Ultime village entièrement chrétien en Palestine, Taybeh est – à tort – souvent plus connu pour sa bière et sa brasserie que pour sa situation religieuse. Au milieu de la Cisjordanie majoritairement musulmane et à proximité de colonies israéliennes, comment vivre en chrétien au cœur de cette réalité ?
Des rues presque désertes, entourées de collines dont la chaleur estivale aura favorisé l’aridité apparente. L’atmosphère est plutôt calme. Quelques enfants jouent à vélo dans l’une des nombreuses routes en pente que compte le lieu. Nous sommes à Taybeh, petit village palestinien situé à plus d’une heure de Jérusalem, au nord de la ville trois fois sainte.
D’apparence, l’endroit ressemble à une des nombreuses localités typiques que compte la Palestine. Rien ne saurait la différencier des autres. Pourtant Taybeh se démarque de ses voisines par une particularité qui ne peut sauter aux yeux du touriste non-averti qui s’y rend. Le village est en effet, en Palestine, le dernier entièrement habité par des chrétiens.
À l’écart dans ses collines, enclavé, Taybeh apparaît comme l’exception chrétienne en Palestine.
Dans un territoire qui compte à peine plus de 1 % de chrétiens, cette spécificité fait de Taybeh un cas unique. Unique, mais pas surprenant car le village possède un lien étroit avec le christianisme. D’un point de vue biblique, le lieu est en effet identifié comme l’Éphraïm du Nouveau Testament où Jésus se réfugia avec ses disciples pour se mettre à distance des juifs résolus à le tuer après la résurrection de Lazare (Jn 11, 53-54).
Aujourd’hui le village est assez isolé. En transport depuis Jérusalem, on y accède en taxi après avoir préalablement emprunté un bus puis un sherout (taxi collectif) à Ramallah. Un vrai parcours du combattant. À l’écart dans ses collines, enclavé, Taybeh apparaît comme l’exception chrétienne en Palestine.
Face à ces difficultés le Père Johnny Abu Khalil, curé de la paroisse latine, dresse le bilan d’une situation compliquée. “Le nombre de chrétiens à Taybeh a diminué. Les jeunes familles émigrent car les situations économique et politique ont beaucoup affecté notre vie quotidienne”. Ce prêtre diocésain réside depuis cinq ans à Taybeh. En effet, si le village compte aujourd’hui environ 1000 habitants, nombreux sont ceux qui ont quitté les lieux pour s’installer ailleurs, en Palestine ou même à l’étranger. On recense pas moins de 15 000 personnes dans le monde originaires de ce petit village.
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Une situation qui n’empêche pas une solidarité entre les différentes confessions chrétiennes représentées au sein de la population. “Taybeh compte trois communautés : les latins, les grecs-orthodoxes et les melkites” décrit le Père Johnny qui explique que les trois Églises ont la particularité de “fêter Pâques toutes ensemble, sur la base du calendrier orthodoxe”.
Un éloignement difficile
Une belle image qui offre cependant un contraste avec la réalité quotidienne vécue par les chrétiens qui y résident. Car au-delà de l’isolement que connaît le village, les habitants font face à un avenir incertain. “En Palestine nous vivons sous l’occupation israélienne, ce qui rend les choses compliquées – décrit celui que ses fidèles appellent Abouna Johnny. Beaucoup de paroissiens travaillaient à Jérusalem autrefois, et surtout dans des sociétés chrétiennes. Mais il est difficile aujourd’hui d’entrer et sortir des Territoires, et trouver du travail est chaque jour plus difficile. Or sans travail, il n’y a pas d’avenir clair”.
Une problématique qui conduit beaucoup de jeunes à rester à la maison sans emploi et qui explique aussi en grande partie l’émigration qui frappe le village. Les familles n’ayant pas la possibilité d’assurer un avenir décent à leurs enfants, le départ est une des solutions privilégiées. Depuis l’arrivée de l’actuel curé de Taybeh, pas moins de quatre familles ont quitté les lieux. “Cela signifie qu’une trentaine de personnes qui fréquentaient la paroisse sont parties en cinq ans. C’est énorme !” déplore avec dépit le Père Johnny qui constate aussi le manque de vie que la jeunesse peut connaître, faute d’activités disponibles. “Les jeunes se trouvent parfois seuls et abandonnés. Désœuvrés, ils traînent dans les rues et n’ont rien à faire ou presque”.
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L’incertitude concernant l’avenir n’est pas la seule source de désespoir pour les chrétiens de Taybeh. Le manque de lien avec les Lieux saints joue aussi un rôle important. Déconnectés, où du moins très difficilement reliés à Jérusalem, ils sont profondément affectés par l’éloignement : “Pour se rendre dans la Ville sainte ou visiter les autres Lieux saints il faut avoir un permis constate le Père. Lors du dimanche des Rameaux 2019, nous avions mis trois heures pour arriver et nous sommes restés deux heures aux checkpoints avant de pouvoir passer”.
“Mais pourquoi suis-je chrétien si je n’ai même pas le droit d’aller dans mes Lieux saints ? On ne peut pas dire que je suis chrétien de la Terre Sainte !”
Le Père Johnny estime que la difficulté à rejoindre ces sanctuaires revêt une forme de persécution, non physique, mais morale. Le fait de devoir demander l’accès à des lieux de culte représente une vraie souffrance pour les chrétiens de Taybeh. “Ne plus avoir ce lien avec Jérusalem qui est situé à seulement 30 km d’ici et n’avoir aucune liberté de mouvement ni de pratiquer notre foi, c’est très dur”, confie le curé palestinien qui avoue parfois rester sans réponse lorsque ses paroissiens le questionnent sur cela : “Mais pourquoi suis-je chrétien si je n’ai même pas le droit d’aller dans mes Lieux saints ? On ne peut pas dire que je suis chrétien de la Terre Sainte !”
Être des “pierres vivantes”
Pour autant, à Taybeh la résilience ne fait pas toujours partie du vocabulaire du village. Et pour se montrer optimiste, quoi de mieux que de s’inspirer du Nouveau Testament ? “Je dis toujours à mes paroissiens que le christianisme a démarré avec 12 hommes. Et ces 12 là sont partis dans le monde entier proclamer l’Évangile et la Résurrection de notre Seigneur ! Or à Taybeh nous ne sommes pas 12 mais 1000 !”
Face aux difficultés la communauté chrétienne ne baisse pas les bras et cherche toujours plus à s’ouvrir à son environnement. “Nous avons une école du patriarcat latin où sont éduqués chrétiens et musulmans provenant des villages aux alentours”. Un excellent moyen pour tisser du lien et des relations avec la communauté musulmane. “Être chrétien, cela signifie être un pont entre soi et les autres, c’est être un messager de paix, témoin de Jésus-Christ, en vivant notre foi au milieu des autres”, affirme Abouna Johnny qui n’hésite pas à se rendre très présent en tant que directeur spirituel de l’école.
C’est d’ailleurs ce lien social que le curé de 50 ans veut établir pour donner de la vie à son village. À l’origine de la création d’un centre paroissial avec jardin, il a œuvré pour rendre possibles les rencontres entre les habitants. “On vient y prendre un café ou partager un repas… on a également fait installer des jeux pour enfants afin que le lieu s’ouvre aux jeunes familles. Nous avons pour les adolescents des jeux vidéo que je prends moi-même le soin de sélectionner pour écarter toute violence dans le contenu”.
Garder cette unité chrétienne à Taybeh passe aussi par la relation à l’autre, de pasteur à fidèle. Une relation qui implique d’être à l’écoute, notamment à travers des visites aux familles et le catéchisme dispensé aux jeunes de la paroisse. “La mission de prêtre, ça n’est pas uniquement enseigner et donner les sacrements, c’est aussi savoir répondre à des besoins d’ordres sociaux” décrit Abouna Johnny qui se veut proche de ses fidèles. “J’aime la parole du pape François lorsqu’il dit : ‘Il faut toujours sentir l’odeur des brebis dans la soutane des prêtres’. C’est ce que j’essaye de faire tout le temps”.
Mais l’avenir des chrétiens de Taybeh passe également par la situation économique du village et les perspectives de travail. Aujourd’hui le manque d’opportunités d’emploi est l’une des causes majeures de la désertification du village. Pour limiter l’hémorragie, Père Johnny compte sur la mise en place de micro-projets dans le village pour ne plus seulement vivre d’aide matérielle, mais de solutions autochtones et pérennes. “Il est nécessaire d’avoir des projets qui pourraient aider les chrétiens et leur permettre de vivre leur vie quotidienne en dignité, sans avoir à être dans le besoin.
Rester, garder la foi et la transmettre. C’est probablement là la plus belle des vocations des habitants de Taybeh. Leur présence dans l’unique et dernier village chrétien de Palestine apparaît comme un important témoignage de leur foi auprès de tous les autres chrétiens de Terre Sainte. Comme le rappelle Abouna Johnny, “Les chrétiens de Palestine ne sont qu’1 % de la population, pas plus, mais ils ont conscience de leur importance comme pierres vivantes de cette terre”.
Ce n’est sans doute pas pour rien qu’en arabe Taybeh a pour signification : “Les personnes de bon cœur”.
Dernière mise à jour: 11/03/2024 11:39