Edoardo Barbieri a poussé la porte de la bibliothèque historique de la custodie il y a 10 ans. Il savait qu’il y avait là, chez les franciscains, un livre dont il n’existe que 11 copies dans le monde. Depuis, avec ses étudiants, il n’a de cesse de protéger et valoriser le trésor qu’il a découvert sur place.
Comment décririez-vous la bibliothèque générale de la custodie de Terre sainte ?
C’est une bibliothèque historique car elle possède un patrimoine historique lié aux événements de la custodie de Terre sainte. Cela s’explique par les sujets qu’elle traite et par le fait que les livres qu’elle conserve appartiennent aux frères de la custodie depuis des siècles.
En Italie, de nombreuses bibliothèques ont été détruites à l’époque napoléonienne, puis partiellement reconstituées à la Restauration, de nouveau anéanties avec l’Unification (1815-1870), et ces dernières années, vendues par les congrégations. En revanche, s’agissant de la bibliothèque de la custodie, nous avons des preuves de continuité : il existe des notes attestant de la possession de certains livres. Le passage du mont Sion au couvent Saint-Sauveur est un moment important dans l’histoire de la bibliothèque. Les franciscains établirent au couvent du mont Sion en 1335 leur premier siège officiel à Jérusalem. Il existe deux notes qui attestent avec certitude du don fait par le théologien Johann Hennigk de Haynis confirmant la présence d’une première bibliothèque au mont Sion. Ces notes ont été retrouvées dans deux textes (aujourd’hui conservés à la bibliothèque générale de Terre sainte), donnés aux frères du couvent du mont Sion en 1521. Après avoir été expulsés en 1551, les frères établirent leur siège dans ce qui allait devenir le couvent Saint-Sauveur à Jérusalem, d’où les livres de la custodie ne déménagèrent plus jamais, si ce n’est pour de nombreux déménagements internes. D’autres notes faisant référence à des dons certifient que la bibliothèque a été créée au fil du temps à usage de la communauté.
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Quels sont les trésors de la bibliothèque ?
Le trésor est constitué du patrimoine historique divisé en 7 fonds : la collection moderne et l’ancienne, la collection des manuscrits et celle de la médecine, la collection Itinera ad loca sancta (ITS), la collection des XVIIe et XVIIIe siècles et celle de l’imprimerie franciscaine, la Franciscan Printing Press. Tous les livres abordant les sciences bibliques ont été donnés au Studium Biblicum Franciscanum, fondé en 1929 à Jérusalem en tant que Faculté des sciences bibliques de la custodie de Terre sainte.
La collection ancienne comprend des livres des XVe et XVIe siècles, avec des textes du premier noyau de livres du mont Sion et des textes donnés à la bibliothèque générale de la custodie par la bibliothèque du Commissariat de Terre sainte à Washington.
Parmi les collections les plus précieuses on trouve les manuscrits, répertoriés selon les alphabets dans lesquels ils sont écrits. Il y a ceux qui sont écrits en latin (indiqués par le code MS), ceux qui sont enluminés et restaurés (MIN) ainsi qu’une section appelée COR, comprenant les chorals qui ont la caractéristique d’être de grande taille. Il y a ensuite les livres imprimés anciens, répartis par époques : une centaine du XVe siècle ; près de 700 du XVIe siècle ; environ 1200 éditions du XVIIe siècle ; et on estime à quelque 3000 le nombre de volumes du XVIIIe siècle.
Parlez-nous des manuscrits
Les quelque 650 manuscrits constituent l’un des trésors les plus précieux de la bibliothèque. On possède une cinquantaine de manuscrits latins médiévaux, ainsi qu’un exemplaire unique particulièrement important : un manuscrit arménien du milieu du XVe siècle, qui renferme une page d’un autre manuscrit, en grec, datant probablement du XIe ou XIIe siècle ; c’est sans conteste le document le plus ancien de la bibliothèque.
Nous avons réalisé divers travaux sur les manuscrits : nous les avons d’abord rassemblés et numérotés, puis en avons fait l’inventaire que l’on peut trouver sur le site internet de la bibliothèque (voir pages 40-41).
Ensuite nous avons réalisé un travail de fiches codicologiques pour les manuscrits médiévaux, publiées sur Manus, le plus grand catalogue de manuscrits en ligne. Enfin, deux expositions ont été organisées : l’une in situ à Saint Sauveur, et l’autre virtuelle sur notre site web. Les expositions servent à créer des relations et des amitiés, l’objectif du projet Les Livres, des Ponts de Paix dont nous reparlerons.
Le fonds de l’ITS, Itinera Terrae Sanctae, est l’un des plus remarquables fonds de la bibliothèque custodiale. Il s’agit d’une collection d’environ 1500 volumes historiques très importants, notamment des récits de pèlerinages en Terre sainte. Ceux qui sont anciens représentent 250 livres pour environ 150 éditions. Ce fonds a été constitué en partie grâce à l’activité du père Agostino Arce, un franciscain espagnol qui fut bibliothécaire de la custodie.
À partir de ce fonds, nous avons créé des archives en ligne comprenant des photos des illustrations présentes dans les éditions. Il existe également un catalogue publié par les Éditions Terre Sainte (en Italie) et signé par Alessandro Tedesco. Ce livre a suscité l’intérêt de plusieurs chercheurs du monde occasionnant nombre de recensions dans la presse.
Comment avez-vous été impliqué dans les activités liées à la bibliothèque générale de la custodie de Terre sainte ?
Je suis entré pour la première fois dans cette bibliothèque il y a 10 ans, en présence du père bibliothécaire de l’époque, frère Marcello Badalamenti. J’ai trouvé un livre dont je savais qu’il n’existait que 11 autres exemplaires dans le monde entier. À partir de là, j’ai décidé de prendre un risque et d’entreprendre un petit projet : un catalogue sur les incunables de la bibliothèque. Les premiers étudiants ont commencé à venir à Jérusalem et nous avons ensuite décidé de continuer à cataloguer d’autres périodes historiques.
La bibliothèque a changé d’emplacement à plusieurs reprises, mais c’est en 2012, lors de l’inauguration des locaux actuels, que nous avons voulu exposer pour la première fois des livres de la bibliothèque. Nous avons préparé de longues tables dans la salle de la Curie de la custodie de Saint-Sauveur, avec l’aide des religieuses, qui ont cousu les ourlets des nappes pour les recouvrir. C’était la première exposition de livres de la custodie et les frères ont été enthousiastes. Beaucoup nous ont dit que c’était précisément de cette façon que notre idée de Les Livres, des Ponts de Paix pouvait devenir réalité. Grâce à de telles occasions, nous pouvons en fait créer des ponts entre le monde des frères et les intellectuels locaux, qui sont des érudits, pour la plupart juifs et laïcs.
Au fil des ans, un groupe de travail a été créé.
Oui, nous avons créé un petit groupe à Milan avec des doctorants et des diplômés que nous rencontrons régulièrement. Chaque année, j’amène ici des groupes d’étudiants en visite qui collaborent en tant que volontaires et je demande à l’un de ceux qui sont déjà allés à Jérusalem de m’accompagner. Il peut ainsi m’aider dans la gestion du travail et des engagements. Un tel voyage pour les étudiants devient une expérience extraordinaire, tout d’abord parce qu’ils sont capables de mettre en pratique ce qu’ils étudient et ensuite parce qu’ils voient l’utilité de leur travail.
C’est aussi une question de méthode pour moi : je suis un professeur d’université que les étudiants ne voient qu’en salle de classe. Mais quand nous venons à Jérusalem, je partage l’expérience avec eux : je vis dans le même bâtiment qu’eux, je mange et je travaille avec eux. De cette façon, ils voient que le professeur est une personne comme tout le monde, c’est une petite révolution, une belle expérience pour moi comme pour eux.
Le travail de tous est financé par la custodie de Terre sainte, l’Association ATS Pro Terra Sancta et le CRELEB [Centre de Recherche Européen Livres, Édition et Bibliothèque] de l’Université catholique du Sacré-Cœur.
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Quels sont les prochains projets ?
Il devrait y avoir une exposition sur l’orientalisme. Il y a toujours eu un intérêt de l’Église – et c’est révolutionnaire – pour la connaissance du Moyen-Orient. Nous organiserons ensuite une exposition sur la Franciscan Printing Press, grâce au fonds de la bibliothèque, et à laquelle se consacre ma doctorante Arianna Leonetti.
Il y a d’autres aspects à améliorer à l’avenir et c’est ce que nous chercherons à faire. Comme nous l’avons vu dans l’exposition « La Bible en mouvement : Traditions et traductions de l’Écriture Sainte », le livre change constamment de forme et si la Bible est sacrée pour l’histoire qu’elle raconte, les formes que prend le texte en revanche sont toujours en évolution.
CENTRE DE RECHERCHE EUROPÉEN
Les Livres, des Ponts de Paix
La construction d’espaces d’étude et de recherche à Jérusalem peut contribuer à instaurer un dialogue entre les peuples, les cultures et les religions. De ce constat est né le projet Les Livres, des Ponts de Paix, conçu par le professeur Edoardo Barbieri, directeur du CRELEB (Centre de Recherche Européen Livres, Édition et Bibliothèque), et en collaboration avec l’ATS, Association Pro Terra Sancta.
Depuis une dizaine d’années, le professeur de l’Université catholique du Sacré-Cœur de Milan s’est engagé à valoriser le patrimoine de la bibliothèque de la custodie de Terre sainte, en cataloguant les œuvres existantes, en faisant travailler les étudiants sur le terrain à Jérusalem et en organisant des expositions et des conférences qui puissent servir de ponts avec le monde universitaire et intellectuel local.
Dernière mise à jour: 04/03/2024 14:02