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“Cette épidémie nous pousse à remettre l’Homme à sa juste place”

Terresainte.net
15 avril 2020
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Frère Louis-Marie Coudray (à droite) et Mgr Pierbattista Pizzaballa (à gauche), à l'abbaye bénédictine d'Abu Gosh (16 km de Jérusalem). ©Mab/TSM

En cette période de confinement, Terre Sainte Magazine vous propose de vivre au plus près le quotidien de nos frères et soeurs de Terre Sainte, au travers d'une série de portraits exclusifs. Retrouvez aujourd'hui le témoignage de Frère Louis-Marie Coudray,  moine bénédictin olivétain à Abu Gosh (Israël) et ancien directeur du Service national pour les relations avec le Judaïsme de la Conférence des évêques de France. 


 

Frère, comment vous et votre communauté vivez-vous le confinement ?

Pour nous qui sommes entièrement confinés naturellement, nous continuons de vivre comme une grande famille, sachant que personne n’est infecté. Nous ne courrons aucun risque en continuant notre vie communautaire, quelque part. C’est la grande différence entre les communautés religieuses chrétiennes fermées, et les communautés juives haredi, qui elles vivent dans le monde, et provoquent une catastrophe en voulant continuer de se rendre à la synagogue ces jours-ci. 

Au niveau de notre vie quotidienne, il n’y a donc pas de réelle différence, si ce n’est le fait que nous n’avons plus aucun groupe de pèlerins ou touristes […]. Cela fait du bien, mais l’accueil fait partie de notre vocation, un lieu saint étant aussi fait pour que les chrétiens puissent en bénéficier. Par ailleurs, ce sont les pèlerins qui nous permettent de vivre… et nos revenus sont actuellement retombés à zéro. Donc nous espérons vraiment que le tourisme et les pèlerinages pourront reprendre sans trop tarder. 

Quel regard portez-vous sur cette période que nous traversons ?

Un regard à la fois d’étonnement et de sidération, quelque part, même si le mot est un peu fort. Nous nous croyions maître de tout, et nous rendons maintenant compte que ce n’est pas le cas. D’un seul coup, un petit virus est venu tout perturber. Cela me rappelle la période où l’on a vu l’irruption d’un volcan islandais en 2010, qui avait perturbé toute la vie mondiale. Cette situation nous pousse à admettre que notre humanité, aussi géniale soit-elle, ne maîtrise pas tout. Elle reste, je dirais, comme l’humanité de l’Antiquité ou celle du Moyen-âge face à une pandémie. Sauf que dans notre cas, le coronavirus se propage encore plus vite puisque nous avons des moyens de communication plus rapides. Nous voyons aussi que le fameux principe de précaution, avec lequel nous voulons tout prévoir et ne jamais avoir de pépin, ne marche pas non plus. La vie est faite de risques. Ce qui me paraît important, c’est que cette épidémie nous pousse à remettre l’Homme à sa juste place. 

Les réactions des gens qui nous entourent sont également intéressantes : nous voyons de la désinvolture, de l’angoisse, de la solidarité. Je suis personnellement frappé par tout l’humour qui est fait sur internet : c’est quand même assez fabuleux ! Nous voyons que ce sont aussi ces moyens de communications qui rendent le confinement beaucoup moins difficile que s’il était arrivé il y a 60 ou 70 ans. Cette crise apporte donc également une réflexion sur le progrès, avec à la fois tout ce qu’il nous amène de positif, et tout ce qu’il avait amené de négatif, dans la mesure où nous nous croyions maîtres de tout. 

Comment, selon vous, la vivre de manière chrétienne ?

Je pense que cette situation nous invite à revenir à l’essentiel, notamment à se demander : “qu’est-ce qui, dans ma vie, est le plus important ? Est-ce que je ne me disperse pas en permanence avec 1000 choses qui me paraissent fondamentales, mais n’ont en réalité aucun intérêt ?” Je pense que l’enjeu est là.

Cette crise nous invite aussi à un approfondissement de notre foi, dans la mesure où nous ne sommes pas portés par la liturgie habituelle pour vivre ces jours saints. Je le disais à des amis : il m’est un peu difficile en ce moment de répondre à mon écran : “Et avec votre esprit !” En étant frustré de la liturgie, de la communauté, les chrétiens sont amenés à redécouvrir la valeur et le sens du rite. J’espère qu’en s’étant retrouvés sans messe du jour ou lendemain, nous pourrons mieux nous rendre compte de toute la saveur et la richesse de la liturgie. Un peu comme un malade de l’hépatite, qui ne peut pas boire d’alcool pendant un an, et est un jour de nouveau autorisé à prendre un bon verre de vin…il l’apprécie d’autant plus ! 

Enfin, je crois que les chrétiens doivent vivre cette situation en faisant preuve de solidarité, ne serait-ce que téléphoner à des personnes âgées ou isolées. 

Quels fruits trouvez-vous dans le confinement ? 

En tant que communauté monastique, cette situation nous montre l’importance d’avoir des fidèles qui viennent à nos liturgies. Nous prenons aussi davantage conscience que si nous soignons la liturgie, c’est pour la beauté du culte rendu à Dieu, et non pas pour le spectacle. Que notre église à Abu Gosh soit vide ou pleine de monde, ce n’est pas l’essentiel. Et si la beauté de notre liturgie touche les fidèles, tant mieux, mais ce n’est pas pour eux que nous le faisons.

Un conseil pour ceux qui vivent plus difficilement la cohabitation ?

Oui, la première chose : essayer de comprendre le comportement de celui avec qui je vis, et de se poser la question: “Pourquoi agit-il comme ça ?”. Ne pas réagir à chaud, mais voir quelle est la cause de sa réaction, et travailler sur cette cause.

La seconde : faire preuve de beaucoup de recul et d’humour ! Ce n’est pas toujours facile lorsque l’on est confinés, mais je pense qu’il faut savoir rire des choses. En liturgie par exemple, quand une erreur est faite, soit vous piquez une crise, soit cela vous fait sourire…et cela change tout ! D’un côté vous créez une tension dans l’ensemble de la communauté, et cela est épouvantable, de l’autre vous riez et la bourde est oubliée une minute plus tard.

Enfin, peut-être, essayer de mettre ce temps à profit pour lire, étudier la parole de Dieu et se recentrer sur l’essentiel. C’est à dire être amené à une vraie conversion de coeur. En ces temps difficiles, rendons d’autant plus grâce à Dieu pour toutes ces choses offertes, qui nous semblent si naturelles en temps normal, mais dont nous sommes privés.

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