C’est le quotidien Haaretz qui s’en est fait l’écho, dans son édition du 25 janvier. Le ministère de l’Intérieur en Israël a pour la première fois notifié officiellement à la Haute Cour de justice qu’il ne considérait pas les Abayudayas comme une « communauté juive reconnue ». Et partant, les membres de cette petite communauté ne sont pas éligibles à l’immigration en vertu de la loi du retour. Cette loi permettant à toute personne de confession juive et à toute personne ayant au moins un grand-parent juif de faire son Alya – en français faire sa montée en Israël – et d’en devenir citoyen.
Pour autant, cette communauté qui pratique le judaïsme avait été reconnue en 2016 – dans les faits, plus tôt – comme juive par l’Agence juive. Mais le ministère de l’Intérieur a le dessus sur l’Agence Juive. A noter que l’organe para-national chargé de l’immigration juive en Israël, qui a joué un grand rôle dans le développement de l’Etat hébreu en aidant depuis sa création en 48, trois millions de juifs à s’installer en Israël, a aussi déjà publiquement reconnu l’autorité du rabbin de la communauté Abayudaya, Gershom Sizomu.
Pratique du judaïsme récente
La communauté ougandaise Abayudaya, qui signifie en luganda « Peuple de Juda », représente entre 2 000 et 3000 personnes dont la plupart résident aujourd’hui dans plusieurs villages de l’est de l’Ouganda, et un petit nombre au Kenya. Les racines de cette communauté singulière remontent à 100 ans. A l’époque, Semei Lwakilenzi Kakungulu, un ancien chef militaire au service du souverain du royaume de Bouganda, se convertit au protestantisme par des missionnaires britanniques. Ayant lu la Bible et approfondi l’Ancien Testament, il décide d’embrasser le judaïsme. En 1919, il fonde officiellement sa propre communauté développant son style de judaïsme à elle, basé principalement sur l’Ancien Testament. La communauté (dont une petite minorité est partisane du judaïsme orthodoxe) ne prétend donc pas descendre d’une tribu perdue d’Israël mais il n’en demeure pas moins qu’elle étudie la Torah, observe le Shabbat et les fêtes juives, suit la cacherout et pratique la circoncision. Certains membres parlent l’hébreu. Cependant la majorité de la communauté Abayudaya n’est jamais allé en Terre Sainte.
Ce n’est que dans les années 2000, principalement entre 2002 et 2008, que la plupart des membres de l’Abayudaya se sont officiellement et formellement convertis grâce à cinq rabbins affiliés au mouvement conservateur-massorti américain. A ce titre, ils ne sont donc pas reconnus comme juifs par le grand rabbinat israélien, majoritairement ultra-orthodoxe. Mais si l’institution religieuse contrôle les règles concernant les mariages juifs, les divorces, les conversions au judaïsme ainsi que les obsèques dans l’Etat hébreu, elle n’a techniquement pas d’autorité sur les candidatures à l’immigration en Israël. Cela incombe au ministère israélien de l’Intérieur.
Audience sur l’affaire le 3 février à la Cour suprême
La déclaration dudit ministère, hier, est intervenue en réponse à une requête déposée par un membre de la communauté Abayudaya et dont la demande d’immigration a été refusée. Il appartient désormais à la Cour suprême de justice israélienne de décider le 3 février d’accepter ou non la décision du ministère. En cas d’approbation, cela pourrait créer un précédent sur le statut juridique de communautés juives similaires dans le monde.
« Une décision en faveur de l’Etat pourrait avoir de graves répercussions sur les ‘‘communautés juives émergentes’’ du monde entier intéressées à se connecter à Israël », explique Haaretz. Il faut mettre sous ce vocable des communautés entières de convertis en Amérique du Sud ou les personnes ayant des ancêtres juifs mais ne pouvant pas se qualifier pour la Loi du retour. Selon Haaretz, cela inclurait par exemple les « Bnei Anusim » – les descendants de juifs forcés de se convertir pendant les inquisitions espagnoles et portugaises, ainsi que des communautés qui prétendent descendre des « tribus perdues d’Israël ». On peut rajouter aussi les descendants de juifs polonais contraints à dissimuler leur identité durant la Shoah.
La décision de la Cour Suprême aura également de larges implications pour les relations entre Israël et les communautés de la diaspora, dont l’écrasante majorité est affiliée aux courants juifs conservateurs, réformés et non orthodoxes.