouvez-vous nous parler de l’Église Évangélique méthodiste de Palestine ?
L’Église Évangélique à laquelle j’appartiens, à Bethléem, est très familiale. Nous sommes une très petite minorité. L’endroit où nous nous rencontrons réunit en moyenne une trentaine de personnes […]. L’Église Évangélique de Palestine en compte quelques centaines, réparties entre Bethléem et le reste du territoire palestinien, à Ramallah, Jérusalem, etc. Nous nous réunissons à l’occasion de conférences et surtout du Conseil Évangélique de Terre Sainte, qui rassemble une fois par mois tous les pasteurs évangéliques.
Les femmes sont-elles présentes au sein des autres Églises Évangéliques de la région ? Souhaitent-elles, comme vous, faire des études de théologie ?
Oui. Jusqu’ici, lorsque nous nous retrouvons en Conseils, une bonne part de femmes sont présentes dans les assemblées. Elles participent activement aux prières et aux groupes de partage, ainsi qu’aux conférences. Mais il n’y en a sûrement pas autant qu’il devrait y en avoir… Je crois que beaucoup de ces femmes souhaiteraient faire de la théologie, mais malheureusement elles n’ont pas la motivation de suivre ce genre de parcours, souvent en raison du contexte culturel ou religieux dans lequel elles se trouvent.
Pouvez-vous nous parler de votre thème de recherche ?
Je travaille actuellement sur l’éducation à la théologie des femmes arabes au Moyen-Orient. Je pense que l’étude et l’enseignement de la Bible, aussi bien de l’Ancien que du Nouveau Testament, est quelque chose d’essentiel pour tout chrétien. J’essaye d’étudier comment nous pourrions aider les femmes arabes à dépasser les obstacles qui se dressent devant elles, pour être davantage actives au sein de l’Église et enseigner à leur tour les autres sur la parole du Seigneur.
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Pourquoi ce thème vous tient-il particulièrement à cœur ?
À vrai dire, lorsque j’ai mené ma licence d’étude de la Bible (à Bethléem), j’ai rencontré énormément d’étudiantes qui étaient très intelligentes, parfaitement aptes à faire des études, mais qui n’ont pas eu la possibilité de continuer dans cette voie. J’ai trouvé cela extrêmement dommage. Par chance cela a toujours été facile pour moi d’étudier, en particulier la théologie, parce que j’ai été encouragée par ma famille et ensuite mon mari. Je veux aujourd’hui être capable d’encourager ces autres femmes et les aider à prendre leur place à l’université, mais aussi au sein de l’Église. Les aider à découvrir le potentiel qu’elles ont au fond d’elles, qui est bien trop oublié, voire négligé aujourd’hui.
Grâce Al-Zoughbi Arteen lit un passage de l’Ancien Testament dans l’église évangélique méthodiste familiale à Bethléem le 20 octobre 2019.
Vous dites que le potentiel de ces femmes est trop souvent négligé même au sein des Églises Évangéliques ?
Oui, complètement. Il y a beaucoup de femmes ici qui ont réellement le potentiel pour étudier mais qui attendent seulement un encouragement ou du soutien de la part de leur Église, de leur famille, ou un changement au sein de leur milieu culturel. J’aimerais que ces femmes voient qu’elles peuvent servir Dieu aussi au sein de l’Église, et pas seulement dans leur famille, leur communauté ou leur travail. Il est très important que l’Église palestinienne ait une influence féminine en son sein.
En vous consacrant à la théologie, vous n’avez jamais eu peur de ne pas trouver de travail à l’avenir ?
C’est une bonne question. En réalité, quand j’ai terminé l’école, de nombreuses personnes m’ont conseillé de ne pas choisir la théologie, parce qu’elles craignaient que je ne trouve jamais d’emploi ou d’opportunité de carrière. Mais en ce qui me concerne, trouver un travail ne m’a jamais inquiétée car je crois profondément que c’est Dieu qui m’a appelée à vivre le ministère que j’ai aujourd’hui. Mais vous avez raison, il y a beaucoup de femmes, peut-être encore plus au sein de la tradition évangélique, qui craignent de ne pas trouver de travail dans ce domaine. Cela reflète la mentalité de la culture d’ici : les gens pensent qu’étudier pour obtenir un diplôme en théologie est une initiative de seconde classe. Au contraire, j’ai vraiment trouvé de la joie dans cet appel du Seigneur et dans la carrière que je mène aujourd’hui.
Je veux aujourd’hui être capable d’encourager ces autres femmes et les aider à prendre leur place à l’université, mais aussi au sein de l’Église.
Vous allez retourner en Angleterre. Comment voyez-vous la suite de vos recherches ?
La première phase de mes recherches a été celle de la documentation. Je commence maintenant les observations de terrain, en utilisant la méthodologie ethnographique. Je vais travailler avec des femmes palestiniennes chrétiennes qui sont actuellement à l’université, puis je poursuivrai mon travail de terrain en visitant différents pays arabes du Moyen-Orient. Je dois étudier le contexte et les conditions d’éducation à la théologie des femmes ailleurs qu’en Palestine. Enfin j’écrirai mes observations et verrai ce qui pourra être entrepris pour améliorer cette éducation des femmes arabes.
Mes recherches concernent majoritairement l’Église protestante, mais j’examinerai cela avec en toile de fond la situation des autres Églises chrétiennes, catholique et orthodoxe, car je pense qu’il est extrêmement intéressant de comparer ce qui se fait ailleurs, dans les autres confessions. Et plus fondamentalement, je crois que Dieu nous a appelés à l’unité et à dépasser nos divisions.
Pensez-vous que le fait de vivre à l’étranger influence votre perception et vos travaux sur les femmes arabes chrétiennes ?
Oui, mais je crois qu’on doit être sensible à chacune de ces deux cultures, sans chercher à calquer sur le Moyen-Orient la culture anglo-saxonne. Je ne veux pas copier dans ma réflexion ce qui se fait en Occident, je veux que les femmes arabes développent un chemin qui leur est propre. Qu’elles soient capables de parler de leurs défis, de leurs difficultés, en tant que palestiniennes ou arabes. Et je voudrais également les inciter à avoir des rêves d’avenir, et considérer la théologie et le magistère comme des composantes potentielles de leur vie de femmes.
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Comment les gens réagissent-ils à vos travaux de recherche ?
J’ai récemment publié un article sur dix-huit chrétiennes palestiniennes d’influence, qui mériteraient selon moi d’être davantage connues. J’ai été très surprise du nombre de réactions que j’ai reçues, et de l’enthousiasme des gens sur ce sujet. On m’a posé beaucoup de questions et plusieurs personnes ont voulu en savoir plus sur mon projet de thèse. On m’a également demandé s’il était possible de faire un livre à partir de cet article (rires) ! Les gens sont stupéfaits d’apprendre qu’il y a des femmes, palestiniennes de surcroît, qui veulent étudier la Bible et servir Dieu de différentes façons. Et de manière générale, l’éducation des femmes arabes à la théologie est un sujet dont les Occidentaux ont rarement entendu parler, et cela provoque beaucoup de curiosité.
Vous qui avez étudié la Bible, de quelle figure féminine biblique vous sentez-vous aujourd’hui la plus proche ?
Je les trouve toutes formidables ! Disons que dans l’Évangile selon saint Luc, au chapitre 8, j’ai toujours été très marquée par la manière dont Jeanne et Suzanne servent Jésus. Leur service a quelque chose de très “pratique”. Nous, les femmes, nous pouvons nous en inspirer : apprendre à aider là où il y a besoin d’aide, et offrir nos services d’une manière que les hommes, eux, ne peuvent pas imiter. Les disciples de Jésus ont sacrifié leur vie de famille, ont quitté leur maison pour le suivre, leur manière de servir était différente de celle des femmes.
Ne doit-on pas aussi inciter les femmes à servir Dieu en dehors de leur maison ?
Si, complètement, le concept de mission est vital chez tous les chrétiens. Je crois que c’est aussi très important que les femmes, dans la mesure où elles en ont la possibilité et que cela correspond au projet de Dieu pour elles, sortent hors de leur foyer. Il faut qu’elles rencontrent des personnes que d’autres ne pourront jamais rencontrer, car parfois, dans certaines cultures, les femmes ne peuvent être approchées que par d’autres femmes. Il est essentiel dans ce sens de pousser les femmes chrétiennes au-delà de leurs limites ! ♦
Dernière mise à jour: 01/03/2024 11:56
