Activer les valeurs de solidarité, de résilience et d’attention aux plus fragiles en réponse à la crise – sociale comme économique – engendrée par l’urgence sanitaire de la Covid-19 : c’est ce que tente de faire depuis plusieurs mois l’Arab Educational Institute – Open Windows (Aei), une organisation palestinienne basée à Bethléem (et membre de Pax Christi International), engagée depuis des années sur le front de la non-violence et du dialogue interreligieux.
« Nous encourageons les citoyens à être proactifs pour répondre aux différentes difficultés auxquelles ils sont tous confrontés : isolement, chômage, énormes obstacles économiques, à commencer par l’effondrement du secteur du tourisme dans la région de Bethléem », explique Toine Van Teeffelen, néerlandais marié à une Palestinienne, et chargé de projets éducatifs. « Sans oublier la fatigue liée à l’occupation militaire ».
Bien que ces derniers temps, les chiffres de la pandémie en Cisjordanie et à Gaza aient diminué, passant de 700 cas par jour à 300-400, le nombre de nouveaux cas de coronavirus dans les Territoires occupés reste considérable. Et la situation demeure donc préoccupante.
Pour la solidarité et la citoyenneté active
L’initiative commence avec les jeunes, donc avec les écoles. Ainsi, un réseau de 30 instituts de la région de Bethléem, a rejoint un programme qui se concentre sur les thèmes de la participation et du respect de la diversité entre chrétiens et musulmans. L’objectif ? Réaliser – à travers des initiatives locales de solidarité auprès des personnes contaminées, les personnes âgées et les pauvres – un travail commun, entre membres des deux confessions, contre la crise due à la Covid-19. « Dans les récits que les élèves partagent en ligne dans le cadre du projet – explique Van Teeffelen – sont évoqués avec une sensibilité profonde, des peurs, des moments de solitude et même des actes de violence générés par le chômage et l’augmentation de la pauvreté. Ce sont des histoires qui sonnent l’alarme, qu’il faut écouter ».
En outre, plus de 400 jeunes entre 15 et 17 ans qui fréquentent huit écoles du district de Bethléem, grâce à un projet soutenu par le gouvernement allemand, ont récemment mené des recherches sur l’histoire des valeurs civiques dans les zones de conflit. Il en a résulté un livre qui rassemble une quarantaine d’histoires en arabe, assorti d’un jeu de cartes. Les histoires montrent des modèles de citoyenneté active et de soutien entre voisins, soulignant l’importance des liens familiaux et communautaires. « Ces groupes d’étudiants – ajoute Van Teeffelen – organisent alors pour les prochains mois ce qu’on appelle des Journées du respect, c’est-à-dire des journées dédiées au respect, aussi bien envers les autres qu’envers la terre ».
Femmes et jeunes ensemble pour les droits
Enfin, dans la région d’Hébron et de Dura – une municipalité au sud de la ville des patriarches – des événements axés sur la défense de la santé publique et sur l’accès aux services essentiels ont eu lieu entre l’été et septembre. Ce sont des groupes de femmes et de jeunes qui les ont organisés. Les manifestations faisaient partie d’un projet soutenu par l’EU Peace Initiative et par l’organisation caritative britannique Catholic Agency for Overseas Development (Cafod) et visaient à lever la voix des citoyens pour « faire entendre leurs droits et demander l’accès aux services sur la voie de la justice, de la paix et de la sécurité », précise Rania Murra, directrice de de l’Arab Educational Institute. « Des histoires et des photos ont été collectées pour être utilisées sur les réseaux sociaux dans le cadre de la campagne. »
Un musée sur le mur
A l’initiative de l’Aei également, un lieu physique et symbolique à Bethléem, collecte des histoires depuis 2011 dans le but de développer un véritable parcours sur les droits de l’homme ; il s’agit du Musée du Mur. Construit pour transmettre une mémoire collective faite aussi de résilience et d’espoir, il se trouve sur la barrière de séparation israélienne dans le tronçon entourant le tombeau de Rachel (épouse du patriarche biblique Jacob, également appelé Israël au chapitre 32, verset 29, du livre de la Genèse – ndlr). Désormais difficile d’accès, la tombe était autrefois une destination de pèlerinage pour les juifs, les chrétiens et les musulmans.
Placé près d’un checkpoint, il est constitué d’environ 250 affiches (pour la plupart de 2 mètres de long sur 1 mètre de large), qui rapportent des citations et des histoires de femmes et de jeunes, des rêves et des désirs pour l’avenir, ainsi que des récits de réfugiés du camp voisin d’Aida – et d’autres villages – qui ont perdu leurs maisons et leurs terres en 1948 et plus tard.
Le choix de cette portion de mur ne s’est pas fait au hasard. Le musée, avec les initiatives culturelles et interreligieuses qui se sont développées autour, se veut être un signe de vie dans une région qui, il y a des années, était l’une des plus animées de Bethléem et qui – à partir de la deuxième Intifada de 2000 – s’est progressivement vidée, devenant ainsi un « quartier fantôme ».
« Les histoires de fragilité que nous avons publiées », dit Rania Murra, « contrastent de manière frappante avec le mur de béton. L’histoire personnelle humanise, ouvre, appelle la compréhension, alors que le mur ferme, supprime l’horizon humain. En préservant la mémoire et en la communiquant, l’histoire elle-même défie le mur ».
Il faut à peu près deux heures pour suivre tout le parcours, et l’idée est d’aller de l’avant. « La communauté réunie autour du musée nous a déjà donné des suggestions quant au contenu des nouvelles affiches et aux emplacements où les accrocher. Mais avant tout, cela nous encourage à continuer. Dans l’espoir qu’un jour le mur n’existera plus, et que ces histoires seront publiées dans des livres et mises en valeur dans les musées et les bibliothèques ».