Dieu sait si Jérusalem et la Terre Sainte ont inspiré bien des rêves et des rêveurs. Mais le projet couvé par Mgr Gustavo Testa, délégué apostolique en Palestine et l’architecte italien Antonio Barluzzi compte probablement au rang des plus grandes utopies imaginées pour la ville sainte et le Saint-Sépulcre. Terre Sainte Magazine vous présente le projet fou conçu pour une nouvelle mosquée basilique du Saint-Sépulcre auquel nous avons échappé dont ils ont rêvé.
Monument en péril
1940, la basilique du Saint-Sépulcre est à bout de souffle, épuisée par des siècles d’assauts en tout genre : pillages, intempéries, incendies, tremblements de terre. Le dernier en date, celui de 1927, d’une intensité de 6.2 sur l’échelle de Richter, lui a-t-il porté le coup de grâce ? Les études conduites par l’architecte britannique William Harvey à la demande
de la puissance mandataire tirent la sonnette d’alarme sur l’urgence de travaux structurels. L’édifice menace ruine. En attendant que les Églises gardiennes des lieux trouvent un accord, il ordonne de l’étayer. Ce qui sera fait en 1939.
L’édifice n’a pas la cote
Les mises en garde britanniques n’émeuvent pas beaucoup les Églises locales. Les chrétiens palestiniens, orientaux pour la plupart, ne nourrissent pas un amour inconsidéré pour cette église à l’architecture étrangère à leur culture. Quant aux Européens toujours plus nombreux à venir en pèlerinage, ils ne voient là qu’“un pastiche d’éléments historiques mal restaurés, remplis de disjonctions discordantes et mélangeant les styles”. À Pâques 1939, la participation des fidèles se fait sur invitation afin d’en réduire le nombre pour raison de sécurité.
L’enthousiasme de l’utopie
Devant les alertes britanniques seule l’Église catholique réagit. Elle commandite en 1937 une nouvelle étude qui arrive aux mêmes conclusions de fragilité de l’édifice. C’est alors que Mgr Gustavo Testa, Délégué apostolique en Palestine depuis 1934 (ndlr l’équivalent d’ambassadeur du Saint-Siège), fait appel en 1940 aux architectes italiens Luigi Marangoni et Antonio Barluzzi pour concevoir “un temple grandiose comme jamais”. Barluzzi est installé à Jérusalem depuis 1913 où il bâtit hôpitaux et basiliques.
À son actif déjà à cette date : les basiliques du Thabor et de Gethsémani, ainsi que les églises du mont des Béatitudes et de la Visitation à Aïn Karem, ou le monastère de la Flagellation en Vieille ville de Jérusalem.
Grandiose et œcuménique
L’ensemble est constitué de trois basiliques qui doivent être construites. “Pour respecter justement les sentiments et les droits des deux communautés principales dissidentes, la grecque et l’arménienne, il faut leur offrir la possibilité de deux belles et amples églises pour leur propres culte, regroupées autour de l’église latine au centre du sanctuaire, avec des accès commodes.”Elles convergent sur la cour centrale. Les autres Églises gardiennes du Lieu saint ne sont pas oubliées, le projet prévoit aussi d’en ajouter une autre. “Comme preuve de légitime considération envers les autres communautés dissidentes, comme la copte, l’abyssine (ndlr éthiopienne), et en plus l’anglicane (ndlr la dernière venue) et la syriaque, il faut étudier une façon qu’elles aussi puissent avoir un lieu “commode et convenable”.
Disparition de la basilique romane croisée
La basilique croisée est rasée pour retrouver l’idée du triportique de la basilique constantinienne que les concepteurs appellent “le jardin”. Au (presque) centre, on retrouve le rocher du calvaire couvert d’un immense “reliquaire” ou tempietto, comme il est dit en italien, “petit temple”.
Quatre escaliers permettront d’y accéder. Le petit dôme, à l’abside de l’église catholique, marque – comme aujourd’hui – la chapelle de Sainte-Hélène dont le niveau est plus profond. Des cyprès et des fontaines dans des niches latérales orneront le jardin.
Dans les étages de la galerie qui borde cet espace à ciel ouvert, est prévu un musée destiné à accueillir les chapiteaux, colonnes, inscriptions et autres décorations résultants de la destruction de la basilique croisée.
Un nouvel édicule
Au centre de la rotonde, le tombeau de Jésus est recouvert d’un nouvel édicule. L’édifice insère la chapelle de l’ange et la chambre funéraire dont les dimensions et orientations sont conservées. À l’extérieur de l’édicule doivent être gravés en latin et en grec des extraits des évangiles relatant la Résurrection. Un bas-relief représentera la sépulture du Christ d’après le texte biblique. Au sommet, dans les niches, des statues des saintes femmes et des apôtres témoins du Ressuscité.
La rotonde elle-même serait ornée de mosaïques représentant les saints du Nouveau Testament. Elle est dotée d’un dôme conique comme vraisemblablement l’était la basilique constantinienne. “Au sommet du dôme, s’ouvrira une grande fenêtre ronde telle, qu’il en existe dans le Panthéon romain.
Cette ouverture laissera constamment et symboliquement le chemin du ciel ouvert au Rédempteur” rapporte le projet.
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Un livre consacré au projet
Les plans, dessins et images de la maquette sont extraits du livre “Il Santo Sepolcro di Gerusalemme, Splendori-Miserie-Speranze, Bergamo Istituto italiano d’arti grafiche.”
Le projet, bien qu’il porte en germe toutes les raisons de son échec, est présenté au monde en grande pompe. Une maquette figure dans le stand de la Custodie à l’exposition d’art sacré missionnaire à Rome lors de l’année sainte 1950. La Terre Sainte en italien (la version française n’a pas encore repris après l’arrêt dû à la Seconde Guerre mondiale) se fait l’écho des avis favorables qu’il suscite !
Puis le sujet sort doucement des colonnes de la revue.
En 1954, sans le nommer on apprend qu’il est décidé de restaurer la basilique héritée des Croisés. Durant plusieurs années aussi, les pages du magazine franciscain feront mine de voir pour acquis l’acceptation de l’autre projet – le “projet de sa vie”- conçu par Barluzzi, celui de la basilique de l’Annonciation à Nazareth et qui ne verra pas non plus le jour. (Il sera évoqué dans le numéro de mars-avril 2021).
Dernière mise à jour: 14/03/2024 10:30