Élections palestiniennes : « Il est illusoire de penser qu’il y aura un renouveau démocratique »
Début janvier, le président palestinien Mahmoud Abbas a publié un décret annonçant la tenue d’élections législatives, présidentielles, et de renouvellement de la direction de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), pour mai, juillet et août. Ces scrutins seraient les premiers depuis 2006, date la fracture entre le Fatah du président Mahmoud Abbas et le Hamas. Le mouvement islamiste, alors surpris par sa victoire et incapable d’assumer le pouvoir, avait fini par se retrancher dans la bande de Gaza, en prenant le contrôle total en 2007.
Directrice du plaidoyer pour le Palestine Institute for Public Diplomacy (PIPD), Inès Abdel Razek analyse les enjeux des scrutins à venir pour Terre Sainte Magazine.
Terre Sainte Magazine – Quels sont les enjeux sous-jacents de l’annonce de la tenue d’élections cette année ?
Inès Abdel-Razek – Il est très clair que le président Mahmoud Abbas cherche à montrer patte blanche aux États-Unis. Il envoie des signaux positifs à l’administration Biden à un moment où le leadership palestinien a perdu toute sa légitimité auprès du peuple, et sa crédibilité au niveau international. Le Hamas et le Fatah ont intérêt à présenter un semblant de volonté de renouvellement démocratique, puisque leur existence financière et politique en dépend.
Pourquoi les deux factions ont-elles attendu 15 ans pour relancer le processus démocratique ?
Parce que durant tout ce temps, elles ont échoué avec constance à se réconcilier. Un grand fossé les sépare. Alors que le Fatah, qui domine l’Autorité Palestinienne à l’OLP collabore avec Israël tous les jours, le Hamas, retranché à Gaza, veut continuer la lutte armée. Ce sont deux visions irréconciliables. Les discussions au Caire la semaine dernière, ont montré que les deux factions semblent prêtes à faire des compromis et à s’engager vers la réconciliation. Beaucoup d’incertitudes planent néanmoins sur la tenue de ses élections et sur leurs conditions. Telles qu’elles ont été présentées, elles ne permettront pas le renouvellement démocratique du tissu politique palestinien. Elles ne remettront pas en cause le système actuel qui fait qu’un député de Palestine a peu de pouvoir. Face à l’occupant israélien, l’Autorité palestinienne n’est que l’équivalent d’une grande municipalité ou d’une préfecture.
Qui, du Hamas ou du Fatah, pourrait l’emporter ?
Je ne suis pas sûre que cela puisse se traduire en ces termes, mais il y a clairement une frustration auprès des pouvoirs en place à Gaza et en Cisjordanie. Les gens auront tendance à se tourner vers l’opposition -Fatah à Gaza et Hamas en Cisjordanie- , sans trop de conviction des deux côtés. Il y a aussi une chance que les deux factions se répartissent à l’avance les sièges dans leur(s) liste(s), justement pour éviter trop de surprises et maintenir leur assise.
Une troisième voie politique est-elle envisageable ?
L’espace politique actuel est fermé, sclérosé. Plus de 80% des Palestiniens sondés veulent la démission de Mahmoud Abbas, qui pourtant se représente. La première de leurs demandes, c’est la fin de la corruption. L’Autorité Palestinienne s’est retrouvée piégée des accords d’Oslo qui ont pérennisé l’occupation, la domination israélienne et marginalisé les Palestiniens. Elle est perçue comme complice de ce système. L’opposition existe. On s’attend à ce qu’il y ait des listes en dehors du Hamas et du Fatah. Des mouvements commencent à prendre corps, mais le tout reste très fragmenté. Surtout, la loi électorale est très discriminatoire. Pour être candidat, il faut avoir plus de 28 ans, récolter 10 000 dollars pour que la liste soit validée, et démissionner de son travail. Ça réduit la liste des candidats.
Ces élections peuvent-elles changer les choses ?
Si on voit ces élections comme une étape dans le processus de renouvellement de l’OLP, il faut le prendre comme une opportunité. Cela peut permettre de faire bouger les choses et de faire émerger des voix, des idées. Mais on risque plutôt de rester enfermé dans l’exercice nominal qui confirmera et consolidera le pouvoir des factions en présence. Tout ce système ne va pas tomber en trois mois. La démocratie ce n’est pas simplement mettre un bulletin dans l’urne. Il est illusoire de penser qu’on aura un renouvellement démocratique. Il y a un vrai travail à faire. Il s’agit d’instaurer l’environnement favorable au renouvellement de l’espace démocratique et politique. Et cela ne passe pas seulement par l’organisation d’une élection. La société actuelle a été poussée vers le consumérisme, ce qui a conduit à la démobilisation et à la dépolitisation d’une partie de la population. Il y a du scepticisme et du cynisme vis-à-vis de ces élections. Mais beaucoup de gens veulent prendre l’exercice comme une opportunité. D’autant plus que les moins de 30 ans n’ont jamais voté. Ils ont soif d’exercer leurs droits démocratiques.