Depuis le 27 septembre, la guerre a repris au Haut-Karabakh, dont la population est majoritairement arménienne chrétienne. L’Azerbaïdjan, soutenu par la Turquie, et l’Arménie se disputent le contrôle de cette région montagneuse du Caucase. En un mois, le conflit a causé la mort d’au moins 5 000 personnes. Hier, une troisième tentative de mettre fin aux combats a échoué.
Le sujet s’est dès le début invité par ricochet dans l’actualité israélienne. Notamment parce que l’Etat hébreu est l’un des grands pourvoyeurs d’armes de l’Azerbaïdjan. Récemment, l’armée azerbaïdjanaise a utilisé des équipements militaires de fabrication israélienne – notamment des « drones kamikazes », a en effet fait savoir officiellement Hikmet Hajiyev, chef du département des relations extérieures de l’administration présidentielle de la République d’Azerbaïdjan, dans un entretien avec le site d’information israélien Walla. Dans une lettre adressée le 5 octobre au Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, Nourhan Ier Manougian, le patriarche arménien apostolique de Jérusalem, l’a exhorté à cesser la vente d’armes à Bakou. « Nous comprenons qu’Israël entretienne des relations justes et amicales avec l’Azerbaïdjan, mais pas au point de fournir à l’agresseur du matériel de guerre moderne pour encourager davantage l’Azerbaïdjan. »
Le même jour, le patriarche arménien a présidé à la cathédrale Saint-Jacques des Arméniens dans la vieille ville de Jérusalem un « service spécial » pour prier « pour les martyrs, les soldats qui ont donné leur vie et leurs familles. » Demandant « la protection de Dieu pour les Arméniens du Haut-Karabakh. »
La ville sainte a vu aussi, courant octobre, fleurir sur les murs du quartier arménien de la vieille ville des drapeaux de la patrie de Noé et du Haut-Karabakh. En signe de soutien pour cette région séparatiste qui a été rattachée en 1921 à l’Azerbaïdjan par l’empire soviétique, et qui, à sa chute, a proclamé unilatéralement son indépendance en 1991, avec le soutien de l’Arménie. Ce qui avait provoqué une guerre causant la mort de 30 000 personnes. Depuis 1994, un fragile cessez-le-feu était en vigueur et ce, jusqu’à il y a un mois.
Rififi entre Arméniens et Juifs d’origine azérie
Ces derniers jours, Jérusalem a aussi vu des manifestations pro-arméniennes avoir lieu. Notamment le 17 octobre devant la Knesset, le parlement israélien. A l’issue de ce rassemblement, une altercation qualifiée d’«embuscade» par le Comité national arménien de Jérusalem – suite à laquelle neuf personnes ont été arrêtées et deux blessés ont été évacués à l’hôpital – a éclaté. La scène opposait sur une autoroute israélienne à l’extérieur de Jérusalem des partisans arméniens et azerbaïdjanais « apparemment Juifs d’origine azérie » a rapporté Haaretz. Ils seraient 100 000 en Israël. Non musulmans à l’inverse de la majorité des Azerbaïdjanais, ils descendent des Juifs d’Azerbaïdjan qui ont émigré pour la plupart en Israël à la chute du communisme.
Les échauffourées de la mi-octobre n’ont pas découragé les Arméniens, qui sont près de 5 000 en Terre Sainte, à se rassembler de nouveau. Ils étaient environ 1 500, le 22 octobre, devant le ministère israélien des Affaires étrangères. Pour demander la reconnaissance du Haut-Karabakh en tant que république libre et indépendante et pour dénoncer la vente d’armes à l’Azerbaïdjan par Israël. Pour cette raison, l’Arménie avait dès le 1er octobre annoncé le rappel de son ambassadeur à Tel Aviv. Un geste d’autant plus marquant que l’ambassade arménienne n’a ouvert ses portes dans la ville blanche que le 17 septembre dernier…
Une quadrature du cercle au défi d’un argument moral
Selon le Times of Israel, « les responsables israéliens ont assuré n’avoir aucune connaissance ni aucune implication dans la manière dont l’Azerbaïdjan utilise les armes qu’il achète ». Le président israélien, Reuven Rivlin, a de fait déclaré que « l’Etat d’Israël entretient des relations de longue date avec l’Azerbaïdjan ». Cependant, il a fait valoir que « la coopération entre les deux pays n’est dirigée contre aucune partie ». Ce à quoi Arayik Harutyunyan, le dirigeant arménien du Haut-Karabakh a répondu le 11 octobre : « ces déclarations sont une plaisanterie. Il est évident qu’ils savent et continuent à fournir des armes malgré tout. Et les autorités d’Israël, qui a lui-même survécu à un génocide, sont également responsables de ce génocide », a-t-il déploré le 11 octobre, selon l’agence de presse russe, RIA Novosti.
Un point sensible soulevé, plus tôt dans le mois, par le patriarche arménien de Jérusalem dans sa lettre au Premier ministre israélien. « La position actuelle d’Israël indique ironiquement qu’Israël a une attitude défavorable à l’égard de l’Arménie et du peuple arménien qui ont connu le premier génocide du XXe siècle. Inutile de vous rappeler, Monsieur le Premier Ministre, les souffrances de votre peuple à travers des plans systématiques génocidaires et de pogroms ». Avant d’ajouter : « Aujourd’hui, deux nations, à savoir la Turquie et l’Azerbaïdjan, sont destinées ensemble à éliminer les Arméniens de leur patrie et, malheureusement, votre pays les aide de manière agressive à atteindre leur objectif commun. » « En vérité, insiste le patriarche arménien, les Juifs affirment qu’ils ont le droit d’exister, mais votre pays nie activement l’existence légitime des Arméniens en prenant le parti de l’Azerbaïdjan pour la destruction. (…). Où est la moralité de cet épisode ? Les avantages économiques ou sociaux des nations devraient-ils l’emporter sur la conscience des peuples, leur attitude humaine et leur juste jugement ? » Traduire : Israël aurait dans les faits une obligation morale. Cependant, il convient de noter que paradoxalement, depuis des décennies, Israël refuse de reconnaître officiellement le génocide arménien en raison notamment du ménagement de ses relations diplomatiques, en dents de scie et à l’heure actuelle très refroidies, avec la Turquie.
En miroir, Israël est historiquement assez proche de l’Azerbaïdjan, pays majoritairement musulman (à 85% chiite) mais qui a rapidement reconnu l’Etat hébreu après l’indépendance. En outre, il jouit d’une longue frontière avec l’Iran, une zone cruciale pour les services de renseignement israéliens. Par ailleurs, si on a vu qu’Israël vendait des armes à l’Azerbaïdjan, Bakou fournit en retour à Israël entre 30 et 40% de ses besoins en pétrole.
Au final, l’écheveau est délicat à débrouiller. Israël se retrouve de fait dans le camp de l’Azerbaïdjan musulman et turcophone, pour lequel seraient – en plus – déployés des mercenaires syriens par son allié la Turquie, ennemie jurée des Arméniens, victimes d’un génocide non reconnu par un état qui à leurs yeux aurait toute logique à le faire et qui ne devrait pas selon eux participer en vendant des armes au nouveau génocide en cours au Haut-Karabah…. Certains observateurs pointant au passage qu’il n’est sans doute pas vraiment non plus dans l’intérêt d’Israël de voir ses armes tomber entre les mains des combattants syriens envoyés par la Turquie pour soutenir l’effort azéri…La quadrature du cercle.