Quelques pinces, une brosse, et surtout une énorme quantité de fragments de pierre de couleurs et de tailles différentes posés sur une table. Penchés sur un grand assemblage représentant la sainte Famille, les artisans mosaïstes travaillent minutieusement avec tous ces outils pour parfaire l’ouvrage. Nous sommes au Mosaic Centre (prononcer à l’anglaise saineteur) de Jéricho, en Palestine. Au cœur du désert de Judée, l’atelier dans lequel s’affairent les ouvriers est agréablement climatisé. Dans cet oasis, ils sont une petite dizaine à ciseler, brosser et poser un à un ces cubes de pierre, les tesselles. Certains sont attelés à la représentation du Christ entouré de Marie et Joseph, d’autres s’occupent de plus petites pièces aux motifs cruciformes.
Ici depuis près de deux décennies, on crée, restaure et entretient toutes sortes de mosaïques, aux compositions, tailles et types différents. C’est au début des années 2000 que le Mosaic Centre voit le jour nous explique Osama Hamdan, archéologue de formation et directeur de l’atelier. “En 1999, le centre est créé sous la supervision du professeur Michele Piccirillo du Studium Biblicum Franciscanum – raconte-t-il – l’objectif était de former du personnel spécialisé dans tous les aspects de la production de mosaïques.”
Lire aussi >> Ossama Hamdan, des mosaïques pour la Palestine de demain
Au départ six étudiants palestiniens suivirent un cursus en production, conservation et préservation de mosaïques, travaillant notamment sur celles du palais d’Hisham, site archéologique proche de Jéricho. À l’issue de cette formation, deux de ces six étudiants poursuivirent leurs travaux au Mosaic Centre. “Avec le Père Piccirillo, ma collègue italienne Carla Benelli et moi-même, nous avons définitivement établi le centre pour continuer à travailler et servir l’héritage culturel palestinien” explique Hamdan. Il comprenait un atelier mais aussi un centre de formation permanent. En 2015 le centre est devenu une association palestinienne indépendante.
Aujourd’hui le Mosaic Centre emploie environ une vingtaine de personnes de différentes origines. Si une majorité d’entre elles viennent des territoires palestiniens, on peut y retrouver aussi bien des musulmans que des chrétiens. L’équipe est également très mixte, l’atelier employant presque autant de femmes que d’hommes.
Lire aussi >> Jéricho dévoile l’une des plus grandes mosaïques au monde
Le Mosaic Centre entend en effet donner aux femmes des responsabilités importantes pour qu’elles acquièrent plus d’indépendance et puissent trouver leur place dans la société palestinienne grâce à leur travail. Une diversité et un savoir-vivre ensemble qui font l’identité du centre. “Lorsque l’on travaille en équipe, c’est important d’avoir des gens différents”, souligne Osama, qui compare son atelier à une grande production. “Quand on regarde une mosaïque, on s’aperçoit qu’elle est composée d’une infinité de toutes petites pièces. Seules, elles n’ont pas de signification et ne représentent qu’une couleur. Mais ensemble elles forment une œuvre d’art.”
L’histoire comme témoin de la culture
Dans un contexte territorial et politique difficile, le Mosaic Centre s’efforce de préserver l’héritage culturel palestinien. Par le passé la Palestine fut en effet historiquement liée à la mosaïque. Les différentes périodes qui se sont succédées ont toujours accordé une place prépondérante à cet art.
Tout commence durant la période hellénistique où les œuvres revêtaient une importance particulière. Un intérêt qui se poursuivit lors de la période romaine puis byzantine. C’est ensuite avec la construction du palais d’Hisham et du Dôme du Rocher pendant la première période islamique que les mosaïques continuèrent de jouer un rôle dans la production artistique locale. Un rôle qui ne se démentit pas à l’époque des croisades ni durant la période mamelouke.
Par le passé la Palestine fut en effet historiquement liée à la mosaïque.
Sous l’empire ottoman la mosaïque commença à être délaissée en Palestine. Il faudra attendre la seconde moitié du XIXe siècle avec les nouvelles constructions d’églises à Jérusalem et en Terre Sainte pour voir ressurgir les œuvres aux petits fragments de pierre. Des travaux dont la réalisation fut généralement confiée à des artistes étrangers de nationalités italienne, allemande, russe ou française.
Une tendance qui a ensuite changé comme le décrit Osama. “On a par la suite commencé à prendre des travailleurs locaux qui se souciaient de l’art de la mosaïque palestinienne et l’on peut alors parler d’un renouveau de cet art.” Renouveau que le Mosaic Centre accompagne aujourd’hui en formant des hommes et des femmes aux différentes techniques pour faire perdurer cet héritage. “Je ne dirai pas qu’aujourd’hui cet art est aussi reconnu qu’à l’époque byzantine – concède Osama – mais cela permet de commencer à faire comprendre aux gens ce qu’est la mosaïque, quelles sont ses techniques et quel est son historique sur nos terres.” Un motif d’espoir pour le directeur qui constate les changements apportés par le centre. “On le voit désormais, beaucoup de gens sont curieux et comprennent l’importance de la mosaïque dans notre culture palestinienne.”
Un travail qui contribue à faire valoir cette culture grâce à l’histoire. En effet, au Mosaic Centre, on peut trouver des œuvres de style romain, byzantin des IVe et VIIe siècle, mais aussi islamique. Autant de différences d’époques, avec des techniques et des matériaux divers et variés. Un excellent moyen de “conter l’histoire de la mosaïque en Palestine” se félicite Osama.
Pour lui, rappeler cette histoire est essentiel pour définir et défendre l’identité palestinienne. Une identité qui, selon lui, est une combinaison de différentes couches culturelles. “Notre histoire est une succession d’influences desquelles résulte ce que nous sommes aujourd’hui – explique-t-il – nos terres sont une accumulation de l’histoire des religions, on ne peut pas le nier. Et c’est cette accumulation des différentes cultures qui définit notre art et nous permet aujourd’hui de faire ces belles œuvres.” Rappeler cet héritage est d’autant plus important que cela permet d’abattre les murs qui séparent les communautés en faisant découvrir les diverses inspirations de la culture palestinienne et “invite au dialogue” en montrant la richesse du travail de mosaïste. “De plus, il ne s’agit pas que d’art, fait remarquer le directeur de l’atelier, il y a aussi un bénéfice social recherché en employant et formant des femmes et des hommes qui vont mieux connaître leur histoire et pourront la transmettre ensuite.”
Travaux et demandes diverses
Pour transmettre cela au grand public, le Mosaic Centre s’appuie sur différentes missions, qui vont de la restauration à la conservation, en passant par la création originale. Ces différents projets sont souvent réalisés conjointement avec différentes associations. Les ouvriers ont eu, entre autres, l’occasion de se mettre à l’ouvrage pour travailler sur les mosaïques de l’église de Gethsémani durant deux années et demie. La façade qui posait quelques problèmes, ainsi que le sol byzantin et le toit ont notamment fait l’objet d’un soin tout particulier.
Les mosaïques du VIe siècle de l’église du Dominus flevit ont également bénéficié de l’expertise et du savoir-faire des artisans du Mosaic Centre. “C’est nous aussi qui avons travaillé à la conservation des mosaïques de la chapelle des Francs au Saint-Sépulcre, ainsi que celles de la chapelle du Calvaire, avec ATS Pro Terra Sancta”, l’ONG de la custodie de Terre sainte, réalisant des projets pour préserver les Lieux saints.
À Magdala, les travaux sur l’ancienne synagogue sont aussi l’œuvre de l’atelier de Jéricho. Autant de chantiers qui convergent tous vers la vocation première du Mosaic Centre : promouvoir, petit à petit, cet héritage culturel palestinien. À l’image des petits fragments de pierre, lentement assemblés un à un, qui finissent par donner dans leur ensemble une belle œuvre d’art.