L’école franciscaine des soeurs de Saint-Joseph de l’Apparition est un établissement catholique mixte de la vieille ville de Jérusalem. Si Rula y est professeur de français depuis maintenant vingt ans, elle a dû, pendant le confinement et pour la première fois de sa carrière, réinventer complètement ses méthodes d’enseignement. Elle revient aujourd’hui sur le quotidien des enseignants de l’école durant la crise du coronavirus. Un témoignage de dévouement « à distance », au service du bien-être de leurs élèves.
Rula, comment votre école a réagi à l’annonce du confinement ?
La première semaine de confinement, aux alentours du 20 mars, cela n’a pas été du tout facile pour les professeurs comme les parents d’élèves. En fait la situation n’était pas claire, et l’on n’avait aucune idée de combien de temps nous devrions rester enfermés chez nous. En tant que professeurs de français, mes collègues et moi avons été confrontés à une difficulté particulière : notre école enseigne quatre langues, l’arabe, l’anglais, le français, et l’hébreux. Or, le français est moins connu et utilisé en Palestine que les trois autres langues.
« Nous avons dû adapter nos méthodes d’enseignement et apprendre à travailler en ligne »
Concrètement, cela veut dire qu’en temps normal nos élèves apprennent le français en classe, mais qu’ils ne peuvent pas compter sur l’aide de leurs parents dans leur apprentissage. C’est pourquoi nous leur donnons très peu de devoirs, et faisons le travail ensemble, en classe. Mais comment faire dans le cas du confinement ? Nous avons dû adapter nos méthodes d’enseignement et apprendre à travailler en ligne avec nos élèves, indépendamment de leurs parents.
La première semaine de confinement, nous avons décidé avec les autres professeurs de créer des groupes WhatsApp pour chaque classe et dans chaque matière, en priorité pour l’arabe, l’anglais et les maths. A la fin de cette première semaine, tous les enfants ont reçu leurs cours et renvoyé leur fiches de travail. Chaque famille a bien compris comment s’organiser…c’était plutôt positif pour nous !
Comment vous organisez-vous depuis ?
La seconde semaine de confinement, fin mars, nous avons décider de rajouter aux élèves l’enseignement des Sciences, puis celui de l’Histoire, de la géographie, et du catéchisme… et ainsi de suite au fil des jours. Les professeurs ont mis leurs cours en ligne, on fait des vidéos, des fiches de travail et des devoirs sur internet. Nous avons aussi recommencé à mettre des notes aux élèves…il faut bien les évaluer à un moment ou un autre !
Plus récemment, les professeurs de sport et de musique ont fait des petites vidéos pour pousser leurs élèves à faire des activités depuis chez eux, bouger. il faut se rendre compte que certains élèves habitent dans la vieille ville de Jérusalem, et vivent dans des maisons très petites, sans jardin. Ils n’ont pas la place de bouger ni de sortir, et ce n’est vraiment pas facile pour eux de rester enfermés comme ça. Nous devons les aider à s’occuper.
Vous êtes aussi professeure principale d’une classe…
Oui, et pendant le confinement cela implique que je suive plus individuellement chaque élèves de la classe, pour m’assurer qu’ils aient tous une bonne connexion internet chez eux, et rendent bien leurs devoirs.
« Certains enfants n’ont pas de téléphone ou d’ordinateur à la maison »
C’est d’autant plus important que nous avons appri que certains enfants n’ont pas de téléphone ou d’ordinateur à la maison, et doivent faire leur travail sur le portable de leur parents. J’appelle donc régulièrement les maman pour savoir qui rencontre des difficultés, et pourquoi. Finalement, je dois dire que nous avons pris le rythme !
Et vous tenez le coup, après cinq semaines de confinement ?
Oui, je dois dire nous avons pris le rythme, finalement ! Je reçois même des appels de maman d’élèves qui me disent qu’elles sont très contentes, parce que ce confinement leur donne l’occasion de travailler les cours avec leur enfants et d’apprendre avec eux une nouvelle langue, par exemple. il y a quelques jours, une maman m’a ainsi raconté qu’avant le confinement, elle n’avait aucune idée de ce que son fils étudiait en cours.
Aujourd’hui, non seulement elle suit beaucoup mieux sa scolarité, mais elle apprend le français, avec les vidéos et cours que j’envoie. C’est quelque chose de très intéressant pour les parents, ils sont de nouveau capable d’aider leurs enfants. Ils ont vraiment le temps d’être avec eux, et apprennent aussi à mieux les connaître.
Comment envisagez-vous la reprise des cours ?
En réalité ce n’est pas clair, nous ne savons rien à ce sujet. La directrice, Soeur Frida Nasser, nous transmet les informations envoyées au compte-goutte par le gouvernement, mais nous ne savons pas ce qui va se passer dans deux semaines, par exemple. En tant que professeurs, nous entrons dans la phase où nous devons rendre compte de tout ce que nous avons observé ces dernières semaines : comment nous évaluons les élèves, comment ils réagissent à ce nouveau rythme via internet, etc.
A vrai dire, nous pouvons rester encore un mois confinés, ou même davantage, nous continuerons nos cours sans trop de difficultés. Nous allons même surement finir l’année comme ça. Et je n’y vois pas vraiment de problème, dans la mesure où nos élèves suivent bien.