Aucun écrit de l’époque des croisades n’explique les raisons qui ont présidé aux choix de la décoration de la basilique de la Nativité. Mais à considérer les thèmes des mosaïques et le choix des saints, un message se dessine qui renverse quelques a priori sur l’Église latine en Terre Sainte à l’époque médiévale. La basilique n’a pourtant pas révélé tous ses secrets.
Frère Stéphane Milovitch connaît bien Bethléem. Il y a fait son noviciat franciscain durant deux années. Il a lu tous les livres que les érudits de la Custodie ont composés sur le sanctuaire. Il est guide patenté pour les pèlerinages et a même été, durant trois ans le supérieur de la fraternité franciscaine locale, son “gardien” en langage custodial.
Pour lui, mosaïques et colonnes délivrent un “message œcuménique très fort”. Il suffit d’apprendre à le lire. “Les gens qui visitent la basilique et qui ne savent pas la regarder voient d’abord la foule, le bazar et toutes les divisions de la chrétienté, explique-t-il. Mais ce lieu est extraordinaire, il embrasse tout le monde. Prenons d’abord les mosaïques des murs nord et sud de la basilique : elles sont d’inspiration byzantine et représentent les neuf conciles œcuméniques communs aux catholiques et orthodoxes, ainsi que les conciles locaux. »
Lire aussi >> Basilique de la Nativité : à quels saints se vouaient les Croisés ?
« C’est intéressant, poursuit le franciscain, parce que le schisme entre les Églises latine et byzantine a eu lieu en 1054, soit cent ans avant la rénovation de la basilique. Sa décoration a été faite sous l’autorité des Croisés qui ne pouvaient pas l’ignorer. On constate donc que les latins en Terre Sainte étaient assez acculturés pour ne pas avoir imposé leur art et assez ouverts pour se concentrer sur ce que les chrétiens ont en commun.”
Oecuménisme
“Voyez les colonnes, les Croisés ont voulu y représenter des saints locaux orientaux, plutôt vénérés chez les orthodoxes, tels que saint Sabas ou saint Macaire. C’est particulièrement intéressant car cela révèle que les Croisés avaient bien compris que la sainteté n’est pas latine. On ne fait pas de nationalisme lorsqu’il s’agit du dogme de la sainteté, on construit et on peint sur des critères universels”.
Et frère Stéphane de continuer : “Non seulement cette église crie l’œcuménisme dans la partie supérieure de ses mosaïques, qui élèvent vers une sainteté commune, mais l’édifice lui-même vit de l’œcuménisme. Lorsque nous tournons notre regard vers ces colonnes et ces mosaïques, nous comprenons que, oui, les chrétiens ont bien un Credo commun, et que dans la basilique de la Nativité, c’est l’Église du Christ qui est présente”.
Pour Michele Bacci, professeur ordinaire d’histoire d’art médiéval de l’université de Fribourg, le nettoyage et la restauration des colonnes et des murs de l’église apportent des éléments de réponse aux interrogations des chercheurs. “Une des questions que les historiens de l’art se posaient était de savoir pourquoi les Croisés avaient décidé d’utiliser deux supports, la peinture murale et la mosaïque, pour décorer l’église. Y avait-il une cohérence entre les représentations sur les deux supports ? Jusqu’à maintenant on estime que les colonnes latérales étaient des ex-voto figuratifs à l’initiative de particuliers, avant que les Croisés, dans les années 1160, ne décident d’une composition en mosaïques. Les colonnes de la nef, elles, semblent appartenir à un cycle cohérent.”
Graffitis
Mais les études sont loin d’être terminées. “Les noms des saints figurant sur les colonnes étaient déjà connus, mais le nettoyage a permis une lecture plus précise des inscriptions [situées à gauche et à droite du visage des saints]. Par exemple, seules certaines parties des inscriptions accompagnant l’image de la Vierge, dans la colonnade intérieure sud, avaient été déchiffrées. Il est maintenant possible de comprendre qu’elles donnent forme à un dialogue où, comme dans une sorte de bande dessinée, les donateurs représentés sur le bord inférieur expriment leurs prières à la Vierge Marie, tandis que celle-ci implore le Christ d’être compatissant envers ces croyants. Quant à l’Enfant Jésus, il souligne le rôle de sa mère comme médiatrice de la grâce, au nom de l’humanité pécheresse.”
Lire aussi >> Profession: chasseur de graffitis
Pour le professeur Bacci “les résultats les plus impressionnants du nettoyage sont les centaines de graffitis anciens devenus plus lisibles : certains sont accompagnés d’armoiries magnifiquement dessinées datant du XVe siècle. D’autres sont dans presque toutes les langues possibles : grec, latin, arménien, syriaque, arabe, géorgien, ancien français, allemand, hongrois, italien, espagnol, portugais, anglais… Certains sont incisés dans la pierre, d’autres simplement dessinés. Les plus anciens datent du XIIe siècle, comme celui dans la travée nord-est mentionnant deux frères de Tripoli du Liban. Dans l’ensemble, ces graffitis représentent un héritage graphique inestimable du passé. Le défi sera maintenant d’en fournir une analyse épigraphique systématique. Un certain nombre de chercheurs internationaux s’apprêtent à relever ce défi.”
(1) TSM 658, nov. déc. 2018, Dossier Bethléem : Quand l’art au XIIes fait de l’œcuménisme.
Dernière mise à jour: 08/03/2024 15:20