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Beyrouth, nouveau printemps ?

Angel Calianno
21 février 2020
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Beyrouth, les manifestations anti-gouvernementales secouent le Liban depuis octobre ©Angel Calianno/TerraSancta.net

Dans un climat de tension, le 11 février, le Parlement libanais a accordé sa confiance au nouveau gouvernement dirigé par Hassan Diab. Après des mois de protestations dans les rues, jamais complètement interrompues, l'exécutif doit faire face aux urgences et au mécontentement d'un Liban qui exige des changements clairs. Reportage depuis Beyrouth.


Les accès à la place des Martyrs, centre de la capitale libanaise, sont fermés. Des dizaines de camions de l’armée sont garés depuis le matin, avec à l’intérieur, de dizaines de soldats. La rue du souk, la rue commerçante, est quant à elle tenue par la police. Le plan de sécurité a prévu la fermeture de la plupart des voies d’accès pour disperser les groupes de manifestants attendus dans la soirée. A 21h, des rassemblements commencent à affluer de différents endroits, d’autres se réunissent à un kilomètre de la place en provenance de la zone portuaire. Les reporters sont alignés derrière les lignes des soldats qui ne les laissent pas approcher.

En changeant de position et en empruntant quelques ruelles, on arrive au cœur de l’événement. Des milliers de personnes ont réussi à se rassembler, malgré les obstacles. La manifestation commence par des chants, des chœurs et des slogans. Tout est pacifique, même si les boucliers de la police et de l’armée se resserrent de plus en plus. A un certain moment, il devient pourtant impossible de contenir la foule, et la charge commence.

Les militaires lancent des gaz lacrymogènes qui dispersent la plus grande partie des manifestants. Quelqu’un court, tombe et reçoit un coup de matraque. Les blessés sont traînés hors du cercle des affrontements où se trouvent les ambulances. Pour autant les protestations continuent, les manifestants, maintenant dispersés, continuent à chanter, mais aussi à jeter des pierres, des poubelles, tout ce qu’ils trouvent dans la rue. L’armée et la police continuent à utiliser des gaz lacrymogènes et des matraques. Les échauffourées se poursuivent presque toute la nuit.

Un pays en révolte

 Depuis la mi-octobre, les villes du pays des cèdres sont envahies par des foules qui protestent et des scènes comme celle décrite ont été répétées d’innombrables fois. Le 17 octobre, le gouvernement de Saad Hariri a annoncé que certaines taxes seraient augmentées, et ce dès mars 2020 : parmi les augmentations, une portait sur l’utilisation de whatsapp, et d’autres concernaient le coût de l’essence, du tabac, de l’électricité. Ce plan fiscal n’a été que la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, car les deux dernières années ont été difficiles pour le Liban. Depuis lors, presque tous les week-ends, les Libanais sont descendus sur les grandes places d’une soixantaine de villes. Avec au bilan, 1,2 million de manifestants, dans un pays qui en compte un peu plus de 6 millions.

Quelques jours avant que les manifestations n’explosent, une série d’incendies avait touché les forêts environnant Beyrouth. On a beaucoup spéculé sur l’identité de ceux qui les avaient allumés (les réfugiés syriens et palestiniens ont ainsi été accusés, alors qu’ils ont en fait aidé à éteindre les incendies). Ces incendies ont démontré l’inefficacité du gouvernement : des hélicoptères payés des millions de dollars ont été laissés au sol parce que personne ne les avait entretenus.

Plus personne n’investit au Liban parce que les taux bancaires sont trop élevés. Le pays a une dette publique de 75 milliards d’euros (la troisième plus élevée au monde, par rapport au PIB) et un système de gouvernement qui n’a jamais été réformé, pas même après la fin de la guerre civile en 1990.

« Ce qui se passe aujourd’hui au Liban est le résultat des mauvaises politiques de ces dernières années, en particulier des deux dernières – explique Nizar Hassan, chercheur qui s’occupe des mouvements pour les droits des citoyens et co-fondateur du mouvement Lihaqqi, l’un des premiers à descendre dans la rue – tout le monde a appelé cette manifestation « la manifestation whatsapp », mais en réalité ce n’était que l’étincelle. Il est vrai que pour beaucoup, whatsapp est devenu le seul moyen de communiquer, car pour les plus pauvres, les frais de téléphone sont trop élevés. Mais la corruption est endémique, les taux appliqués par les banques sont très élevés, le résultat est que de nombreuses entreprises ont fermé et ceux qui le peuvent, en particulier les jeunes, tentent de fuir à l’étranger ».

Par rapport au passé, cependant, la contestation actuelle a quelque chose de différent : « Pour la première fois, différentes classes sociales se sont réunies – continue Nizar Hassan -. Les pauvres, toujours pénalisés, mais aussi les classes moyennes supérieures qui, sans investissement et avec un taux de change du dollar vraiment défavorable, ne sont plus en mesure de maintenir leur niveau de vie. La mobilisation, même en nombre, a été une nouveauté pour tout le monde ».

Les manifestations ont non seulement amené des citoyens dans les rues de manière individuelle, mais aussi diverses organisations politiques : une soixantaine de groupes se sont ainsi mobilisés et continuent d’organiser des rassemblements, principalement en utilisant les médias sociaux. Les revendications des manifestants ont été multiples : éradiquer la corruption, récupérer l’argent qui a fini dans les poches des corrompus, garantir la liberté d’action aux juges, une nouvelle manœuvre économique.

Le nouveau gouvernement ne plaît pas

Le 20 décembre, le Président de la République, Michel Aoun, a nommé le professeur d’université Hassan Diab au poste de Premier ministre, et l’a chargé de former un gouvernement technique. Le nouveau cabinet, composé de six femmes sur vingt ministres, est actif depuis le 22 janvier et pleinement en fonction après avoir reçu le vote de confiance du 11 février. Mais la formation d’un gouvernement qui était considéré comme un signe de changement a été très mouvementée. Diab est soutenu par le Hezbollah, de sorte que pour beaucoup, ce n’est que la continuation d’un système de gouvernement partisan, l’une des principales raisons de cette crise.

Les protestations ont pris un tour plus violent et la crise s’est encore aggravée après la mort du général iranien Qasem Solemani, le 3 janvier. La rue principale de Beyrouth était tapissée de ses photos. La tension internationale, en particulier dans le monde chiite (au Liban près d’un tiers des habitants), a soufflé sur le feu du mécontentement général.

A la mi-janvier, pour la première fois depuis le début des manifestations, de graves dégâts ont été causés aux biens et aux magasins du centre ville de Beyrouth. Des vitrines de magasins brisées, des distributeurs automatiques détruits, des revêtements de route éclatés pour en faire des pierres et les jeter sur la police. Des bandes violentes ont déraciné les portes et les portails des magasins, les utilisant comme boucliers contre les canons à eau de la police. La police et l’armée ont tiré des balles en caoutchouc sur les manifestants, causant de graves blessures. Cela a encore accru la violence des affrontements et des jets de pierre. S’en est suivie une semaine intitulée par les journaux « The week of rage« .

Qu’est-ce qui a changé ces dernières semaines ? Les avis sont partagés : beaucoup de gens pensent que certains groupes de manifestants sont payés par certains pour créer davantage d’instabilité. Les opinions, bien sûr, sont en accord avec leurs vues politiques et souvent, avec leur religion, qui au Liban définit souvent leur groupe politique de référence. Hatem (le nom est fictif) est un policier qui est souvent en service lors de manifestations. « Nous aussi, nous sommes en difficulté », nous dit-il, « beaucoup de policiers, idéologiquement, sont du côté de ceux qui protestent et nous comprenons leurs raisons, leurs problèmes sont aussi les nôtres. Nous sommes attaqués et nous essayons de ne pas répondre, sauf si c’est strictement nécessaire. Beaucoup d’entre nous ont demandé à être affectés à d’autres stations ou à la montagne, afin d’éviter des affrontements avec leur propre peuple ».

Le Hezbollah, entre partisans et adversaires…

Ces derniers temps, on a pu voir des groupes, souvent isolés, qui ont saccagé des magasins et des rues. « A mon avis, ce sont des infiltrés du Hezbollah – dit le policier – Certains partisans du mouvement politique chiite se sont engagés il y a quelques mois dans une lutte contre les manifestants qui criaient : « terroristes du Hezbollah ». Je pense qu’ils se sont infiltrés pour saboter les cortèges. S’ils deviennent violents, la réaction sera dure, ce qui aura des répercussions sur les personnes qui protestent pacifiquement ».

Ahmad, un travailleur, de confession chiite, est d’un avis différent : « Tout le monde utilise toujours le Hezbollah comme bouc émissaire, mais je pense qu’ils n’ont rien à voir avec cela. Sans l’opposition du Hezbollah, Israël nous aurait déjà retiré toutes nos ressources, comme il l’a fait pour l’eau il y a vingt ans ». Selon Ahmad, ceux qui causent la destruction sont payés par quelqu’un de l’ancien gouvernement pour empêcher la formation du nouveau.

« Le principal problème dans ce pays, ce sont les banques », ajoute-t-il, « il n’y a pas d’argent, on ne peut presque plus retirer d’argent aux distributeurs, les liquidités sont toutes dans des banques étrangères. Nous devrions nous rebeller contre eux. Pour l’instant, nous survivons grâce au soutien de nos familles, nous nous aidons les uns les autres, mais bientôt ces ressources s’épuiseront aussi ».

En plus des franges extrêmes, on trouve sur les places de nombreuses personnes âgées, des femmes et des enfants. Les protestations ont non seulement fait descendre dans la rue des groupes de citoyens mais aussi diverses organisations politiques. Une soixantaine de groupes se sont mobilisés et continuent de rassembler les gens.

A la lumière des nouveaux développements violents, beaucoup parlent d’une possible militarisation de l’Etat. Il est certain que presque personne dans la rue ne semble être en faveur de la formation de ce nouveau gouvernement. Au Liban, comme en Irak, les protestations réclament essentiellement les mêmes droits : finie la corruption et plus d’équité. Pour de nombreux observateurs internationaux, le Moyen-Orient assiste au début d’un nouveau printemps arabe.

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