Après des semaines de rumeurs, toujours démenties par le gouvernement, concernant des cas de coronavirus en Syrie portés par des combattants et pèlerins iraniens, le ministre de la Santé Nizar Yaziji a confirmé dimanche 22 mars la première infection dans le pays. Selon les rapports de l’agence gouvernementale Sana, il s’agirait d’une personne de 20 ans, rentrant d’un pays étranger non spécifié, qui a été immédiatement soumise aux dispositions de traitement et de confinement prévues (au cours de la semaine, les cas officiellement signalés s’élevaient au nombre de 5 – ndlr).
En plus des mesures préventives déjà mises en place la semaine précédente pour contenir l’infection (fermeture des écoles et des universités jusqu’au 2 avril et report des élections législatives au mois de mai), le gouvernement a pris de nouvelles mesures qui sont entrées en vigueur mercredi 25 mars : fermeture des restaurants, bars et activités commerciales non essentielles, réduction des transports publics, fermeture de l’aéroport et des passages frontaliers avec la Jordanie, la Turquie et le Liban et couvre-feu entre 18h et 6h le lendemain matin.
Alors que des milliers de personnes dans les territoires contrôlés par le gouvernement – environ 70% de la Syrie – affluent pour s’approvisionner en produits de première nécessité, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) s’inquiète de la propagation possible du virus dans le pays et en particulier dans la région d’Idleb (nord-est) et dans les camps de réfugiés.
Un système de santé déjà en crise
Après neuf ans de guerre, 11 millions de personnes déplacées et près de 390 000 morts, le système de santé est à l’agonie et ne peut même pas faire face à la situation actuelle. Selon l’OMS, seuls 57 hôpitaux publics, soit 64% du total, sont toujours opérationnels et, en raison du manque chronique de médecins formés et du turn-over élevé du personnel, il est impossible de prendre en charge les malades. En outre, l’embargo imposé par les Etats-Unis et l’Union européenne contre le régime syrien, en vigueur depuis 2011, a restreint la possibilité d’avoir du matériel médical : les médicaments, très souvent, n’arrivent pas et les appareils dans les établissements hospitaliers ne fonctionnent pas faute d’électricité ou de pièces de rechange. C’est pourquoi Damas ne peut pas se permettre de rompre les liens avec l’Iran et la Chine, auprès de qui la Syrie se fournit respectivement en pétrole et médicaments.
Les risques pour le nord de la Syrie
Pour les ONG et les organisations de santé, la situation dans le nord de la Syrie est alarmante en particulier parce que l’on craint que le Covid-19 soit beaucoup plus répandu que le gouvernement ne le croit. La présence visible de combattants et de pèlerins en provenance de l’Iran – qui figure parmi les plus grands foyers de coronavirus au monde – qui vont et viennent en Syrie, doublée du témoignage de certains médecins selon lesquels ils ont traité des patients présentant des symptômes de l’infection, constitueraient la preuve que ces craintes soient fondées.
« Le Covid-19 qui arrive en même temps que la guerre et ses milliers de personnes déplacées est l’un des pires cauchemars qui devient réalité », a déclaré Jan Egeland, secrétaire général de l’ONG Norwegian Refugee Council. Dans la province d’Idleb, au nord-ouest de la Syrie, la situation est dramatique : sur les trois millions de personnes dans la région, plus de la moitié sont déplacées et vivent dans des camps surpeuplés, dans le froid, dans des installations sanitaires désastreuses, avec un accès insuffisant à la nourriture et à l’eau potable. Le stress physique et mental auquel ils sont soumis quotidiennement en raison de la situation dans laquelle ils vivent les rend plus vulnérables à la contagion. L’infrastructure médicale s’effondre également, l’année dernière il y a eu 85 attaques contre des établissements de santé dans la région, pour le moment il n’y a que trois hôpitaux avec des unités de soins intensifs. Il manque des médecins, des tests de dépistage, du gel désinfectant. A cela s’ajoute la décision du gouvernement turc d’interdire l’exportation de matériel médical comme des gants et des masques de protection.
La situation dans la région du Rojava est également tragique. Malgré les mesures préventives prises par l’administration kurde autonome, telles que la fermeture des écoles et des administrations publiques, dans le nord-est du pays, il n’y a aucun moyen de faire face à une éventuelle propagation de l’épidémie. Souvent, même l’eau manque, ce qui rend le lavage des mains impossible, l’une des principales actions de la lutte contre le Covid-19. Pour aggraver une situation déjà dramatique, les conséquences du veto de la Chine et de la Russie au renouvellement, en décembre 2019, de la résolution 2 165 de l’Onu qui autorisait les agences des Nations unies à acheminer l’aide humanitaire de la Turquie, de la Jordanie et du Liban vers des régions de Syrie contrôlée par le gouvernement de Damas. Désormais, l’aide humanitaire, comme le matériel médical fourni par l’OMS, doit transiter par Damas avant d’arriver dans le nord-est, ce qui allonge les délais de livraison jusqu’à une semaine. Et dans une situation aussi tendue, le temps est la meilleure prévention pour éviter une catastrophe.