En cette période de confinement, Terre Sainte Magazine vous propose de vivre au plus près le quotidien de nos frères et soeurs de Terre Sainte, au travers d'une série de portraits exclusifs. Retrouvez aujourd'hui le témoignage de Frère Tuwfik ofm, prêtre de la paroisse St Jean-Baptiste, à Acco (Israël).
Saint-Jean-d’Acre (Acco) est une ville côtière située au nord-ouest d’Israël. Y réside aujourd’hui près de 40 000 juifs, 17 000 musulmans et un peu moins de 1 500 chrétiens. Parmi eux, 120 foyers composent la communauté catholique latine d’Acre, assemblés autour de la paroisse Saint-Jean-Baptiste. Le frère franciscain Toufic en a pris la charge en septembre 2019. Il nous raconte ici avec humour son quotidien de prêtre confiné, au service de cette minorité chrétienne parmi la minorité.
Frère Toufic, parlez-nous de Saint-Jean d’Accre ces jours-ci ?
Les habitants sont tous enfermés dans leur maison, très peu sortent. En raison de la fête de Pessah [Pâque juive], nous ne sommes pas autorisés ces jours-ci à sortir à plus de 100 mètres de nos maisons et tout est fermé, même les grands marchés. Nous avons dû beaucoup anticiper, et faire des provisions pour les semaines qui viennent !.
Au couvent, le frère franciscain Maoky, qui vivait avec moi, a été nommé à Nazareth au début du confinement. Notre cuisinière ne vient plus non plus, par mesure de sécurité. Donc je vis seul au monastère, complètement seul, depuis la fête de saint Joseph, le 19 mars. Je fais tout par moi-même, le ménage, la cuisine, le jardinage, je prie…un vrai moine (rires) !
A quoi ressemblait la vie de votre paroisse juste avant le confinement ?
Plusieurs initiatives avaient été mises en place ces derniers mois : nous avions commencé un groupe de catéchisme avec vingt-trois enfants, pour les préparer à la première communion et confirmation. J’avoue que cela me manque vraiment, la catéchèse ; je n’ai pas encore trouvé comment réinventer ce temps pendant le confinement. Il y avait aussi un groupe de lectio divina pour les adultes, une fois par semaine.
Et puis les fidèles commençaient à venir à la messe, c’était un vrai soutien pour moi de les voir. En septembre, à mon arrivée, je comptais moins de douze paroissiens à l’office du dimanche. Au fil de l’année, l’assemblée s’est élargie à vingt-cinq personnes, et quelques jours avant le Covid-19, j’en comptais même trente à trente-cinq. J’espérais voir arriver de plus en plus de monde. L’épidémie du coronavirus a bloqué tout cela, puisque nous ne pouvons plus nous réunir.
Quelle(s) initiative(s) mettez-vous en place depuis le début du confinement ?
Le 14 mars dernier, j’ai lancé une page facebook pour la paroisse Saint Jean-Baptiste, qui n’en avait pas, et ai commencé à filmer la messe dominicale. Elle a été retransmise en direct et beaucoup de gens l’ont regardée depuis chez eux. J’ai fait pareil le dimanche suivant. Au fil des semaines, j’ai pris peu à peu le plis de la messe en ligne, des réseaux sociaux, des applications numériques… ce qui prend du temps, car j’avoue que je ne suis pas très doué en informatique, ce n’est pas mon truc [rires] !
La semaine dernière, j’ai aussi commencé à lancer la lectio divina par Zoom, avec des adultes. Et puis j’ai essayé de filmer le chemin de croix. Ce n’est pas évident de tout faire tout seul, être le lecteur, le célébrant, le choriste…et l’agent technique pour déplacer la caméra le long du chemin de croix ! Mais je crois que les gens étaient contents malgré tout, j’ai vu que plusieurs centaines de personnes ont suivi la célébration sur Facebook.
Il y a quelques jours, en discutant avec le père Custode [Fr. Francesco Patton], j’ai eu une idée. J’aime bien parler, et parler beaucoup [rires], alors je vais lancer un catéchisme pour les paroissiens, une série de petites vidéos en live sur Facebook. Les vidéos seront publiées chaque semaine. Je commencerai par le thème de la résurrection de Pâques en partant de la situation actuelle : l’isolation, la douleur de chacun… pour ensuite aller vers la résurrection du Christ et le message d’espoir que cela porte.
Comment les paroissiens d’Acre vivent-ils ce temps ?
J’ai remarqué qu’ils n’aiment pas beaucoup les messes télévisées, une poignée d’entre-eux n’y est pas du tout habituée et ne s’en satisfait toujours pas. Mais je sens que même si peu viennent habituellement à la messe, ils ont soif d’une relation plus personnelle, réelle, avec l’Eglise […]. j’ai appelé tous les paroissiens un par un dimanche, après la messe de Pâques. Certains ont été étonnés de mon appel : “Bonjour… vous avez besoin de quelque chose, père…?”. “Non, non, juste de savoir comment vous allez, et célébrer Pâques !” Ils ont bien aimé le geste, je crois. Et plusieurs m’ont témoigné au téléphone de l’importance que prend la prière dans leur quotidien ces temps-ci. C’est une belle nouvelle.
Par ailleurs, tout le monde répète la même chose, mais je trouve que c’est très vrai : rester à la maison n’est pas facile. Vivre les uns sur les autres, tout au long de la journée, ce n’est pas facile. Le temps s’écoule différemment, les adolescents passent la journée sur leur portable, les enfants s’ennuient…
Un conseil durant cette période ?
Je crois que ce confinement est un temps où l’on peut mieux se connaître en famille. Avant le confinement, les gens avaient un rythme quotidien qui les empêchaient de se retrouver. Là, ils n’ont plus le choix, nous sommes obligés de re-faire connaissance en quelque sorte, et de mieux connaître les limites et faiblesses de ceux qui nous entourent.
C’est aussi une occasion de se connaître soi-même. Personnellement, en vivant seul, vraiment tout seul, je dois réorganiser mes journées, apprendre à tout faire par moi-même. A travers la solitude, je me rends finalement compte que j’ai des capacités dans des domaines que je n’imaginais pas. J’ai plus de temps pour lire aussi… . Il y a quelque chose de plus en moi que je redécouvre, et cela me rend heureux. J’invite chacun d’entre à prendre avantage de ce temps de confinement pour chercher à mieux connaître ceux qui l’entourent et mieux se connaître soi-même.