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Mgr Pizzaballa : « Cette crise porte à mon attention ce qui est essentiel »

Propos recueillis par Marie- Armelle Beaulieu
6 mai 2020
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©Gali Tibbon

Le moral de la communauté chrétienne, une Terre Sainte sans pèlerins, les conséquences sur l’économie de l’Église locale, les “chances” d’un renouveau après la tempête.
Terre Sainte Magazine a rencontré l’archevêque des latins Mgr Pizzaballa durant la 6e semaine de confinement pour évoquer tous ces points.


Comment la communauté chrétienne du diocèse vit-elle la situation actuelle ?

Nous avons quatre situations différentes. Celles de Jordanie, d’Israël, de Palestine et de Chypre qui constituent le diocèse de Jérusalem. Et Jérusalem est une situation en soi, d’une certaine façon. Les restrictions sont différentes d’un endroit à l’autre. En général, les gens ont peur et sont inquiets. La peur est plus celle des changements de société que celle de la maladie puisqu’ici il y a, comparativement à d’autres pays, peu de cas d’infection. Mais ce confinement est complètement nouveau pour nos fidèles. Ici, nous avons connu des guerres et les Intifadas… mais les églises restaient ouvertes, on pouvait se déplacer – plus ou moins. La peur est davantage celle de l’incertitude : combien de temps cela va-t-il durer, quand et comment va-t-on reprendre ?

Et il y a l’inquiétude des conséquences économiques. Israël est dans une relative bonne situation car l’état offre certaines garanties en termes d’assurances sociales, tandis qu’en Palestine et en Jordanie, la situation est très problématique. Chacun comprend que lorsque la crise sanitaire prendra fin, quand il n’y aura plus toutes ces restrictions, nous n’allons pas retrouver la situation qui prévalait. Les préoccupations sont très concrètes.

Ce que je vois également, c’est qu’il y a une nostalgie dans nos communautés. On apprécie ce qu’on avait après l’avoir perdu. Soudain, toutes les activités, toutes les liturgies se sont arrêtées et tout ce à quoi on se sentait peut-être obligé de participer nous manque, on en avait besoin, cela fait intégralement partie de nos vies. Et je pense que c’est quelque chose de positif.

Les prêtres ont-ils trouvé le moyen de rejoindre leurs fidèles, d’accompagner cette nostalgie de la communauté ?

Les prêtres aussi sont nostalgiques. Parce qu’un curé de paroisse sans communauté n’est pas un curé. Les situations sont variables, mais j’apprécie particulièrement l’inventivité déployée pour rester en contact. À travers Facebook, grâce à des appels téléphoniques, certains ont continué de se déplacer – pas toujours en conformité avec les restrictions – pour aller visiter des familles, porter la communion aux malades et personnes âgées. Un prêtre, à l’occasion de la fête des mères (célébrée ici en mars) a demandé à ses fidèles d’envoyer le nom de leurs mères pour célébrer la messe à leur intention. Il a reçu des noms de partout et pas seulement le nom des mères ! Toutes ces initiatives ont créé une forme de communauté virtuelle. Les règles s’assouplissent un peu si bien que certains organisent maintenant des roulements pour des célébrations eucharistiques.

 

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Avez-vous été en contact avec eux et avec des fidèles ?

Je reçois beaucoup de courrier électronique des fidèles et j’appelle les prêtres. Tous les après-midis, je passe quelques heures à appeler trois ou quatre d’entre eux des différentes parties du diocèse. Je leur demande de leurs nouvelles, des échos de ce que vivent leur pays et leurs fidèles.

A quoi ressemble selon vous la Terre Sainte sans les pèlerins ?

Je dis toujours que notre Église est composée de l’église locale, ses communautés religieuses et des pèlerins. Les pèlerins font partie de l’identité ecclésiale de la Terre Sainte. Nos rues et nos lieux saints sans eux nous montrent qu’ils manquent. Si l’Église est un corps, alors elle a deux poumons, celui de la communauté locale et celui de la communauté des pèlerins. Nous pouvons vivre avec un seul poumon mais je ressens là aussi une forme d’incomplétude. C’est très triste.

Jérusalem est toujours aussi belle, même quand elle est vide mais elle n’est pas elle-même, elle est incomplète. Le lac de Galilée, qui cette année est plein, sans les gens qui se réjouissent de le voir, de toucher ces eaux, le lac est incomplet. C’est magnifique et – comment dire – non pas stérile… mais… c’est un peu comme si la Terre Sainte était une épouse inépousée.

 

Nous avons des milliers d’employés et le souci principal est le paiement des salaires. Au patriarcat latin, rien que dans nos écoles, nous avons près de 2000 employés.

Pour la communauté chrétienne l’impact du covid-19 est moins sanitaire qu’économique. Quelles vont être les conséquences sur elle et les institutions chrétiennes ?

J’ai rencontré la Coordination des Organisations Catholiques d’Aide (CCAO) pour évoquer ces questions. Nous sommes soucieux. Nous avons des milliers d’employés et le souci principal est le paiement des salaires. Au patriarcat latin, rien que dans nos écoles, nous avons près de 2000 employés. Et il y a bien d’autres secteurs. En Israël, il y a une assurance sociale. Mais la majorité de nos activités sont en Palestine et Jordanie. Les difficultés sont grandes et ce n’est que le début. Devant l’ampleur, j’ai demandé qu’il y ait plus que jamais de la coordination. Et j’ai établi un critère : que nous portions ensemble le souci des institutions les plus faibles. Nous allons faire face, et certainement pour une longue période, à un gros problème de trésorerie. D’un côté, nous devons faire des économies, non pour sauver les institutions mais pour sauver les gens. D’un autre côté, nous ne pourrons pas donner ce que nous n’avons pas. C’est pourquoi il va falloir se coordonner en ayant le souci des plus faibles institutions et des personnes les plus en difficulté.

Cette situation accélère un processus de réflexion que nous avons commencé à mener. Nous ne pouvons pas dépendre exclusivement de l’aide de l’extérieur.

La crise économique pourrait avoir une incidence sur les dons des bienfaiteurs étrangers qui contribuent largement à la vie de notre Église. Qu’adviendra-t-il alors ?

Je ne pense pas que les dons cessent, mais sans doute diminueront-ils. De combien ? Je n’en ai aucune idée. La situation créée par la pandémie étant mondiale, nous devons être conscients qu’elle va toucher aussi les donateurs qui vont eux aussi affronter des difficultés.

Cette situation accélère un processus de réflexion que nous avons commencé à mener. Nous ne pouvons pas dépendre exclusivement de l’aide de l’extérieur. C’est constitutif de notre identité, de notre histoire, de la tradition que l’Église Universelle supporte financièrement l’Église de Jérusalem. Mais l’Église de Jérusalem – j’entends par là toutes nos institutions – doit envisager de s’organiser de sorte à devenir autosuffisante autant que possible. C’est un changement de mentalité mais c’est très important.

Durant la crise beaucoup d’aides de premières urgences commencent à s’organiser. Il y aura des appels faits à l’extérieur mais je dis que nous devons commencer par lancer des appels à l’intérieur de la communauté. Nous devons apprendre à nous aider les uns les autres. Il y a déjà des paroisses du Nord qui aident des paroisses du Sud. Le processus à engager va être très douloureux d’une certaine façon. Mais nous devons tendre vers cet autofinancement. Cela signifie que nous allons devoir faire un discernement très difficile pour décider de ce qui est essentiel et constitutif de notre identité que nous ne pouvons pas laisser tomber et ce qui ne l’est pas…

Image saisissante de Mgr Pizzaballa lors de la messe du Jeudi saint au Saint-Sépulcre quand il porte le Salut du monde dans une basilique déserte.©Gali Tibbon

Cela signifie-t-il que l’on pourrait fermer des institutions ?

J’espère que non mais nous devons regarder à 360 degrés ce que nous devons faire. Il y a des activités qui meurent ou évoluent. Une chose est sûre, la décision ne relève pas de moi, mais nous devons questionner nos institutions.

L’Église de Terre Sainte peut-elle vraiment se passer de l’argent qui lui arrive de l’extérieur ?

Depuis le temps de saint Paul il y a une quête pour Jérusalem et cela ne cessera jamais. Autant je pense que nous devons réduire notre dépendance, autant je vois que nous ne changerons pas du tout au tout. Il faut regarder les conditions sociales particulières de chacun des pays du diocèse. Une chose est sûre, on ne peut pas prétendre faire en sorte que les gens ne dépendent plus de l’Église s’il n’y a rien d’autre. Si à Jérusalem nos institutions s’écroulaient la situation de l’emploi verrait 50% de chômage en plus. Pour nous retirer il faudrait créer la situation d’indépendance de nos fidèles. Et l’Église seule est-elle capable de créer ces conditions ? Je ne le crois pas.

 

Une nouvelle génération de chrétiens émerge déjà. Qu’elle le veuille ou non l’Église va changer.

Pensez-vous que, de tout cela, il pourrait ressortir pour l’Église de Jérusalem une sorte de renouveau ?

Je ne sais pas ce que vous entendez par renouveau. Ce qui est sûr, c’est que des changements sont en cours. Une nouvelle génération de chrétiens émerge déjà. Qu’elle le veuille ou non l’Église va changer. La nouvelle génération a de nouvelles attentes de l’Église, et l’Église c’est la communauté. La communauté sera différente et dans ses chiffres et dans ses attentes. Aucun changement n’advient jamais parce qu’on l’a pensé, les changements viennent de la nécessité. Il revient aux pasteurs d’accompagner ces changements, comme d’aider les fidèles à vivre la situation actuelle sans frustration.

Beaucoup de chrétiens vont se retrouver dans une situation difficile. Pensez-vous que certains vont chercher à émigrer ?

L’émigration devient de plus en plus difficile parce que la crise est mondiale. La globalisation est en crise avec cette pandémie. Un des facteurs de l’émigration est un sens affaibli d’appartenance et une certaine crise d’identité. Nous avons l’occasion, dans la difficulté actuelle, d’aider nos fidèles à les renforcer au contraire pour un enracinement plus profond encore.

Quel message spirituel avez-vous à leur attention ?

On ne peut pas se contenter de dire à quelqu’un que Jésus l’aime s’il n’a pas de quoi nourrir ses enfants. Mais ce que je vois durant cette crise du Covid c’est que les gens ont besoin de cœur, de présence.

Nous avons suspendu nos activités et j’ai donné des orientations pour échanger et prier en famille. Je vois ces deux éléments, la communauté et la famille. Le premier manque et le second se reconstitue. Il y a ici un lien très fort à la famille mais pas toujours très sain.

 

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Mais les activités de nos communautés fonctionnent si la vie à l’intérieur des familles circule et vice versa. Nous devons travailler là-dessus. Nous devons aider les familles à prier ensemble, et on voit que cela a commencé depuis le début de la crise, et cela change la vie des familles. J’en ai des échos. Et d’un autre côté, ce qui est essentiel à nos communautés ce ne sont pas nos activités mais l’eucharistie, les sacrements, la prière communautaire.

Cette crise porte à mon attention ce qui est essentiel. Et ce que j’ai envie de dire aux fidèles, certes nous ne pouvons pas changer ce qui arrive – même si nous devons faire tout ce qui est de notre possible pour aider – mais nous pouvons changer la façon de le vivre, nous pouvons nous aider les uns les autres, nous soutenir, prier. Notre vie n’est pas que biologique nous le touchons du doigt, la communauté nous manque et la prière en famille peut nous aider à vivre ce qui doit l’être.

 

Dernière mise à jour: 06/03/2024 13:41

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