Les présidents Chirac et Macron auront, au cours de leurs visites en Vieille ville de Jérusalem, visité les mêmes lieux. Celle du président Chirac avait été qualifiée de «privée» mais elle était prévue. Celle du président Macron n’était pas au programme et fut ponctuée d’interviews. L’occasion de faire passer quelques messages bienvenus, vus d’ici.
Emmanuel Macron est venu en Israël les 21 et 22 janvier à l’invitation des autorités israéliennes pour le 5e Forum sur la Shoah. La matinée du mercredi 22 fut protocolaire. Le président français rencontra d’abord à sa résidence M. Netanyahou, Premier ministre de l’État d’Israël. Les deux hommes passèrent en revue divers sujets régionaux comme l’Iran (où ils sont en désaccord), l’Irak, la Syrie, le Liban, la Turquie, la Libye. Lors de cet échange, Netanyahou évoqua le premier un sujet qui devait par la suite devenir brûlant ; à Macron le Premier ministre israélien demanda «de traiter la question de l’assassin de Sarah Halimi».
Une question agite les réseaux sociaux (amusés) : le drapeau derrière les deux hommes d’État est-il bien celui de la France ?
Ambiance cordiale quand le président Macron se rend chez son homologue le président israélien Reuven Rivlin, encore qu’à titre similaire leurs fonctions diffèrent. La fonction présidentielle israélienne est principalement cérémoniale, toutefois il a le pouvoir de gracier des criminels et surtout celui de désigner le Premier ministre chargé de former un gouvernement après des élections.
Lors d’une conférence de presse commune le président israélien a salué l’adoption de la définition non-contraignante de l’antisémitisme de l’IHRA (voir TSM 665). De son côté Emmanuel Macron réaffirmait (et précisait) «L’antisionisme, lorsqu’il est la négation de l’existence d’Israël comme État est un antisémitisme». Les deux hommes ont aussi évoqué nombre de dossiers internationaux liés à la région.
Sur la feuille de route remise aux journalistes, l’après midi devait commencer par une longue visite à Sainte-Anne, Domaine national français. Le président devait y arriver par la Porte des Lions à 13h00, commencer une visite à 13h15 pour passer à table à 13h45 avec des représentants de communautés chrétiennes.
C’était sans compter sur les écarts – parait-il habituels – aux agendas du président. D’abord il a voulu rencontrer Benny Gantz le plus sérieux opposant à Netanyahou lors des prochaines élections (mars 2020). Il a déjà une heure de retard sur le programme initial. Mais surtout c’est de la Porte de Jaffa qu’il entre en Vieille ville et annonce déjà une halte au Saint-Sépulcre qu’il rejoindra par le quartier chrétien et la rue du patriarcat grec-orthodoxe. La sécurité israélienne est prévenue 10 minutes à l’avance. Elle balisera le trajet mais ne pourra pas le «stériliser» à son habitude et comme lors de la visite du président Chirac avec un parcours surveillé par des tireurs d’élite. Le président Macron pourra donc aller au contact. Et dans la Vieille ville de Jérusalem on lui remémore Chirac, la main sur le cœur. En 1996 Jacques Chirac était entré en ville par le couvent Saint-Sauveur pour marquer que sa visite était privée.
Une halte au Saint-Sépulcre ? Il faut l’organiser. Le frère Stéphane, qui est auvergnat et spécialiste du lieu, a été appelé pour faire le guide. (En 1996, c’est le père Frédéric Manns ofm qui avait guidé Jacques Chirac). À l’entrée les religieux ont installé tapis et coussin au cas où l’illustre visiteur veuille embrasser la pierre de l’onction. Ce ne sera pas nécessaire. «Il a été très attentif, rapporte frère Stéphane, rompu aux visites des délégations officielles. Ce fut une très belle visite vraiment.»
Interrogé sur sa visite au Saint-Sépulcre, le président annonce «Nous avons décidé de réinvestir pour aider les chrétiens d’Orient.» Ce sera un fonds pour aider les écoles de la région qui enseignent le français. L’idée ne tombe pas du toit du Saint-Sépulcre ni du ciel. Il y a deux ans déjà, dans la continuité de son discours d’inauguration de l’exposition Chrétiens d’Orient, deux mille ans d’histoire il avait commandé un rapport sur les moyens de renforcer l’action de la France dans la protection du patrimoine et du réseau éducatif chrétien au Moyen-Orient.
Ce sillon, discrètement mais résolument tracé, n’échappe pas à ceux qui œuvrent pour aider les chrétiens de cette partie du monde.
On a retenu de la visite présidentielle le coup de colère à Sainte-Anne parlant d’une pâle imitation de celui de Jacques Chirac. On aura eu tort. S’agissant du coup de sang, Terre Sainte Magazine qui a 99 ans et le temps d’attendre le prochain président, vous l’annonce : lui aussi devra réagir fermement.
Sainte-Anne est un Domaine national, un bout de France au cœur de Jérusalem, c’est aux services français d’en assurer la sécurité. Quand les Israéliens veulent le faire, ils outrepassent leurs droits sur un territoire qui n’est pas le leur, et à double titre. Parce que Sainte-Anne c’est la France, parce que la France ne reconnaît pas leur souveraineté sur Jérusalem.
Le président venait de redire lui-même et calmement aux Israéliens de ne pas entrer, ceux-ci devant lui jouent des coudes et entrent gageant de la politique du fait accompli. Le président s’emporte. À noter que Jacques Chirac ne s’était pas fâché à Sainte-Anne, il avait juste refusé d’entrer tant qu’il y aurait un Israélien. Il s’était emporté dans le souk car la sécurité israélienne perturbait son bain de foule.
Il est 16h30 quand a lieu l’esclandre à l’entrée de Sainte-Anne où le président était attendu pour déjeuner à 13h45. L’attendaient des représentant des communautés chrétiennes : le patriarcat latin, la custodie, les dominicains, les bénédictin(e)s d’Abou Gosh, les frères des Écoles chrétiennes, la Maison d’Abraham, les sœurs de Saint-Joseph. En tout une vingtaine de personnes auxquelles devaient s’ajouter les membres de la délégation officielle dont Mgr Gollnish de l’Œuvre d’Orient accompagné de Charles Personnaz l’auteur du rapport commandé par le président.
Trois personnes devaient prendre la parole, elles le feront. Le père Jamal Khader du patriarcat latin, Sr Frida Nasser directrice d’école et le père Jean-Jacques Pérennès de l’école biblique. Les deux premiers sont Palestiniens et présenteront sans fard les difficultés engendrées par l’occupation israélienne. Ils exprimeront aussi le désir de voir la France s’engager pour la justice pour tous.
Le président l’avait annoncé «Nous allons passer au Saint-Sépulcre, à l’esplanade et au Mur.» Cette visite des trois lieux saints revêt pour lui une signification particulière : «Je pense que réconcilier aussi l’ensemble de ces grandes religions dans cette ville qui les porte, qui en est l’épicentre, où elles cohabitent, est important. C’est aussi le rôle de la France de rappeler qu’il est possible d’avancer ensemble et c’est même notre sort commun.» Ce qui peut passer pour un poncif en France – le «vivre ensemble» – est dans l’ADN de Jérusalem et demande aujourd’hui plus que jamais à être préservé. Nous étions heureux ici de l’entendre parler dans ce sens.
Sur l’esplanade les musulmans feront au président l’honneur de l’accès au Dôme du Rocher. À cause de l’heure de la prière, il préfèrera rester sur le seuil. Jacques Chirac avait refusé d’entrer de peur de vor les soldats israéliens lui emboîter le pas.
Dans l’après-midi M. Macron utilisera le terme de «religions du livre» pour parler des trois monothéismes. Une expression courante pour désigner les religions abrahamiques, encore qu’erronée. Le christianisme n’est pas une religion du livre depuis que le Verbe s’est fait chair, notre religion c’est le Christ. Mais bon, n’est pas théologien qui veut.
On se le rappelle moins mais le président Chirac s’était lui aussi rendu au Mur occidental comme sur l’esplanade des mosquées du reste. Avec Macron les médias israéliens sont aux anges. La chaîne franco-israélienne I24 News s’emballe un peu et parle de recueillement. Du respect certes, mais le président met la main sur le mur à la demande expresse des photographes.
«Nous avons notre propre rapport aux religions en France avec la laïcité, mais la laïcité – d’ailleurs plus que tout autre principe – conduit à reconnaître chaque religion et à créer le cadre pour qu’elles puissent vivre ensemble harmonieusement», avait-il déclaré plus tôt dans l’après-midi. Un concept totalement étranger au Proche-Orient en général et à la Vieille ville de Jérusalem en particulier. Du reste quand le président enchaîne avec la visite des fouilles contestées proches du Mur occidental, ses guides lui racontent une Jérusalem, une religion. Le discours était probablement identique sur l’esplanade tenu par les disciples d’une autre religion. Dans les deux cas l’harmonie n’est pas à l’ordre du jour.
Le président doit le savoir, lui qui a parlé de Jérusalem comme d’un palimpseste. C’est bien le drame. Ici une couche d’histoire se superpose à une autre pour la remplacer, pour l’effacer. Seuls quelques amoureux, dont Terre Sainte Magazine, s’évertuent à montrer la richesse de toutes.
Il est 18h30 passé quand le président quitte le Mur occidental. Il devait être à 16h45 à Ramallah avec le président de l’Autorité palestinienne Abbas, sachant qu’il lui faut – même escorté – près d’une heure pour faire la route. Par ailleurs le président est attendu à un dîner à l’invitation de son homologue israélien à 19h30, et de son côté il a promis une visite à l’École biblique et archéologique française.
Abbas tient absolument à le voir ce jour. Il ne peut pas être dit que le jour où la France rencontre les Israéliens elle ne rencontre pas aussi les Palestiniens. La rencontre aura donc bel et bien lieu à 22h30.
«Nous souhaitons que les États européens – qui croient en la solution à deux États – et la France reconnaissent l’État de Palestine le long des frontières de 1967 avec Jérusalem-Est comme capitale», aurait déclaré Abbas à son homologue français. Peine perdue et du reste la France offrira le service minimum en commentant l’annonce de «l’accord du siècle» américain.
La journée s’achève vers 1 heure du matin dans un bar de Ramallah avec une bière du village chrétien de Taybeh.
Cette séquence appartient à la journée de la veille où elle n’avait pas pu trouver place. C’est beau d’être jeune ! Le président est «frais comme un gardon» (source que nous garderons anonyme), quand il arrive à 7h30 du matin, le jeudi 23 janvier, chez les dominicains de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem. Le frère Jean-Jacques Pérennès, son directeur, avait lancé l’idée il y a deux ans : «Si jamais le président venait, qu’il nous visite». Coup de maître dans l’entourage du président et au consulat Général de France à Jérusalem. Car cette année l’École fête justement le 100e anniversaire de sa reconnaissance comme «École archéologique française». «Il était très à l’écoute : nous avions le sentiment qu’il avait tout son temps» a commenté frère Jean-Jacques. De fait la visite, d’une heure et demie, est un encouragement pour le travail accompli par les chercheurs. Après un temps de rencontre autour d’un petit déjeuner, le président prit le temps de la visite. Sur la photo dans les locaux du projet «La Bible en ses traditions».
Dernière mise à jour: 04/03/2024 15:24