A Bethléem, “les habitants déposent des sacs de nourriture devant notre maison”
En cette période de confinement, Terre Sainte Magazine vous propose de vivre au plus près le quotidien de nos frères et soeurs de Terre Sainte, au travers d'une série de portraits exclusifs. Retrouvez aujourd'hui le témoignage lumineux de María Ruiz, volontaire espagnole et consacrée auprès du foyer de l’Enfant-Dieu de Bethléem (Cisjordanie).
Dans les hauteurs de Bethléem, à quelques pas de la basilique de la Nativité, la petite communauté argentine du Verbe Incarné ne chôme pas. Derrière les lourdes portes closes du foyer de l’Enfant-Dieu, une maison d’accueil pour personnes handicapées, les religieuses prennent soin de leur “grande famille” : cinq adultes et trente-et-un enfants de la région. María Ruiz est une volontaire en mission dans le pays depuis huit mois. Elle a choisi de rejoindre le foyer en tant que volontaire au début du confinement. Elle témoigne.
Maria, racontez-nous votre arrivée au foyer, début mars ?
Je suis arrivée à Bethléem la veille de la découverte des premiers cas de coronavirus. Je venais de passer sept mois à Ein Karem [village israélien à 7 km au nord de Jérusalem], et avais prévu de servir ensuite cinq mois à Bethléem pour connaître l’autre réalité de la Terre Sainte, le mur, ce que vivent les Palestiniens de l’intérieur, etc. Le lendemain de mon arrivée, tout a fermé, les checks-points, les églises, les écoles. C’était très impressionnant, je n’avais jamais vécu cela auparavant.
» Pour la première fois, je comprends ce que ressentent au quotidien les Palestiniens ».
On m’a dit qu’il y avait de moins en moins de bras pour aider au foyer de l’Enfant-Dieu, et que toute aide était évidemment plus que bienvenue. C’est ce qui m’a poussée à rester. Il n’y a pas d’héroïsme ou de sacrifice là-dedans, ça s’est vraiment fait dans la joie. Un mois et demi plus tard, je peux dire que ça a été un défi pour moi d’être plongée si vite dans cette vie palestinienne, et de la vivre à fond. Je touche aussi du doigt ce que signifie le fait de vivre isolé, d’être entravé dans ses mouvement, de se sentir enfermé. Pour la première fois, je comprends ce que ressentent au quotidien les Palestiniens.
Comment les personnes handicapées du centre vivent-elles le confinement ?
L’ambiance ici est celle d’une grande famille. Les personnes sont accueillies avec amour et reçoivent tout le soutien dont elles ont besoin. Il y a cinq femmes adultes, et trente-un enfants entre deux et quatorze ans, qui ont différents degrés de handicap mental ou physique. La plupart d’entre-eux sent ce qui se passe : ils se rendent bien compte que moins de monde est présent pour les accompagner, qu’il y a une certaine tension au quotidien, que l’organisation du foyer a changé. Ceux qui sont en mesure de percevoir ces changements subissent tout autant que nous le confinement, car ils ne peuvent plus sortir se balader hors du centre, par exemple.
« Tout ce qui se passe autour ne peut atteindre leur joie de vivre. »
Une adulte du centre suivait des cours quotidiens dans un atelier de Bethléem. Depuis le début du confinement, elle attend tous les jours devant le téléphone de la maison que son directeur l’appelle, pour lui dire que le centre a rouvert […]. Elle ne comprend pas tout à fait ce que nous traversons. Pour autant, le noyau du centre n’a pas bougé puisque les soeurs sont toujours auprès d’eux. Donc les enfants se sentent en sécurité, comme dans une famille, et ça, nous le sentons aussi.
Mon espérance vient vraiment de tous ces enfants, qui trouvent la source de leur joie au-dedans d’eux-même. Par leurs sourires, leurs rires, ils nous disent que ce ne sont pas les conditions qui nous entourent qui nous rendent heureux ou pas, mais que la source de la joie vient de l’intérieur. Tout ce qui se passe autour ne peut atteindre leur joie de vivre. Depuis Bethléem confinée, ces enfants disent au monde que la vie l’emportera toujours. Rien ne peut retenir leur élan, malgré toutes leurs limites, malgré leur handicap. Ils ont une vitalité extraordinaire, vraiment, et me remplissent de joie tous les jours !
Comment la crise a-t-elle impacté votre foyer ?
Le virus est arrivé sans prévenir. D’un jour à l’autre, nous nous sommes retrouvés très limités dans nos mouvements… mais nous le vivons simplement. Nous ne manquons ni de nourriture, ni de produits de première nécessité, car les habitants et les associations de la ville déposent des sacs de nourriture devant notre maison…! En fait, depuis le début du confinement, nous avons toujours reçu de l’aide comme et quand il le fallait. Nous n’avons même pas eu le temps de paniquer [rires] ! Ces gestes d’entraide sont très touchants…. et l’on voit que ce sont souvent les gens qui ont peu qui donnent le plus.
« Nous avons toujours reçu de l’aide comme et quand il le fallait. »
D’autre part, dès le début de la crise, la communauté a intensifié sa vie de prière : les soeurs ont triplé les moments d’adoration dans la journée, pour intercéder pour les malades et demander à Dieu de protéger les enfants, la ville de Bethléem, et le monde entier. Nous avons la grâce et le privilège d’avoir l’eucharistie tous les jours, car deux prêtres de la famille du Verbe Incarné sont restés confinés à Bethléem pour servir la communauté.
Pour autant, la vie du centre a beaucoup changé. Nous avons dû nous réorganiser sans les volontaires ni les travailleurs habituels, en quarantaine, sachant que les moyens dont nous disposons sont assez précaires, comparés à ailleurs. Mais les enfants ne reçoivent pas moins d’attention ou de stimulation ; cela nous demande juste davantage de créativité et de présence. Nous improvisons des activités et des chants, nous essayons de faire au mieux avec ce que l’on a, et on ne s’en sort pas trop mal ! Les journées sont bien chargées, et souvent un peu sportives, mais les soeurs se donnent à fond et je n’ai jamais entendu aucune d’elles se plaindre. Leur attitude est admirable, vraiment.
Quelle expérience tirez-vous de la période de confinement ?
Ca a été une expérience extraordinaire de vivre ce temps pendant le Carême et la semaine sainte. Un écho direct à la mission d’amour et de service que Jésus a débutée ici à Bethléem, quand il est né petit, vulnérable et pauvre. D’un autre côté, c’est très beau à dire comme ça…mais les journées restent bien chargées et fatiguantes malgré tout ! Servir et vivre avec des enfants est exigeant, d’un point de vue physique et psychologique. Je me retrouve à travailler dans des lieux que je ne connaissais pas, sans pouvoir changer d’air, me détendre mentalement ou spirituellement, par exemple. C’est peut-être l’aspect le plus dur.
Mais je peux dire que tout se fait dans la joie, et que nous puisons notre force dans l’eucharistie. Je dirais aussi que je suis célibataire et n’ai jamais expérimenté la maternité. Or, quand tu es mère, tu l’es tout le temps, à fond. Ici, au foyer, j’ai un peu compris ces dernières semaines ce que signifiait le fait d’avoir tout le temps des enfants avec soi, qu’on ne peut pas laisser. C’est une belle expérience.
Quel regard portez-vous aujourd’hui sur Bethléem ?
Cette ville humble, petite, qui n’a pas les moyens matériels de faire face à cette pandémie, s’est pourtant montrée exemplaire en terme de prévention. Il y a finalement eu très, très peu de contagions à Bethléem, contrairement à ce que l’on imaginait au départ. Je crois que les habitants d’ici savent qu’ils ne sont pas mieux que les autres, et qu’ils ne peuvent pas se payer le luxe du risque, parce qu’ils n’ont pas les moyens pour faire face à une crise sanitaire. Alors ils ont réagi très vite et courageusement, en n’hésitant pas à se confiner d’eux-même. Ils ont tous pris au sérieux, en faisant corps. Bien sûr, le temps est long, les gens commencent un peu à sortir dans la rue. Mais ils ont donné un magnifique exemple au monde et ont prouvé qu’ils aiment leurs enfants et leurs anciens.