« Depuis des années, la souffrance envahit notre quotidien et est souvent le résultat de différentes formes de pénuries : manque de nourriture, d’hygiène et de matériel médical, manque de carburant et de gaz. L’électricité n’est disponible qu’une heure par jour. La souffrance est notre pain quotidien en ces jours d’hiver. Comment les étudiants peuvent-ils apprendre dans ces conditions ? Comment peut-on prendre soin des malades ? Comment peut-on vivre dans cette Alep, alors qu’il fait si froid dans tous les coins de nos maisons à tel point que l’obscurité du désespoir pénètre les cœurs pleins de douleur et de désespoir ? »
Le récit du père Ibrahim Alsabagh, frère mineur syrien et curé de la communauté catholique latine d’Alep, est dramatique. En ce dixième hiver depuis le début de la guerre, les Syriens survivent dans les pires conditions. « Quel sens donner à dix ans de souffrance à cause de cette crise, qui peut durer encore des années ? », poursuit frère Ibrahim. « Chômage, hausse des prix et inflation : le coût de la vie augmente et le revenu des familles diminue. Ce n’est pas pour des raisons banales que beaucoup de nos femmes sont touchées par la dépression et souffrent de maladies cardiaques. De nombreux pères se sont suicidés par désespoir », écrit-il.
Au début de la guerre, il y a dix ans, la population de la Syrie était jeune, un Syrien sur trois avait moins de 14 ans. Les enfants et les jeunes sont les premières victimes de cette crise, comme le dénoncent les frères d’Alep : les adolescents ont grandi dans le conflit, ont été déplacés par millions, privés d’une éducation digne ; et les enfants n’ont pas la possibilité de se développer physiquement ou psychologiquement, en grandissant dans un climat de tristesse, d’insécurité et de manque de confiance.
La crise touche de plein fouet l’instruction car les parents ne sont pas en mesure d’acheter des fournitures scolaires pour leurs enfants et souvent, ils ne peuvent même pas obtenir de vêtements ou de chaussures pour les envoyer à l’école. « Une mère chanceuse, qui travaille, raconte frère Ibrahim, après avoir reçu son salaire, est allée avec sa fille acheter de nouvelles chaussures, car celles qu’elle avait n’étaient plus utilisables. Elle a découvert qu’elles lui coûteraient les trois quarts de son salaire. Elles sont rentrées chez elles tristes et les mains vides ». Et ce n’est pas un cas isolé : il y a la mère qui n’a pas pu acheter de pantalon pour son fils, une autre qui n’a rien pour chauffer l’eau…
Joseph, un exemple d’attention
Alors que le coronavirus continue à se propager, il est de plus en plus difficile de se déplacer et le père Ibrahim ne peut pas retourner en Europe, comme il l’a fait tant de fois ces dernières années, pour témoigner et collecter des aides. Mais son engagement à prendre en charge les nombreux besoins ne s’arrête pas là.
La lettre du frère Ibrahim n’attire pas seulement l’attention de ceux qui oublient la Syrie ou qui ne s’intéressent qu’à la pandémie, mais propose également une réflexion spirituelle. Les franciscains veulent s’inspirer de saint Joseph et de la « culture du soin » qu’il représente. Joseph est un exemple pour les frères des différentes paroisses. En suivant ses traces, ils cherchent des solutions qui les aident à faire face à la réalité. La lettre apostolique Patris corde, que le pape François a écrite, en cette année qu’il a consacrée au saint, est un souffle pour frère Ibrahim. « L’Evangile – écrit-il – nous montre que malgré toute adversité, Dieu a toujours un moyen de sauver la vie, à condition d’utiliser le même courage créatif que le charpentier de Nazareth, qui a su transformer un problème en opportunité, en faisant toujours confiance à la Providence. »
« En tant qu’Eglise ici en Syrie, et surtout à Alep, nous avons le sentiment que Dieu nous a confié son peuple. Tout comme Dieu s’est confié à saint Joseph, en venant au monde et en assumant un état de grande faiblesse – en devenant celui qui a besoin que Joseph le défende, le protège, le soigne et l’élève. Le même enfant dira plus tard : “Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait”. (Mt 25, 40). Ainsi, toute personne dans le besoin, pauvre et souffrante est un « enfant » dont Joseph s’occupe encore ».
L’Église locale continue à fournir une aide matérielle : lait et couches, médicaments, fournitures scolaires, garderie d’enfants après l’école, distribution de vêtements et de combustible aux familles, soins aux malades et aux personnes handicapées, restauration de maisons délabrées, micro-projets économiques. Mais il y a aussi bien sûr un accompagnement spirituel pour les chrétiens qui ont besoin d’espérer.
>>> Projets visant à aider les communautés d’Alep et de Syrie <<<
« Toutes ces ténèbres et toutes les crises que nous avons connues ne dureront pas éternellement – conclut frère Ibrahim – mais seulement « pour un temps, deux temps et la moitié d’un temps », comme il est écrit dans l’Apocalypse (12, 14). Après tout, la lumière doit prévaloir. Nous savons que notre souffrance n’est pas éternelle, mais nous ne savons pas quand elle prendra fin ».
S’adressant aux nombreux amis qui ont apporté leur aide au fil des ans, il les définit comme « un reflet de la tendresse de Dieu et de Saint Joseph ». A Joseph, qui a pris la responsabilité de sa famille et n’a pas fui une expérience difficile, il a dédié les mots d’une prière : « Tu ne t’es jamais plaint, mais tu as toujours fait des gestes précis de confiance. Donne-nous le courage de l’amour, qui se manifeste par le don total de soi aux autres ».