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Entre Israël et Palestine, le combat des Bédouins

Claire Riobé
6 mai 2020
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Un enfant regarde les débris des maisons démolies dans le village bédouin palestinien de Khan al-Ahmar, en Cisjordanie, alors que les forces de sécurité israéliennes veulent faire place à une colonie juive - 4 juillet 2018.© Yaniv Nadav/Flash90

“La difficulté est un obstacle qui se surmonte par la persévérance”, dit un proverbe oriental. Ainsi des Bédouins d’Israël et des Territoires palestiniens occupés, discriminés depuis plus d’un demi-siècle dans le pays. Qui sont ces Bédouins ? Quelle place leur est octroyée aujourd’hui en Israël et en Palestine ? Explications


Le 7 mars 2020 le petit village bédouin d’Al-Araqib, dans le désert du Néguev en Israël, a été détruit pour la 176e fois. Imaginez : au milieu d’une étendue de terre fauve et aride, des bulldozers et des pelleteuses rasent les quelques logements – un agglomérat de plastique, de tôle et de bois – encore debout après les démolitions à répétition. La vingtaine de familles du village, des femmes, des vieillards, des jeunes enfants, est de nouveau expulsée des lieux. Cela fait dix ans que les Bédouins d’Al-Araqib opposent une résistance pacifique à l’Autorité des terres d’Israël (Israel Land administration ILA). Dix années au cours desquelles le village et ses habitants sont devenus un symbole de la lutte des nomades pour leurs terres dans leur pays.

Le terme “Bédouin” (bedwi en hébreu) est utilisé en Israël pour désigner indistinctement des populations vivant en Galilée (nord du pays) et dans la région du Néguev (sud), toutes deux arabes et musulmanes. Minorité autochtone présente à la fois au sein de l’État d’Israël et des Territoires palestiniens occupés, les Bédouins sont des descendants de tribus nomades aujourd’hui sédentarisées. Leur statut et leurs droits diffèrent selon qu’ils résident sur l’un ou l’autre de ces territoires, mais leur histoire, leurs revendications et les conditions de vie auxquels ils sont soumis demeurent intrinsèquement liées.

Les Bédouins n’entendent pas se rendre aux injonctions de l’État hébreu et des expropriations menées par celui-ci. Le 14 septembre 2018 des manifestants affrontent la police israélienne, s’opposant au plan d’Israël de démolir le village bédouin palestinien de Khan al-Ahmar.© Wisam Hashlamoun/FLASH90

 

La présence des Bédouins en terre d’Israël et de Palestine n’a pas toujours été source de conflit avec les autorités en place. Contrairement à une idée reçue, les premiers pionniers sionistes qui arrivent en Palestine au début du XXe siècle voient d’abord ces nomades comme les descendants modernes des anciens Israélites et des représentants des “tribus perdues d’Israël”. Les Bédouins servent de modèles d’autochtones aux nouveaux juifs, et deviennent même un symbole d’une renaissance nationale en Palestine. L’assimilation des pionniers sionistes à la culture bédouine s’impose, année après année, comme un élément-clé qui permet de construire un lien avec la terre d’Israël.

À l’intérieur des clans bédouins, la vie se répartit entre le secteur pastoral et l’agraire. Tous deux, en tous les cas, vivent au rythme des saisons et des heures de chauffe du soleil du désert.© Sara Klatt/Flash90

 

Avant la création de l’État d’Israël en 1948, entre 75 000 et 90 000 Bédouins vivaient dans le désert du Néguev. Ils y possédaient la plupart des terres, dans le cadre d’un système traditionnel de propriété foncière individuelle et collective clairement défini avec les autorités.

1948, un tournant

La perception des Bédouins change pourtant radicalement lors de la création de l’État d’Israël en 1948. Ces derniers, bien que citoyens israéliens, commencent à être perçus comme des obstacles au développement des colonisations juives, et sont peu à peu classés au rang de “menace pour la sécurité” du pays et de squatters par le gouvernement. Les événements de 1948 scellent par ailleurs la disparition du système tribal qui régissait le fonctionnement de la communauté des Bédouins dans le Néguev. À cette époque déjà, le conflit entre Israël et les Bédouins est principalement une question de droit foncier. Les Bédouins demandent que leur lien traditionnel avec la terre soit reconnu et qu’ils puissent être autorisés à vivre et à travailler sur leur propre terre en toute liberté, tandis que l’État israélien cherche de son côté à les exproprier.

Immédiatement après la guerre de 1948, la plupart des Bédouins du Néguev sont forcés à quitter leur terre. Suivant les précédents déplacements de population du peuple palestinien, plusieurs milliers de Bédouins se dirigent vers la Jordanie et la Syrie, d’autres vers la Cisjordanie, et quelques centaines d’entre eux vers Gaza, sur la côte ouest du pays. L’intégration des Bédouins en territoire palestinien occupé est d’autant plus compliquée qu’ils sont perçus comme de nouveaux concurrents par les réfugiés palestiniens et les Palestiniens qui vivaient auparavant sur le territoire. Des Bédouins du Néguev, il ne reste plus que 19 des 95 tribus qui cohabitaient dans la région.

 

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Les décennies qui suivent 1948 sont marquées par une intensification des mesures restrictives prises à l’encontre des Bédouins d’Israël, dont l’étendue du territoire est progressivement rognée. L’État israélien regroupe les Bédouins dans des communes planifiées dans le Néguev, et crée, en 1965, un plan directeur pour le développement et l’urbanisation du Néguev. Aucun représentant bédouin n’est invité à participer à ce processus de planification… Alors qu’Israël exproprie des terres bédouines, un nombre croissant de colonies juives s’établit sur la terre traditionnelle des Bédouins. On en compte aujourd’hui 128 dans la région du Néguev.

La faible population bédouine qui a pu rester dans le Néguev se trouve aujourd’hui confinée dans un petit espace, à l’est et au nord de Beer Sheva (capitale de la région). S’il est difficile de connaître avec précision leur nombre, on estime que 232 000 Bédouins israéliens habitent dans cette zone du désert, soit un tiers de la population totale du Néguev et 2,7 % de la population totale israélienne.

 

Dans ces camps de fortune, les Bédouins, bien qu’ils aient hérité des terres de leurs ancêtres depuis plusieurs générations, continuent d’être accusés par Israël d’occuper un territoire qui ne leur appartient pas.

 

Près de la moitié des nomades – 45 % – sont regroupés en 7 municipalités, créées à cet effet. 25 % vivent dans 11 villages qui étaient illégaux mais ont été récemment reconnus par le gouvernement. Quant aux 30 % restants, ils survivent dans des conditions particulièrement difficiles au sein d’une quarantaine de villages non reconnus, appelés “illégaux” par l’État. Al-Araqib est l’un d’entre eux. Dans ces camps de fortune, les Bédouins, bien qu’ils aient hérité des terres de leurs ancêtres depuis plusieurs générations, continuent d’être accusés par Israël d’occuper un territoire qui ne leur appartient pas. Ils vivent avec la menace constante d’une expulsion et d’une démolition de leurs maisons.

Bédouins de Cisjordanie occupée

L’état général des villages bédouins en Territoires palestiniens occupés est similaire à celui des communautés bédouines du Néguev, à deux grandes exceptions près. D’une part, les Bédouins qui sont regroupés dans la zone C de Cisjordanie occupée sont régis par un système de permis géré par l’État israélien, qui entrave plusieurs de leurs droits. D’autre part, les Bédouins de Cisjordanie sont davantage confrontés à la violence des colons juifs. “Il s’agit notamment de la démolition et de menace de démolition de maisons, d’écoles et des moyens de subsistance ; des expulsions forcées ; du déni d’infrastructure de services ; des restrictions d’accès aux terres agricoles et aux pâturages (…)”, raconte ainsi l’ONG Groupe International pour les Droits des Minorités, dans un rapport rendu public en 2011.

 

Les discriminations à l’égard des Bédouins se font de façon de plus en plus ouvertes en Israël comme dans les territoires palestiniens occupés.

 

À l’heure actuelle, les discriminations à l’égard des Bédouins se font de façon de plus en plus ouvertes en Israël comme dans les territoires palestiniens occupés. Selon l’ONG Neguev Coexistence Forum for Civil Equality, 2 326 ordres de démolition ont été exécutés en 2018, dont plus de 600 pour des logements. Et dans 88 % des cas, les propriétaires bédouins devaient eux-mêmes procéder à la destruction de leur logement.

Les quelques Bédouins croisés par les pèlerins et touristes dans le désert, donnent une image de carte postale de la réalité de leur vie. Elle est aussi belle qu’elle y paraît et infiniment plus complexe.© Dario Sanchez/FLASH90

 

Le 28 janvier 2019, Israël a annoncé le transfert forcé de plus de 36 000 Bédouins arabes israéliens de villages arabes non-reconnus pour étendre une zone d’entraînement militaire. Le gouvernement prévoit de déplacer ces citoyens vers des townships pauvres, planifiés par le gouvernement, dans d’autres régions du Néguev. Fortement critiqué par nombre d’organisations de défense locales et internationales, ce plan montre une fois encore la volonté du gouvernement de faire des Bédouins un obstacle qui doit être supprimé du paysage, afin d’ouvrir la voie à la colonisation et au “développement” juifs.

“La difficulté est un obstacle qui se surmonte par la persévérance”, dit un proverbe oriental. Souhaitons qu’à Al-Araqib comme ailleurs, les habitants trouvent la force de continuer cette forme de résilience qui fait depuis tant d’années le secret des Bédouins.

Dernière mise à jour: 06/03/2024 11:18

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