Lorsqu’il est face au mont des Oliviers le pèlerin hésite entre deux options : suivre le chemin chronologique au risque de gravir et descendre la montagne à plusieurs reprises ou ne faire le trajet qu’une seule fois, du haut en bas, afin d’économiser ses forces. Voici une présentation selon la succession des évènements historiques, nombreux sur le mont.
Le mont des Oliviers marque une vraie frontière entre les terres habitées et le désert. Marcher sur la crête du mont qui s’élève jusqu’à 810 m du sud au nord sur l’orient de Jérusalem, montre de façon frappante comment l’eau, en l’occurrence le Cédron et la source de Gihon, peut «faire fleurir le désert» et, ici, donner naissance à une ville. Frontière aussi entre des modes de vie, l’urbanité et le nomadisme. Aujourd’hui encore quelques familles de bédouins élèvent chèvres et moutons dans les collines sèches de Judée, à la porte des cités qui se développent autour de Jérusalem. Frontière déjà dans l’Antiquité. Lorsque David est contraint de fuir sa capitale devant la rébellion de son troisième fils Absalom, on voit ce que représente le mont : «Le roi se tenait dans le torrent du Cédron et tout le peuple défilait devant lui en direction du désert… David gravissait en pleurant la montée des Oliviers… David arriva au sommet, là où l’on adore Dieu» ; peut-être le sanctuaire de Nob – Is 10, 32. Et David ira jusqu’à passer le Jourdain pour se mettre à l’abri – 2S 15, 13-37.
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L’exilé Ézéchiel évoque plusieurs fois, depuis Babylone, le mont lorsque lui est donné de voir la gloire de Dieu quitter le Temple puis après l’épreuve y revenir. «La gloire du Seigneur s’éleva du milieu de la ville et s’arrêta sur la montagne qui se trouve à l’orient de la ville… la gloire du Seigneur arriva au Temple par le porche qui fait face à l’orient»- Ez 11, 23 et 43, 4. Plus tard le prophète Zacharie en donnera une vision encore plus concrète : «À son jour ses pieds se poseront sur le mont des Oliviers qui fait face à Jérusalem vers l’orient». Ce même Seigneur et roi «qui vient à toi, fille de Sion, juste et victorieux, humble, monté sur un âne, sur un ânon, le petit d’une ânesse» – Za 14, 3 et 9, 9.
Voilà pourquoi l’évangéliste Matthieu peut interpréter que Jésus accomplit les Écritures lors de son entrée à Jérusalem : «Approchant de Jérusalem et arrivé en vue de Bethphagé au mont des Oliviers, Jésus envoya deux de ses disciples en disant ‘Rendez-vous au village qui est en face de vous et vous trouverez à l’attache une ânesse avec son ânon près d’elle»– Mt 21, 1-2. Jésus embrasse ici la royauté davidique, sa messianité comme fils de David et sa propre divinité qui sera plus tard manifeste. Mc 11, 2 et Lc 19, 30 ne mentionnent que l’ânon seul, ce qui est plus proche de la réalité, Jésus n’ayant évidemment monté qu’une seule bête.
Les pèlerinages aujourd’hui
Trois autres épisodes de la vie de Jésus sont situés au mont des Oliviers et justifient les établissements byzantins qui y seront construits ainsi que la visite des pèlerins de tous temps.
Mt 24, 3 situe là les derniers enseignements du Christ, dernier discours de cet évangile qui en compte cinq, mais celui-là non-public, audible seulement par les proches. «Comme il était assis sur le mont de Oliviers, les disciples s’approchèrent de lui en particulier» – la phrase est la même que pour la première prise de parole «Jésus gravit la montagne et, quand il fut assis, ses disciples s’approchèrent de lui» Mt 5, 1. Deux montagnes au début et à la fin du ministère de Jésus, un enseignement d’ouverture en Galilée avec les Béatitudes et un de conclusion avec l’annonce des difficultés qui attendent les disciples, la communauté, le peuple juif, le monde, placés devant un choix crucial, demeurer avec le Christ jusqu’au bout malgré les tribulations et les persécutions, ou enfouir son talent par peur ?
Dès 326 sainte Hélène fit construire une basilique au sommet du mont afin d’honorer ces «derniers enseignements». Notre fidèle Égérie, pèlerine et chroniqueuse de la fin du IVe siècle relate : «Sur le mont des Oliviers il y a une grotte très belle, et dans cette grotte un autel, où le Seigneur avait coutume d’enseigner ses disciples ; au-dessus de cette grotte il y a une église sainte». L’église de l’Éléona, qui signifie oliveraie en grec, à trois nefs précédée d’un vaste atrium, fut abattue par les Perses en 614. Reconstruite par le patriarche Modeste en 634, elle est vue en ruines au XIe siècle ; les Croisés ne construiront qu’un oratoire en 1150, lequel sera définitivement rasé au XIVe siècle. Le lieu abrite depuis la fin du XIXe un carmel français dit «du Pater» parce qu’on avait trouvé sur place en 1102 une plaque en hébreu portant la prière donnée par Jésus. Ce qui confortait l’idée qu’étaient associés ce discours eschatologique de Jésus et la prière confiée aux disciples. On trouva encore au XIIe siècle quelques plaques en grec et en latin et la coutume s’est instaurée d’afficher sur de beaux tableaux émaillés le Notre Père dans toutes les langues ; en 2018 on en comptait 174, dont 8 en braille de plusieurs langues.
Jésus au «pressoir»
Tout en bas de la pente un jardin nommé «pressoir à huile», Gethsémani en hébreu, rappelle l’activité économique du mont ; la récolte de toutes les pentes aboutissait aux pressoirs installés au-dessus du Cédron, en face de Jérusalem. Et ce lieu, connu de tous les Hiérosolymitains, est celui que choisit Jésus pour se mettre un peu à l’écart de l’effervescence de la ville au moment des fêtes. «Pendant le jour il était dans le Temple à enseigner, mais la nuit il s’en allait la passer en plein air sur le mont dit des Oliviers» – Lc 21, 37. «Jésus sortit et se rendit comme de coutume au mont des Oliviers avec ses disciples avec lui» – Lc 22, 39. «Jésus parvient avec eux à un domaine appelé Gethsémani» – Mt 26, 36. «Jésus s’en alla avec ses disciples de l’autre côté du Cédron. Il y avait là un jardin dans lequel il entra avec ses disciples. Or Judas qui le livrait, connaissait aussi ce lieu, parce que bien des fois, Jésus et ses disciples s’y étaient réunis» – Jn 18, 1-2.
C’est bien là que Jésus vit ses derniers instants de liberté, uni intimement à son Père.
Tous les indices sont fournis pour qu’il n’y ait pas de confusion. C’est bien là que Jésus vit ses derniers instants de liberté, uni intimement à son Père. Les trois évangiles synoptiques nous en donnent le récit [Mt 26, 36-56 ; Mc 14, 32-52 ; Lc 22, 39-53] et il ne manque pas de lieux dans l’enceinte franciscaine de Gethsémani pour méditer ces pages d’évangile et accompagner «une heure» Jésus dans son offrande au Père.
Il y a la basilique des Nations édifiée en 1924 sur le tracé encore visible des deux bâtiments précédents, une église croisée de 1160 et une première basilique élevée en 380 par l’évêque Théodose que notre pèlerine Égérie appelle l’église élégante ; lisons son récit d’un Vendredi saint : «Ainsi donc, quand commence le chant des coqs, on descend jusqu’à l’endroit où le Seigneur pria comme il est écrit.
À cet endroit il y a une élégante église. L’évêque y entre et tout le peuple. On lit ‘Veillez pour ne pas entrer en tentation’ et tout le passage entier, et on fait de nouveau une prière. Il y a là une foule considérable, des gens fatigués par les vigiles, épuisés par les jeûnes quotidiens. On vient tout doucement à Gethsémani. On lit le passage de l’évangile où est arrêté le Seigneur et ce sont de tels cris et gémissements de tout le peuple en larmes que, presque jusqu’à la ville, les lamentations de tout le peuple se font entendre.
On regagne la ville à pied au chant des hymnes». La basilique est sombre afin de garder recueillement et mystère autour du rocher qui marque la prière de Jésus. Le jardin où sont conservés quelques vénérables oliviers n’est pas accessible au public, si ce n’est par la vue, mais dans le domaine boisé derrière la basilique il est possible de demeurer au calme et même de célébrer une liturgie.
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Point de départ
Au plus haut de l’arête du mont des Oliviers, à courte distance de l’Éléona vers le nord, on visite le petit édicule de l’Ascension. Égérie, toujours elle, évoque une liturgie «à ciel ouvert» dans un sanctuaire très récemment édifié. Détruit lui aussi par les Perses et relevé par Modeste, il nous en reste un dessin de l’évêque gaulois Arculfe pèlerin en 670.
Au XIIe siècle les Croisés entourent d’une enceinte à portiques le modeste mémorial. Mais Saladin fera murer les huit arcades aux chapiteaux romans et y ajoutera une coupole et un mihrab pour transformer l’édifice en mosquée ; il en confiera les clés à une famille musulmane, laquelle gère depuis des générations les entrées et permet aux latins de célébrer l’eucharistie à l’intérieur lors de la fête de l’Ascension.
Chaque jour cependant tout pèlerin peut venir se recueillir là où Jésus ressuscité «emmena ses disciples jusque vers Béthanie et, levant les mains, il les bénit. Et comme il les bénissait, il advint qu’il se sépara d’eux et fut emporté au ciel» – Lc 24, 50. Et «comme ils étaient là, les yeux levés au ciel pendant qu’il s’en allait, deux hommes vêtus de blanc se trouvèrent à leurs côtés et ils leur dirent ‘Hommes de Galilée, pourquoi restez-vous ainsi à regarder le ciel ? Celui qui vous a été enlevé, ce même Jésus, viendra comme cela, de la même manière dont vous l’avez vu s’en aller vers le ciel’» – Ac 1, 10. Un des sites les plus petits de toute la Terre sainte mais riche d’une grande espérance. Non pas tant de voir le Seigneur revenir «de la même manière» devant des yeux ébahis, mais bien qu’il n’est pas resté enfoui dans la terre, et qu’attendre son retour en gloire ne se vit pas dans la tristesse, mais dans la joie de le savoir vivant.
Le mont des Oliviers marque la frontière entre la mort et la vie.
Dernière mise à jour: 04/03/2024 09:32