Comme lors du premier confinement, une partie des juifs orthodoxes fait de la résistance. Le passage à un confinement strict pour endiguer l’augmentation fulgurante du nombre de cas positifs le 7 janvier, a contraint les écoles israéliennes à fermer leurs portes. Si les yeshivot, les écoles religieuses orthodoxes s’y sont tenues les premiers jours, celles dirigées par les franges les plus radicales de la communauté ont bravé l’interdiction et rouvert mardi 12 janvier. Des affrontements avec la police ont éclaté, menant à une dizaine d’arrestations.
Ce n’est pas la première fois que les haredim (littéralement les Craignants Dieu), défient les consignes sanitaires. Déjà, au printemps, le port du masque avait mis du temps à se généraliser et les rabbins avaient refusé de fermer leurs synagogues. Les règles de distanciation sociale ont régulièrement été bafouées, en témoignent ces images de mariages, de fêtes religieuses et plus récemment d’enterrements, où les hommes se pressent dans leurs grands manteaux noirs les uns contre les autres et sans masques.
Rejet de la modernité
Résultat, les juifs orthodoxes sont la communauté la plus touchée par le virus en Israël : ils ont représenté jusqu’à 40% des nouveaux cas confirmés cet automne. Leurs villes et leurs quartiers ont enregistré les taux de contagion les plus élevés d’Israël. La propagation du virus a été d’autant plus rapide que les familles orthodoxes, souvent pauvres et nombreuses (7 enfants par femme en moyenne) vivent entassées dans des habitations trop étroites.
Comment expliquer cette défiance vis-à-vis des règles sanitaires ? D’où vient-elle ? « En grande partie de leur rejet de la modernité et de leur autarcie », explique à Terre Sainte Magazine Denis Charbit, professeur en sciences politiques à l’Université libre d’Israël et auteur du livre Israël et ses paradoxes. Volontairement coupés du monde moderne qu’ils jugent néfaste pour la vie juive et l’observance des commandements, les juifs orthodoxes n’ont perçu la gravité de la pandémie que bien après le reste du monde.
Accéder à une information vérifiée s’est avéré quasi impossible sans téléphone portable ni connexion internet, expliquant en partie le retard à l’allumage des rabbins dans la sensibilisation aux gestes barrières.
« Sans la Torah, le monde tombe »
Après l’ignorance est venu le déni face aux conséquences du virus. « Dans les premiers mois, certains orthodoxes ont estimé que parce qu’ils étaient gardiens de la foi, qu’ils priaient tous les jours et qu’ils respectaient les commandements divins, ils allaient être protégés », analyse Denis Charbit.
Rav Kanievsky, l’un des rabbins les plus influents de la communauté haredi est même allé jusqu’à affirmer, au moment où le gouvernement allait fermer les synagogues, mi-mars, que « cesser d’étudier la Torah, même un seul jour, [était] un risque plus grand pour la survie du peuple juif que le coronavirus. »
L’étude de la Torah est un des commandements du judaïsme. Les hommes haredim se réunissent trois fois par jour à la synagogue pour prier. Les étudiants des yeshivas peuvent passer 18 heures par jour à étudier ensemble. « Plus qu’un mode de vie, la prière et l’étude sont considérés comme les moyens de protéger la vie elle-même. « Sans la Torah, le monde tombe », disent les sages juifs », expose Joyce Dalsheim, spécialiste des questions de religiosité et de laïcité en Israël, dans un article pour The Conversation.
Sentiment anti-haredim
Braver les interdits devient « vital », tout autant qu’un acte de résistance. « Les orthodoxes se sont toujours méfiés de l’autorité de l’État, souligne Denis Charbit. Leur rejet des normes sanitaires cristallise un refus de tout ce qui vient de l’État, comme le service militaire, dont les orthodoxes sont exemptés. »
La position des rabbins s’est adoucie au fil des mois, certains encourageant même la vaccination. Seules les franges les plus radicales continuent à défier les règles. La situation n’en reste pas moins embarrassante pour le gouvernement, dont la coalition, qui repose sur le soutien des orthodoxes, pourrait éclater avec les élections du mois de mars.
« Les orthodoxes, par leur comportement et parce qu’ils sont économiquement dépendants des allocations familiales versées par l’État, se sont mis une partie de l’opinion publique, laïque, à dos, relate Denis Charbit. Le risque, c’est la fracture sociale. » Certains partis exploitent déjà ce sentiment anti-haredim, en vue des élections législatives du mois de mars.
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