Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Belvoir : l’Étoile des vents au feu des projecteurs

Anne Baud - Maître de conférences en archéologie à l’Université de Lyon2, HDR
24 avril 2020
email whatsapp whatsapp facebook twitter version imprimable
Château de Belvoir, vue de la cour intérieure vers l’est (et de la citerne dans l’angle nord-ouest). Sa position situait le château à la frontière orientale du Royaume franc de Jérusalem. © Mission Archéologique Belvoir

Le château de Belvoir, appelé aussi «Étoile des vents», est l’une des plus importantes fortifications croisées de Terre sainte. Depuis sept ans une équipe pluridisciplinaire se rend en Israël pour l’étudier. Anne Baud du Laboratoire ARAR (Archéologie et Archéométrie) de Lyon, directrice des recherches, en rend compte pour Terre Sainte Magazine.


Archéologues, architectes, topographes, tailleurs de pierres se sont une nouvelle fois réunis dans le nord d’Israël, à une quinzaine de kilomètres au sud de la mer de Galilée, au pied des vestiges de Belvoir. Le château, juché au sommet d’un plateau basaltique, domine toujours fièrement la vallée du Jourdain. C’est l’une des plus importantes fortifications de Terre sainte construite dans la deuxième moitié du XIIe siècle par l’ordre de l’Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem.

Dès le début des années 1170, Belvoir est idéalement placé pour défendre le royaume de Jérusalem contre la menace représentée par l’émir d’Alep Nûr al-Dîn. La forteresse permet de surveiller la vallée du Jourdain depuis le sud du lac de Tibériade jusqu’à Beth Shean. Enlevé par l’armée ayyûbide en janvier 1189 à la suite d’un siège commencé en été 1187 après le désastre de Hattin, le château suscite l’intérêt de Saladin qui y ordonne des réparations. En 1241 Belvoir est rendu aux chrétiens avec une grande partie de la Galilée. Finalement, la place tombe aux mains des Mamelouks dès la première campagne que le sultan Baybars entreprend en Palestine en 1263.

 

Lire aussi >> Sur la trace des Templiers à Saint-Jean-d’Acre

 

Les résultats de l’étude archéologique

L’équipe archéologique de Belvoir s’est attachée à mener une étude la plus exhaustive possible sur les vestiges du château sans doute abandonné dès le XIVe siècle puis réoccupé par un village arabe. La fortification présente un plan centré avec deux enceintes concentriques. L’enceinte intérieure de plan carré et la seconde pentagonale sont cantonnées aux angles de tours également carrées.

L’enceinte extérieure est bordée par un imposant fossé, creusé dans le basalte ; on y accède par l’est, grâce à une rampe menant à une porte monumentale. Elle englobe différents espaces de vie et de circulation dont une grande citerne non loin de laquelle se tenaient peut-être des bains associés à des fours. En contrebas de la porte principale, dans la pente descendant au Jourdain, une barbacane constituait une défense avancée. Il n’en reste qu’un segment de mur avec archères.

Plan du château de Belvoir avec au centre le tracé du bâtiment primitif. Dominant les courbes de niveau le château, sur son plateau est de plan simple. Les religieux usaient du carré central et tout le personnel non-religieux des espaces de l’enceinte pentagonale. ©Mission Archéologique Belvoir

 

Le réduit intérieur constitue la partie du château la mieux conservée. Son entrée, à l’ouest, précédée par une tour-porte, donne sur une salle sans fin munie d’archères, qui se développe le long des courtines. La salle est divisée en plusieurs pièces qui possèdent chacune un accès à la cour où se trouve une citerne aux dimensions plus modestes que la précédente. La fonction du rez-de-chaussée, sans doute multiple, est associée aux nécessités domestiques et à la défense du château.

A l’est, une salle probablement réservée au raffinement de sucre se caractérise par trois fours alignés. Plusieurs châteaux hospitaliers de Terre Sainte fournissaient en effet du sucre pour les remèdes destinés à l’hôpital de Jérusalem. L’étage, aujourd’hui totalement dérasé, était réservé au couvent des frères. On y accédait par une rampe appuyée contre le mur sud de la cour. Il subsiste de ce premier niveau quelques traces de seuils et de fenêtres, mais ce sont surtout les nombreuses pierres taillées, trouvées par Ben Dov et stockées au-delà du fossé septentrional, qui permettent aujourd’hui de proposer une restitution des lieux.

L’enceinte extérieure, ici son flanc nord, est implantée sur les orgues basaltiques.
© Mission Archéologique Belvoir

 

La découverte d’une chapelle

Après un premier recensement des blocs, taillés essentiellement dans le calcaire mais aussi dans le basalte, il est rapidement apparu un ensemble architectural homogène susceptible d’apporter un éclairage sur le premier étage disparu du château.

L’étude de centaines de pierres taillées, sculptées ou non, auxquelles s’ajoutent les blocs conservés dans les réserves archéologiques de Beth Shemesh, sans oublier les plus prestigieuses présentées au musée de Jérusalem, permet d’avancer une restitution partielle de l’étage. Il est aujourd’hui possible de démontrer que la grande majorité des blocs appartient à la chapelle qui fut sans doute démontée tardivement et non détruite comme l’indique l’excellente conservation des pierres.

D’autres blocs taillés, chapiteaux, colonnettes, sculptures figurées, de très fines factures, seraient à placer dans d’autres salles à l’étage, telles que celle du chapitre, le dortoir ou le réfectoire. Les colonnes coudées et leurs chapiteaux en calcaire ou basalte, pourraient prendre place dans une de ces salles. Ce type de support se retrouve fréquemment dans l’architecture religieuse du Royaume de Jérusalem.

 

Les blocs taillés ont fait l’objet d’un relevé manuel et parfois photogrammétrique (image 3D) afin d’être employés à l’anastylose (technique de reconstruction d’un monument en ruine grâce à l’étude de l’ajustement des différents éléments) de la chapelle. Plan et élévations ont pu ainsi être restitués. La chapelle possédait une nef unique construite sur deux travées. L’abside semi-circulaire à l’intérieur, présentait des pans coupés à l’extérieur. Elle était éclairée par une baie unique et possédait une ou deux armoires liturgiques sur le modèle du château d’Aqua Bella non loin de Jérusalem. Le voûtement d’ogive de la nef, reposait sur des piliers composés engagés dans les murs, par l’intermédiaire de chapiteaux à palmettes. L’analyse des espaces réservés à l’étage, montre que l’emplacement de la chapelle se situait à l’ouest, au-dessus de la tour-porte et perpendiculairement à la salle «sans fin».

À partir des pierres taillées retrouvées sur le site une ortho-photo du mur sud permet de proposer une restitution du réduit intérieur avec la rampe menant à l’étage. © L. Dagostino.

 

Le chantier de construction

Lorsque les hospitaliers entreprennent la construction du château, ils commencent par élever le réduit intérieur. L’analyse du bâti existant montre une grande homogénéité de construction tant dans le choix des matériaux que dans celui des formes architecturales. Pour les enceintes, les constructeurs se sont prioritairement approvisionnés en basalte noir, matériau extrait in situ à la faveur des fossés, pour monter les glacis et certains éléments d’architecture tels que les chaînages d’angle, les piédroits des archères (pierres à bossage) et les encadrements de portes.

 

Un calcaire blanc, extrait de carrières un peu plus éloignées, était réservé aux murs de la chapelle mais aussi à la plus grande partie des sculptures. Cette mise en œuvre des matériaux conférait à l’architecture du château une élégante bichromie qui, visible de loin, participait au prestige de la fondation hospitalière dans cette région de Terre sainte. La construction du glacis, malgré son apparence quelque peu grossière en raison de l’emploi de blocs de basalte sommairement taillés, a fait l’objet de grands soins comme en témoigne la mise en œuvre des très nombreuses agrafes en fer scellées au plomb dans la pierre.

D’où venait le métal ? S’agissait-il d’un approvisionnement depuis un gisement situé au-delà du Jourdain ? Ou bien les constructeurs s’étaient-ils servi sur les sites antiques comme celui de Beth Shean ? Plusieurs pierres, en situation de remploi, ont pu être identifiées dans l’ensemble du château mettant en évidence l’importance de la récupération des matériaux sur les sites en ruines.

 

Lire aussi >> Les Croisés revisités

Un premier bâtiment antérieur au château

Lorsque vers 1160 les hospitaliers acquièrent le site, celui-ci est déjà occupé. La fouille réalisée dans la cour du château a mis au jour un premier édifice que l’on peut attribuer à un certain Ivo Velos qui est cité dans les textes comme étant propriétaire des lieux.

On ne connait pas les limites extérieures de ce bâtiment, mais l’on sait déjà qu’il était composé d’une cour centrale quadrangulaire dallée de basalte et entourée d’au moins trois pièces. Son architecture est soignée comme en témoignent les murs en moellons liés à la terre et recouverts par un enduit à la chaux. On remarque plusieurs aménagements dont une série de banquettes longeant les murs et sans doute un bassin.

 

Nos travaux ont donc mis en évidence l’existence d’un édifice qui témoigne de la première occupation latine dans cette région dans la première moitié du XIIe siècle. Il a été détruit lors de l’arrivée des hospitaliers. Les frères chevaliers construisirent en cette même place stratégique un imposant château contribuant au prestige de l’Ordre.

Ces travaux archéologiques ont livré beaucoup d’informations nouvelles sur la forteresse de Belvoir. Les résultats seront prochainement détaillés dans un ouvrage monographique.

 

LE PROJET

Comprendre l’histoire

Depuis 2013, une équipe franco-israélienne étudie le château en associant, dans un travail pluridisciplinaire, archéologues, historiens, architectes, historiens de l’art, topographes, géologues et tailleurs de pierres. L’objectif est de mieux saisir le projet architectural, les techniques de construction mises en œuvre et le phasage de chantier. Il s’agit aussi de retrouver une éventuelle occupation antérieure à l’édification du château. Malgré les deux grandes campagnes de fouilles menées sous la direction des archéologues israéliens N. Tzori et M. Ben Dov (1963 et 1966), aucune étude exhaustive n’avait encore été publiée sur l’histoire du site, qui a cependant connu la présence des Francs, des Ayyoubides et des Mamelouks.

Dernière mise à jour: 04/03/2024 11:10

Sur le même sujet