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Père Hanna Jallouf : notre Carême d’espoir

Giuseppe Caffulli
14 mars 2020
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Une jeune réfugiée dans un camp de tentes de la province d'Idleb, le 6 mars 2020. ©Ali Syria/Flash90

Grâce à un accord russo-turc signé il y a quelques jours, une trêve fragile a pu être conclue dans la province syrienne d'Idleb. Mais la situation reste très difficile et les conditions de vie des nombreuses personnes déplacées, mais aussi de celles qui ont encore un toit sur la tête, sont extrêmes. Témoignage du franciscain de la paroisse de Knayeh


Le lundi 9 mars, sur la « une » des quotidiens principaux de la presse italienne, un « appel extraordinaire » a été lancé par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (Acnur/Unhcr). Le contenu est aussi clair que dramatique : « Dans le nord de la Syrie, un million de personnes fuient les bombardements, avec des températures avoisinant zéro degré. Des enfants, des personnes âgées, des malades meurent de faim et de misère. Les bombardements continuent de faire des victimes civiles. Leur fuite est interrompue par les frontières ». L’appel vise à contribuer, par des dons, à l’engagement de l’Unhcr à soutenir l’urgence humanitaire en cours et à aider « ceux qui vivent piégés dans les zones où ont lieu les combats ».

La région mentionnée par l’agence des Nations unies correspond en grande partie au gouvernorat d’Idleb, près de la frontière turque, où une véritable guerre entre Russes et Turcs pour le contrôle de la zone sévit depuis des mois. D’une part, Ankara pousse à la création d’une zone-tampon sous le contrôle de l’armée turque, qui vise à contrer même les milices kurdes qui, jusqu’à récemment, étaient indispensables pour combattre l’autoproclamé Etat islamique. D’autre part, Moscou, alliée au président syrien Bachar al Assad, bombarde lourdement le territoire pour permettre aux forces terrestres syriennes d’avancer.

La vallée de l’Oronte, où se trouvent les missions de la Custodie de Terre Sainte, descend des dernières ramifications de la chaîne de l’Anti-Liban « Montagne orientale du Liban » jusqu’au golfe d’Alexandrette, à une trentaine de kilomètres d’Idleb.

« L’accord du 5 mars dernier entre le président russe Vladimir Poutine et le président turc Recep Tayyip Erdogan contient encore trop d’ambiguïtés et de points obscurs. Je ne pense pas que la trêve tiendra ». C’est depuis Knayeh que s’exprime le père Hanna Jallouf, frère mineur de la Custodie de Terre Sainte. Depuis le début de la guerre civile syrienne, il vit avec frère Luai Bsharat dans la zone contrôlée par les rebelles et les djihadistes, et qui est aujourd’hui au cœur de combats acharnés.

« Les deux chefs d’Etat ont conclu un accord de cessez-le-feu, qui devrait s’étendre le long de la ligne tracée par l’autoroute M4, qui relie Alep à la côte. Cette artère sera patrouillée conjointement par des soldats turcs et des soldats russes, créant un no man’s land de six kilomètres de large. Mais il est peu probable que cet accord soit définitif. Les rebelles n’accepteront jamais que les Russes, qui sont des ennemis et qui soutiennent le président Assad, puissent entrer dans la zone qu’ils contrôlent. Il peut y avoir un accord secret concernant le retrait des forces rebelles de certaines zones, je ne l’exclus pas… Autrement, cette trêve ne durera pas ».

La situation humanitaire reste très difficile, même si les jours de trêve ont un peu apaisé la tension. Et certaines familles ont pu retourner dans les villages abandonnés à cause des bombardements.

Il y a beaucoup de personnes déplacées venant des villes et vivant dans des tentes de fortune, dans des voitures. Même dans des poulaillers. Il n’y a pas un trou qui ne soit habité par ceux qui ont tout perdu.

« D’immenses camps de réfugiés ont fleuri le long de la frontière turque. Mais ici aussi, dans nos régions, il y a beaucoup de personnes déplacées qui viennent des villes et vivent dans des tentes de fortune, dans des voitures. Même dans des poulaillers. Il n’y a pas un trou qui ne soit habité par ceux qui ont tout perdu. Les produits de première nécessité et les denrées alimentaires arrivent, mais leur prix est exorbitant. Un kilo de pain coûte un demi-dollar. Pour une famille nombreuse, acheter du pain devient un luxe, puisque le revenu familial moyen est de 30 dollars. Le diesel et l’essence sont très chers. Le prix de la viande et des céréales augmente chaque jour. Pour se chauffer, les gens vont dans les champs pour ramasser du bois, en coupant des arbres même dans des propriétés privées.

La question la plus importante que les parties concernées ne semblent pas en mesure de résoudre est celle de la « normalisation » du pays. « Dans l’accord de Moscou, l’intégrité territoriale de la Syrie a été réaffirmée. Assad devra reprendre le contrôle d’Idleb par la force ou par amour, même si cette région reste hostile au gouvernement. Mais nous savons que la Turquie a ses propres plans : empêcher le nord syrien de redevenir le centre de la résistance kurde. En bref, la situation reste bloquée et difficile. Le gouvernorat d’Idleb et nos régions dans l’Oronte sont toujours dans l’insécurité. Lorsque vous sortez de chez vous, vous ne savez jamais ce qui peut vous arriver. Le couvre-feu reste en vigueur et certaines zones sont contrôlées par des organisations criminelles ».

A Knayeh, comme dans les autres villages de l’Oronte (Gidaideh et Jacoubieh), les structures paroissiales et les couvents abritent près d’une centaine de familles, pour la plupart musulmanes, qui ont tout perdu, fuyant des régions où l’on s’est longtemps battu mais qui ne sont pas encore en sécurité. Ou bien des régions où il n’y a pas encore de possibilité concrète de reprise économique.

« Nous espérons que Pâques apportera aussi une résurrection pour la Syrie, qui doit être libérée des étrangers et rendue à son peuple », explique frère Hanna, « aucune solution durable ne sera trouvée si la gestion de la crise syrienne est laissée uniquement à Ankara, Moscou et Téhéran ». Le frère fait allusion aux conséquences du conflit syrien et aux répercussions sur l’ensemble de la région méditerranéenne, avec les 3,5 millions de réfugiés de Turquie se pressant aux frontières de l’Europe.

Les villageois de l’Oronte, en revanche, vivent un bien long Carême. « Il reste près de 700-800 chrétiens sur ces terres, soit 210 familles. Notre chemin de pénitence dure depuis 2011. Souvent, le nécessaire manque et il est alors assez facile d’observer le jeûne. Mais nous offrons volontiers tous nos sacrifices au Seigneur pour qu’il nous envoie enfin la paix. Que Pâques cette année marque une renaissance spirituelle et une véritable libération pour nous tous ».

Il est possible de soutenir le travail des franciscains de la Custodie de Terre Sainte au nord de la Syrie grâce à l’Association ATS Pro Terra Sancta. Cliquez ici pour en savoir plus.

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