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Diplomatie : le Pape plaide pour un « Moyen-Orient pluriel »

Christophe Lafontaine
12 février 2021
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Dans le cadre des vœux au corps diplomatique, le pape François a fermement demandé à la communauté internationale d’agir pour la paix au Moyen-Orient © Alfredo Borba /Wikimedia Commons

Lors de ses vœux au corps diplomatique, le Pape a appelé, lundi, à « faciliter le dialogue » en Terre Sainte, mettre fin à la guerre en Syrie, et préserver la stabilité du Liban, gage d’un « Moyen-Orient pluriel ».


Le 8 février, le pape François a reçu au Vatican les représentants des Etats accrédités près le Saint-Siège. Dans son discours de près d’une heure, il s’est bien sûr largement entretenu sur les conséquences sanitaires, économiques et sociales de la pandémie de Covid-19.

Il s’est aussi inquiété de la « crise de la politique », c’est à dire « la difficulté, pour ne pas dire l’incapacité, à rechercher des solutions communes » ; « tendance qui se répand toujours plus », a-t-il souligné. Mais le Pape estime que la pandémie est « une occasion à ne pas perdre pour penser et mettre en œuvre des réformes organiques, afin que les Organisations internationales retrouvent leur vocation essentielle à servir la famille humaine pour préserver la vie de toute personne et la paix ».

Dans son tour d’horizon du monde de la géopolitique vaticane, le Pape a donc encouragé la communauté internationale à agir concrètement pour la résolution des conflits. Notamment en Terre Sainte, en Syrie et au Liban. Formulant des vœux de réconciliation en Terre Sainte, il a exhorté « à la confiance réciproque » pour « un dialogue direct, renouvelé et résolu » entre Israéliens et Palestiniens qui, soutient-il avec certitude, « nourrissent tous deux le désir de pouvoir vivre en paix ».  Le Souverain pontife a invité la communauté internationale « à soutenir et à faciliter ce dialogue direct, sans prétendre dicter des solutions qui n’ont pas pour horizon le bien de tous ». Une allusion à peine voilée aux initiatives de l’administration Trump ces quatre dernières années.

Ecrire le « mot fin » pour le conflit en Syrie

Dans son discours, le Pape a aussi ardemment souhaité : « que 2021 soit l’année où le mot fin soit enfin écrit concernant le conflit syrien », notant qu’il avait débuté il y 10 ans. Il a d’autre part encouragé, là encore, la communauté internationale à « affronter avec sincérité et courage les causes du conflit et rechercher des solutions ». Evoquant « la bien-aimée Syrie », où « en plus d’autres graves urgences (…) les enfants sont épuisés par la malnutrition », il a pointé du doigt les sanctions économiques qui planent sur la Syrie ; comme sur d’autres pays d’ailleurs. « Tout en comprenant la logique des sanctions, le Saint-Siège n’en voit pas l’efficacité et souhaite leur assouplissement pour favoriser aussi le flux d’aides humanitaires, tout d’abord de médicaments et de matériel sanitaire, extrêmement nécessaires en ce temps de pandémie ». Un écho à l’appel adressé à Joe Biden, au lendemain de son investiture officielle à la Maison Blanche, par une centaine de responsables religieux, politiques, et humanitaires dont le Patriarche de l’Eglise catholique syriaque Ignace Youssef III Younan, le Patriarche de l’Eglise grecque-catholique melkite Youssef Absi, le Patriarche syro-orthodoxe Ignace Ephrem II Karim et le Secrétaire général du Conseil des Eglises du Proche-Orient (MECC). Les signataires ont de fait demandé « instamment » au 46e président des Etats-Unis « d’aider les Syriens à atténuer la crise humanitaire qui menace de déclencher une nouvelle vague d’instabilité au Moyen-Orient ». Et ce, en levant les sanctions américaines qui « écrasent le peuple syrien, déjà largement éprouvé par la crise sanitaire et 10 ans de guerre ayant fait près de 400 000 morts et plusieurs millions de déplacés ». Plus de 6,7 millions de personnes ont fui la Syrie depuis le début du conflit le 15 mars 2011, selon les données 2018 du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). La majorité des réfugiés est restée au Moyen-Orient, avec plus de la moitié enregistrée comme vivant en Turquie (3,6 millions en 2021) et 1,6 million de réfugiés vivant également au Liban ou en Jordanie, qui bordent également la Syrie.

Le Liban doit garder « son identité unique » …

Troisième pays qui suscite une grande attention de la part du Pape, le pays du Cèdre. Inquiet pour « la stabilité du Liban traversé par une crise interne » sur les plans socio-économique, financier, politique et sanitaire depuis plus d’un an, le Pape a plaidé pour « un engagement politique national et international renouvelé ». Insistant sur la nécessité que « tous les responsables politiques et religieux, les intérêts particuliers ayant été mis de côté, s’engagent à poursuivre la justice et à mettre en œuvre de vraies réformes pour le bien des citoyens, en agissant de manière transparente et en assumant la responsabilité de leurs actions ». A l’aune de la pandémie de coronavirus, de la crise économique, de la double explosion dans le port de Beyrouth, qui a fait 209 morts, de la crise constitutionnelle qui empêche la formation d’un nouveau gouvernement, plus de la moitié de la population libanaise vit désormais en dessous du seuil de pauvreté, dans un pays secoué par des émeutes violentes, avec une inflation galopante, avec une livre libanaise qui a perdu plus de 80% de son pouvoir d’achat.

… et ne pas voir s’« affaiblir la communauté chrétienne »

Outre « le risque de faillite du pays, avec la conséquence possible de dangereuses dérives fondamentalistes », le Pape a pointé deux autres menaces pour le Liban, celle « de perdre son identité » et celle « de se trouver encore plus impliqué dans les tensions régionales ».

Pour le Saint Père, il est impératif que le pays du Cèdre conserve son identité afin d’« assurer l’existence d’un Moyen Orient pluriel, tolérant et divers, où la présence chrétienne puisse offrir sa contribution et ne soit pas réduite à une minorité qu’il faut protéger ». Le Pape n’a pas manqué de souligner le rôle historique des chrétiens à travers leurs œuvres éducatives, sanitaires et caritatives. Et a lancé une mise en garde : « affaiblir la communauté chrétienne risque de détruire l’équilibre interne et la réalité libanaise elle-même ».

Le Patriarche maronite, lors de la messe célébrée le 9 février au siège patriarcal de Bkerké à l’occasion de la Solennité de saint Maroun, père de l’Eglise maronite, a relu intégralement le passage du discours du Pape consacré au Liban. Au cours de son homélie, le cardinal Bechara Rai a de nouveau avancé sa récente idée visant à promouvoir une Conférence nationale sous l’égide de l’Onu, chargée d’éviter l’effondrement du pays et pour « remédier à la paralysie du système libanais ». Et a proposé de « préserver le pacte national et la coexistence islamo-chrétienne ».

Un appel qui sonne d’une manière particulière à l’heure où la région s’adapte aux faits nouveaux après l’élection du président américain Joe Biden, à la réorganisation du monde arabe après la réconciliation entre l’Arabie saoudite et le Qatar et la normalisation entre Israël et de nouveaux pays arabes, …

 

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