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Bethléem, un temps suspendu

Beatrice Guarrera
25 novembre 2020
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La "capitale de Noël" connaît une crise économique dramatique qui a mis la population à genoux. Le tableau de la situation, les craintes et les (rares) espoirs d'une éventuelle reprise, une fois le virus vaincu, selon le maire de la ville, Anton Salman, et les acteurs économiques.


D’après toutes les prévisions, 2020 aurait dû être une année fructueuse pour le tourisme et les pèlerinages. Nous nous préparions à une série d’initiatives liées à l’événement « Bethléem, capitale de la culture du monde arabe ». Nous avons travaillé pour la cérémonie d’ouverture qui aurait dû avoir lieu le 4 avril 2020, mais à cause de la pandémie, tout a volé en éclats.

Ce sont les mots du maire de Bethléem, l’avocat Anton Salman, pour parler des conséquences de l’arrivée de la Covid-19. De son bureau qui donne sur la place de la Mangeoire, siège de la municipalité, on entend clairement les cloches de la basilique de la Nativité qui sonnent les heures et le muezzin de la mosquée toute proche, qui appelle à la prière cinq fois par jour. Ce

sont les seuls sons qui n’ont pas changé depuis que la pandémie a vidé Bethléem de la présence des visiteurs. Les boutiques de souvenirs et d’objets artisanaux sont interdites et la rue de l’Etoile, l’une des rues commerçantes les plus anciennes de Bethléem, est plus que jamais vide.

« Le coronavirus est entré dans la ville en février, nous ignorons quel jour précisément – poursuit le maire – Nous avons été informés que certains touristes de Grèce et de la Corée du Sud avaient été testés positifs et à partir de là, nous avons commencé nos investigations pour savoir qui ils avaient rencontré. Depuis le 15 mars, nous avons dû imposer des restrictions de mouvement pour contenir la pandémie ». C’est une histoire qui ressemble à celle de la plupart des villes du monde touchées par le coronavirus, qui ont vu la vie de tous les citoyens changer en peu de temps.

Si pendant quelques mois, il a semblé que Bethléem n’était plus touchée, à partir de juillet, de nouveaux cas de Covid-19 sont apparus. L’Autorité palestinienne a décidé de ne pas imposer un nouveau confinement, mais les dommages causés par la pandémie mondiale sont immenses, même en Palestine.

Disparation de l’activité majeure de la ville

En quelques semaines, l’arrivée de touristes étrangers a été complètement interrompue. Les pertes directes dans l’industrie hôtelière s’élèvent à environ 145 millions de dollars et 7,5 millions de dollars dans le secteur de la restauration, en plus des 85 millions de pertes de revenus pour les propriétaires de bus touristiques. Les pertes globales dans le secteur du tourisme en Palestine ont dépassé 320 millions de dollars.

« En ce moment, nous sommes confrontés à une grande faillite de notre économie », déclare Anton Salman.

« L’une des sources de revenus les plus importantes pour Bethléem est le tourisme et notre ville a donc aussi beaucoup pâti de la suspension des voyages à travers le monde. De nombreuses personnes sont au chômage et toutes les entreprises liées aux tourisme sont désormais fermées. Près de 32 000 travailleurs de l’Autorité palestinienne étaient employés dans le secteur du tourisme, avec plus de 10 300 familles liées aux services des transports, de l’hôtellerie, de restauration et de guides touristiques.

Tous vivent aujourd’hui dans l’angoisse et l’incertitude, car nul ne sait quand le secteur du tourisme pourra se redresser.

Bethléem, qui souffrait déjà des conséquences de la politique d’occupation israélienne empêchant les Palestiniens de quitter la Cisjordanie, a connu – avant le début de la pandémie – une période d’optimisme.

En 2019, plus de trois millions et demi de touristes avaient visité la Palestine et les bons résultats obtenus avaient encouragé les investissements dans la construction de nouveaux hôtels. Investissements qui, pour l’instant, n’ont mené qu’à des dettes.

« Quant à nous, nous ne pouvons malheureusement pas offrir de soutien économique à la communauté locale – avoue le maire -.

Notre municipalité est également confrontée à de graves difficultés économiques.

L’une des causes est que les gens ne sont pas en mesure de payer leurs impôts à la municipalité. En outre, les touristes avaient l’habitude d’utiliser les transports publics et de dépenser de l’argent en ville, mais aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Pourtant, notre devoir envers la communauté continue, sachant que nous avons une responsabilité encore plus lourde qu’auparavant”.

Ce sera un Noël sans pèlerins, personne ne se fait d’illusions.

Noël malgré tout

Et pourtant, le comité pour les fêtes de Noël à Bethléem se réunit depuis octobre déjà pour organiser les événements de l’année 2020. « Nous ne recevrons pas de pèlerins, car nous savons qu’il faudra du temps pour revenir à une vienormale. Mais nous nous attendons à ce que Noël soit vécu localementet nous respecterons tous les protocoles pour protéger la communauté d’une éventuelle contagion », a déclaré le maire. Ainsi, la cérémonie de l’illumination du sapin de Noël de la place de la Mangeoire, qui ouvre chaque année la saison de Noël, sera en ligne et retransmise en streaming.

Le marché de Noël sur la place aura lieu comme toujours, mais avec une attention particulière pour la distanciation sociale nécessaire. Un autre événement important sera l’entrée du nouveau patriarche latin, Mgr Pierbattista Pizzaballa, dans la ville de Bethléem. Evénement pour lequel il y aura des restrictions de circulation autour de la place de la Mangeoire. « C’est un ami, pour lequel j’ai beaucoup de respect », affirme le maire de Bethléem, en parlant de Mgr Pizzaballa, avec qui il a eu affaire à l’époque où ce dernier était le Custode de Terre Sainte.

Anton Salman, chrétien selon la coutume pour tout maire de Bethléem, célèbrera Noël lui aussi, mais il le fera avec soin, en tâchant de préserver la santé de tous : « Nous devons nous rendre compte que c’est une période inhabituelle pour la ville et que les règles doivent être respectées afin de lutter contre la pandémie. Nous devons protéger notre petite communauté. Au cours des trois années qui se sont écoulées depuis le début de mon mandat, j’ai rencontré de nombreux hommes politiques, mais je n’ai pas voulu rencontrer le président des Etats-Unis, Donald Trump », tient-il à nous préciser. En cette année 2020, personne n’a pu visiter Bethléem, mais l’espoir est que quelque chose puisse changer pour l’année prochaine. « Bethléem est la capitale de Noël et j’espère qu’à l’avenir, les gens pourront à nouveau visiter notre ville et prier dans les lieux saints », a-t-il poursuivi.

Le soutien des pèlerins nous aidera à faire face aux défis résultant de l’occupation, des colonies israéliennes, des injustices que notre peuple doit endurer à cause de la politique israélienne dans la région et dans les territoires occupés. Nous pensons que le retour des touristes pourra nous être d’un grand soutien économique et politique. Notre gouvernorat est tout petit et rien qu’autour de Bethléem, nous avons 23 colonies israéliennes. C’est comme un siège ».

C’est un tableau dramatique qui ressort des données et des mots de Salman et il suffit de parcourir les rues de la ville pour se rendre compte de la gravité des difficultés que traversent les Palestiniens.

Les boutiques adjacentes à la place de la Mangeoire n’encaissent plus un centime et les propriétaires se rendent au travail davantage en quête de compagnie que d’affaires. « Il n’existe pas d’associations professionnelles pour nous protéger, et encore moins d’aides de l’État », explique Rony Tabash, propriétaire d’une boutique de souvenirs et d’objets artisanaux près de la basilique de la Nativité ; une activité qui, depuis des générations, soutient sa famille et tant d’autres. « Plus de 25 familles fabriquent des objets pour notre magasin depuis plus de 50 ans, lorsque mon père l’a ouvert. Beaucoup n’ont plus à manger depuis que la pandémie a débuté », explique-t-il.

Pour un objet qui n’est plus vendu, c’est en effet toute une chaîne d’approvisionnement qui en est affectée, composée de familles travaillant à la commission directement depuis chez elles. Comme dans le cas des chapelets en bois d’oliviers de Bethléem, auxquels contribuent cinq familles différentes : il y a ceux qui fabriquent les grains, ceux qui les enfilent sur la corde, ceux qui façonnent la croix, ceux qui confectionnent le paquet et ceux qui les vendent dans leur propre magasin, comme Rony. Pour essayer de pallier l’absence de pèlerins, Rony Tabash a tenté de faire de la vente à distance grâce à ses contacts internationaux via Whatsapp et les réseaux sociaux. « J’ai vendu environ 30 000 chapelets par courrier, avec le slogan ‘Priez pour le monde avec un chapelet de Bethléem’ », ajoute-t-il. « Avant mars dernier, je travaillais 16 heures par jour dans ma boutique et maintenant je ne sais plus comment continuer.

Garder l’espérance

Malgré toutes les difficultés du passé, nous avons gardé l’espérance, mais cette pandémie nous l’a enlevée ».

Au bar des franciscains de Terre Sainte, à quelques pas de la place de la Mangeoire, on n’entend plus parler aujourd’hui que de chômage et de familles désespérées.

Les religieux cherchent à aider comme ils le peuvent, en commandant des chapelets et en essayant de soutenir la communauté locale.

Frère Ananiasz Jaskólski, sacristain de la basilique de la Nativité, est l’un d’entre eux. “Même nous les frères en service à la Nativité, n’avons plus que le travail lié au Statu Quo le matin, avec toutes les prières et les célébrations quotidiennes », explique-t-il. « Il n’y a plus toutes les messes à célébrer avec les groupes de pèlerins et c’est pourquoi nous donnons maintenant plus d’espace aux groupes de chrétiens locaux.

Ce sont des Arabes, des Philippins, des Indiens, venant de Jaffa, de Magdala, et d’autres lieux en Terre Sainte. N’ayant pas d’autres demandes, la Grotte de la Nativité reste pendant de nombreuses heures ouverte à la prière. Puis à 15h l’après-midi, nous fermons la basilique ».

Dans ce contexte, le ministère du Tourisme palestinien a voulu aller se tourner vers l’avenir et a présenté en septembre 2020 le programme Jahzeen (en arabe « Es-tu prêt ? »), un projet national qui vise à améliorer les compétences de la main-d’œuvre du tourisme palestinien pour l’ère post-Covid-19. Dans l’espoir que lorsque le monde se réveillera de ce mauvais rêve, la Palestine sera prête.

 

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