Ceux qui ont fait les plans des cathédrales, les ont rarement vues terminées. Et ce à quoi elles ressemblaient une fois finies, était souvent bien différent de ce qui était prévu au départ”.
Frère Olivier-Thomas Venard, dominicain de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem (ébaf) est bien conscient d’être l’actuel maître d’œuvre d’une entreprise colossale qu’il pourrait ne pas voir achevée. Cela fait partie intégrante de la philosophie du projet qu’il anime : La Bible en ses traditions (Best). Un projet qui s’inscrit dans la tradition pluriséculaire d’étude, de traduction et d’édition de l’Écriture dans l’ordre des Prêcheurs, ou dominicains.
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Imaginez une Bible dans laquelle vous trouveriez en note pour un passage, ce qu’il a inspiré à la mystique, la théologie, la philosophie, la littérature, la psychologie, le droit, les arts visuels, la musique, la danse, le cinéma, etc. En lisant un passage de l’Évangile, vous liriez en parallèle la façon dont un autre évangéliste a traité l’épisode — ce qu’on appelle la “lecture synoptique”. Vous auriez également accès à tous les passages bibliques afférents, comme aussi d’éventuels parallèles dans les traditions juive ou musulmane.
Cette Bible en cours d’élaboration existe déjà à quelques clics de souris sur votre ordinateur.
Le projet s’inspire des “gloses” anciennes, où l’on écrivait un texte au centre de la page et des commentaires explicatifs en marge. Il est rendu plus aisé aujourd’hui grâce aux développements d’Internet qui permettent, par rapport aux gloses imprimées, de démultiplier les entrées. Du reste la Best ne propose rien moins que 29 rubriques de classification des notes.
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La Bible en volumes
Le papier n’est pas oublié dans le projet de la Best.
“On ne saurait mériter l’appellation La Bible en ses traditions si nous ne conservions pas celle du livre”, explique frère Olivier-Thomas. Par ailleurs, “pour exister dans le monde universitaire il faut exister sur les rayons d’une bibliothèque.” Plusieurs volumes sont déjà sortis aux éditions Peeters, de Leuwen, en anglais ou en français. Dix à quinze personnes travaillent actuellement à produire la collection.
Le titanesque projet, loin de décourager fr Olivier-Thomas, le stimule : “Cela nous oblige à lâcher prise. Cela crée une dynamique collaborative de facto qui est formidable.” C’est en effet toute une équipe qui depuis dix ans s’est mise en œuvre et se renouvelle.
Il y a d’abord le minutieux travail de retraduction de toute la Bible. En effet, le projet avait été pensé à l’origine pour enrichir la Bible de Jérusalem (BJ), œuvre déjà des dominicains de l’Ebaf dont la première traduction a été publiée en 1956. Cependant, le manque d’unité des versions traduites à cette époque oblige à reprendre tout le travail, version par version, en évitant les mélanges de l’hébreu et du grec, voire du latin, et en rendant à chaque tradition sa propre couleur.
Pendant que ce travail avance, universitaires et assistants sont aussi mobilisés sur les notes. Leurs profils sont variés. Un certain nombre d’entre eux sont à Jérusalem. “Nous avons pu mettre en place un partenariat avec l’École normale supérieure de la rue d’Ulm. Entre deux et quatre étudiants séjournent chez nous pour une année au titre d’une aide à la mobilité internationale. Par ailleurs, avec Domuni, l’université dominicaine sur Internet, nous avons créé un master commun “Bible et culture biblique”. Des étudiants, dans une disciple ou une autre, droit, philosophie, histoire de l’art produisent leurs mémoires sous forme d’annotations du texte biblique. Nous sommes particulièrement heureux de tout usage pédagogique de notre plateforme au service de la recherche. Dans plusieurs universités, des spécialistes prennent en charge un livre et structurent leurs propres équipes et s’il arrive qu’il leur manque un profil, nous pouvons parfois le leur trouver.”
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“On prouve le mouvement en marchant, poursuit le dominicain, et plus nous avons de visibilité plus les occasions de collaboration se multiplient. Ainsi un étudiant de l’école des Hautes études en sciences sociales, qui travaille sur le rapport entre monde islamique et monde chrétien, s’est-il proposé de participer. On lui a confié la mission d’annoter notre Bible avec les passages parallèles du Coran en se basant sur la traduction de Masson.”
En dix ans, le projet a déjà fédéré des centaines de collaborateurs. Il en faudrait bien davantage pour permettre au projet d’exister en anglais et en espagnol, les deux autres langues du site scroll.bibletraditions.org
Modèle économique
Avec quel financement un tel travail est-il possible ? “Nous sommes un ordre mendiant”, rappelle le fr. Olivier-Thomas. Une sobre façon de dire que tout s’est fait jusqu’ici avec quelques investissements de l’ébaf, l’aide de donateurs et énormément de bénévolat. Néanmoins, la consultation complète du chantier de la Best en ligne est actuellement possible moyennant une contribution de 10 euros. “Nous visons pourtant la gratuité parce que c’est dans la logique de la Bible et d’Internet. Notre modèle économique est celui de Wikipédia. Plutôt que d’avoir un nombre limité d’abonnés qui paient une fois quelque chose, il vaut mieux avoir 300 000 utilisateurs qui donneront occasionnellement. Le modèle de Wikipédia c’est 1 euro par an et par utilisateur, entre les gens qui ne donnent rien et les gens qui donnent plus.” Chacun peut donc apporter sa contribution à l’édifice de la Best.
“Ce projet est une œuvre symphonique, résume Fr Olivier-Thomas. L’imprimerie avait pu nous faire croire que la Bible existait sans les hommes, puisqu’elle pouvait être un objet fabriqué par des machines, détaché des communautés vivantes qui le portent. Or la Bible existe d’abord par l’histoire de sa réception, celle de ses interprétations, l’histoire de tout ce qu’elle a fait résonner dans le cœur des hommes et de ce qu’elle leur a fait créer. Le fait que nous soyons à Jérusalem, cité des trois monothéismes, nous inspire et nous pousse fortement à être symphoniques !”
Cette Bible en ligne, qui pourrait ne jamais finir de s’augmenter en notes, est en mesure de révolutionner la lecture et l’usage que nous avions du texte écrit. Aux chercheurs, elle offre les facilités de l’unité de lieu ; aux croyants, elle dévoilera de nouvelles saveurs ; aux curieux elle fera découvrir que la Bible est le “cœur nucléaire” de la culture dans laquelle nous baignons.
Jamais encore depuis que la Bible existe, il n’avait été possible de la lire et d’entendre en même temps la palette de ses résonances. C’est dorénavant possible. C’est la Best (CQFD) !
QUEL TEXTE BIBLIQUE ?
La richesse d’une polyphonie
“Vous ne ferez pas dire de mal de la Bible de Jérusalem (BJ) à un dominicain de l’école biblique”, dit avec un grand sourire frère Olivier-Thomas Venard.
La BJ est une traduction élégante, mais ce n’est pas toujours la plus fidèle au texte tel qu’il a été transmis. Or, le texte biblique en lui-même est tradition, tantôt hébraïque, tantôt grecque, tantôt araméenne ou syriaque, tantôt latine…
“Au stade où nous en sommes, nous avons une pré-traduction intégrale de la Vulgate (tradition latine de l’Écriture), mais aussi une bonne partie de la Septante (texte grec) et plusieurs livres dans le texte massorétique (texte hébreu)”.
C’est le premier point à noter, la nouvelle traduction proposée par la Best marque un retour de la version de la Bible traduite par saint Jérôme à Bethléem à la fin du IVe siècle à partir du texte hébreu de l’Ancien Testament. Son texte fut fixé au VIIe siècle, puis amendé et désigné au concile de Trente, comme version de référence, sans pour autant exclure les autres, bien sûr, pour l’Église catholique romaine.
Et c’est dans cette tradition que s’inscrit la Best, pour une raison toute simple : “Pour quinze siècles de tradition occidentale, la Bible de la culture c’est la Vulgate”, souligne le frère Olivier-Thomas. Pour autant, les autres versions sont aussi traduites pour le projet, et ici aussi la Best offre une nouveauté. “Quand on lit la plupart des Bibles d’aujourd’hui, on ne sait pas toujours quelle est la version traduite.
Avec la Best, nous avons décidé d’identifier l’origine de chaque texte traduit par un système de lettres qui s’affichent. V pour la Vulgate, M (comme “massorétique”, c’est-à-dire : “traditionnel”) pour le texte hébreu, G (comme “grec”) pour la Septante, S (comme “syriaque”) pour la Peshitta ou encore Sam pour le Pentateuque samaritain.”
Ainsi par exemple le verset 2 du premier chapitre de la Genèse présente-t-il trois traductions puisque le texte varie entre l’hébreu, le grec et le latin.
“C’est d’autant plus important de donner à voir cette tradition du texte que nous voulons faire aussi l’histoire des traditions interprétatives.” Qu’en sera-t-il du style ? Le religieux l’annonce tout net : “Nous tournons le dos à l’idée d’une traduction facile à lire.” Que l’on se rassure, ce sera pourtant bien du français grammaticalement correct mais prévient-il : “On peut écrire le français comme Marguerite Duras mais aussi comme Stéphane Mallarmé. La Bible est tantôt formelle tantôt informelle, elle aime les ruptures de construction et il faut pouvoir garder cela.”
Pas d’inquiétude à nourrir, l’équipe n’a pas l’intention de proposer un texte choquant. “La Lettre d’information Prixm (voir page 42), nous permet de tester notre texte et nous avons entendu les remarques et parfois mis de l’eau dans notre vin pour être plus lisibles !”
Dernière mise à jour: 08/03/2024 13:14