On la connaissait remplie de monde, de musique, d’odeurs d’encens. La vieille ville de Jérusalem est aujourd’hui silencieuse et déserte, ses habitants ayant adopté les mesures de confinement qu'Israël impose depuis quelques jours à l’ensemble du pays. Récit
“Je vis ici depuis 57 ans. Je n’ai jamais vu Jérusalem comme ça de toute ma vie”. Issam est propriétaire d’une boutique du quartier chrétien. Comme quelques autres vendeurs de la vieille ville de Jérusalem, le vieil homme attend ce matin, devant sa vitrine. Il l’avoue, il ne sait pas très bien ce qu’il attend : sûrement pas les touristes en tout cas, qui ont quitté en masse la ville sainte ces deux dernières semaines. Peut-être l’annonce de nouvelles mesures du Gouvernement, dont les déclarations rythment, ces jours-ci, le quotidien des habitants ? « Je ne veux pas rester enfermé dans mon appartement, je vais devenir fou. Pour le moment, je peux descendre dans ma boutique… mais c’est une question d’heures. On va bientôt être tous confinés. Que Dieu nous protège !”, soupire-t-il.
Rumeurs
Depuis le début de la crise sanitaire, l’incertitude règne, dans la vieille ville. Les rumeurs les plus folles circulent, chaque habitant ajoutant son grain de sel au fil des ruelles. Difficile de démêler le vrai du faux. “Il paraît que les producteurs de lait, de fromage et de Coca-cola vont arrêter d’approvisionner Jérusalem. Ils sont tous bloqués, en quarantaine”, raconte un vendeur de fleurs. “J’ai entendu dire que les touristes ne reviendront pas avant décembre 2020. Je n’ai plus qu’à me reconvertir et faire des pizza depuis ma maison !”, explique jack, un pâtissier connu de tous dans le quartier. Christina, une employée de Christ Church, l’église anglicane aux abords de la porte de Jaffa, n’est pas beaucoup plus optimiste: “Je pense que les autorités vont fermer toute la vieille ville, et nous à l’intérieur. A partir de demain, nous ne pourrons plus sortir avant des mois”.
Un édifice demeure, roc solide dans la tempête : le Saint Sépulcre, qui garde jusqu’ici ses portes ouvertes. Si les franciscains, les arméniens et les grecs-orthodoxes continuent pour le moment d’y célébrer la messe, le lieu résonne cependant d’un silence qui ne trompe personne. Le tombeau du Christ, vide, en est d’autant plus impressionnant. “J’ai pu y entrer et rester prier à l’intérieur autant de temps que je voulais. Personne ne m’a demandé de sortir. C’était incroyable, une vraie expérience spirituelle !”, raconte un volontaire italien. Quelques jérusalémites profitent de l’occasion pour venir y faire un tour. Et veillent, évidement, à laisser entre-eux les 2 mètres de distance réglementaires imposées par les mesures sanitaires.
Quant au couvent de Saint-Sauveur, où résident et étudient les 90 Franciscains de la Custodie de Terre Sainte, il a fermé ses portes le 18 mars dernier. Ses cloches continuent de carillonner, mais les frères sont bien partis pour débuter une quarantaine. Une question est sur toutes les lèvres : les fêtes de Pâques auront-elles lieu, cette année, à Jérusalem ? “Nous ne savons pas encore comment va s’organiser le Triduum pascal (3 jours avant Pâques). L’organisation des prochaines semaines est encore très floue pour le moment”, explique un des franciscains, devant l’entrée du couvent. “Le Seigneur nous demande de faire preuve de détachement !”.
Porte de Jaffa
Même ambiance, dans le quartier juif de la vieille ville. Porte de Jaffa, les juifs ultra-orthodoxes, que l’on voit habituellement traverser le quartier d’un air pressé, sont aujourd’hui restés sagement chez eux. Aux pieds de la Cité de David, des employés de la mairie en masques et blouses blanches pulvérisent un liquide sur le sol de pierre. “Ils désinfectent le quartier pour prévenir la diffusion du virus”, explique-t-on. L’accès au Mur des Lamentations est désormais interdit, coronavirus oblige. Magasins et restaurants sont recouverts d’un rideau de fer, et l’on serait bien incapable de dire quand ils rouvriront. Et Mamilla, le centre commercial huppé où aiment se retrouver les juifs de la ville, semble encore plus abandonné qu’un jour de Shabbat.
Le quartier musulman
Le quartier musulman, enfin, n’est pas épargné. Les rassemblements dans les mosquées ont été interdits il y a quelques jours, et la prière du vendredi à l’Esplanade des mosquées annulée. Plus d’enfants dans la rues, plus d’écolières voilées, en uniforme bleu et blanc. Les odeurs de viandes grillées et de pain chaud se sont envolées, au grand dam des dizaines de chats du quartier, qui ont fini par capituler et se cacher dans les cours intérieures des auch.
Les marchands de fruits et légumes restent pourtant ouverts, et approvisionnent les familles du quartier. Eux ne se plaignent pas, étant moins impactés que leurs voisins par les circonstances économiques de ces derniers jours. La situation n’en reste pas moins inédite : “Même au début de la seconde l’Intifada (entre 2000 et 2003) la situation n’était pas aussi bizarre qu’aujourd’hui. A l’époque, on a continué à vendre, à discuter entre-nous, à rire, alors que maintenant, nous sommes tous bloqués sans savoir de quoi ces prochaines semaines seront faites”, raconte un homme d’une quarantaine d’année, une cigarette à la main.
La vieille ville se prépare donc au confinement. Et comme aiment à répéter les Jérusalémites ces derniers jours, « inshallah ykun kher ». Si Dieu le veut, tout ira bien.