Une opération contre le pillage d'anciens artéfacts des grottes du désert de Judée ont permis des découvertes vraiment exceptionnelles. Parmi elles, des dizaines de fragments d'un rouleau biblique du IIe siècle après J.-C.
Rarissime. « Pour la première fois depuis environ 60 ans, des fouilles archéologiques ont mis au jour des fragments d’un rouleau biblique », a annoncé l’Autorité des Antiquités d’Israël (AAI), dans un communiqué daté du 16 mars 2021. De fait, l’AAI qualifie d’« historique » la découverte d’une vingtaine de bouts de parchemins vieux de 1 900 ans. Les fouilles ont été effectuées lors d’une opération de sauvetage qui a débuté en 2017 et qui vise à empêcher le pillage des antiquités sur les falaises du désert de Judée. Jusqu’à présent, environ 80 kilomètres de grottes ont été étudiés, notamment à l’aide de drones pour accéder à des endroits particulièrement inaccessibles, a déclaré l’AAI.
Depuis la découverte des manuscrits de la mer Morte dans les grottes de Qumrân, il y a plus de 70 ans par des bergers bédouins, les grottes du désert de Judée sont la cible des pilleurs d’antiquités. Il faut dire que les 900 manuscrits de la mer Morte (IIIe siècle av. J.-C. et Ier siècle apr. J.-C), très bien conservés grâce aux conditions climatiques de la zone, sont considérés comme la plus importante découverte archéologique du XXe siècle car ils comprennent des textes de la Bible en hébreu, en araméen et en grec, mais aussi la plus ancienne version de l’Ancien Testament jamais trouvée.
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Les fragments ont été découverts dans la réserve de Nahal Hever, dans la « grotte de l’horreur », à environ 80 mètres sous le sommet d’une falaise, flanquée de gorges et accessibles uniquement en descendant la falaise abrupte. C’est là que des réfugiés juifs se sont cachés il y a près de 1 900 ans à la fin de la révolte de Bar Kokhba (132-135 ap. J.-C.), la seconde insurrection des juifs de la province de Judée contre l’Empire romain. Les bouts de parchemins sont écrits principalement par deux scribes, en grec. Et seul le nom de Dieu apparaît en écriture paléo-hébraïque, connue depuis l’époque du Premier Temple de Jérusalem, au Xe siècle av. J.-C.
En savoir plus sur l’histoire de la traduction en grec de la Bible
Les fragments contiennent des parties du Livre des 12 petits prophètes, incluant les livres de Zacharie et Nahum, a déclaré l’AAI. Les petits prophètes ont été appelés ainsi à cause de la petite taille de leurs livres par opposition à ceux plus longs des grands prophètes. Le quotidien israélien Haaretz estime qu’« il est probable que la nouvelle découverte soit une partie manquante d’un rouleau des petits prophètes découvert en 1952, qui comprend la prophétie de Michée sur la fin des temps et la montée d’un chef issu de Bethléem. »
C’est grâce à l’Unité des manuscrits de la mer Morte de l’AAI, qu’ont pu être reconstituées 11 lignes de texte. Ainsi la traduction grecque de Zacharie (8, 16-17) peut se lire comme suit : « Voici les choses que vous devez faire : Dites la vérité les uns aux autres, rendez une justice vraie et parfaite dans vos portes. Et n’inventez pas le mal les uns contre les autres, et n’aimez pas le parjure, car ce sont là des choses que je hais – déclare le Seigneur. » Sur un autre fragment, des versets du prophète Nahum (1, 5-6) ont pu aussi être déchiffrées : « Les montagnes tremblent à cause de Lui, Et les collines fondent. La terre se soulève devant Lui, Le monde et tous ceux qui l’habitent. Qui peut résister à sa colère ? Qui peut résister à sa fureur ? Sa colère se répand comme un feu, et les rochers se brisent à cause de Lui.»
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Les chercheurs ont remarqué des différences entre les fragments découverts et les textes massorétiques traditionnels, c’est-à-dire des textes reconnus comme faisant autorité au sein du judaïsme, produits par des docteurs juifs (appelés Massorètes), qui se donnèrent pour tâche de transmettre fidèlement la Bible dès les premiers siècles du christianisme jusqu’au Moyen-Age. « Ces différences peuvent nous en apprendre beaucoup sur la transmission du texte biblique jusqu’à l’époque de la révolte de Bar-Kokhba, en documentant les changements qui se sont produits au fil du temps jusqu’à ce que la version actuelle nous parvienne », énonce l’AAI dans son communiqué.
Comme le rapporte à l’AFP Oren Ableman, membre de l’Unité des manuscrits de la mer Morte de l’AAI : « Au lieu du mot ‘portes’, que l’on trouve dans tous les autres fragments, apparaît le mot ‘rues’ ». Des changements que « nous ne savons toujours pas entièrement expliquer », admet le chercheur. Un chose est sûre, c’est que cette nouvelle découverte « pourrait permettre d’approfondir l’histoire de la traduction en grec de la Bible », d’après Yosef Garfinkel, directeur de l’Institut archéologique de l’université hébraïque de Jérusalem, cité par la même agence de presse.
L’émotion encore vivante devant une enfant momifiée de 6 000 ans
De la même période, ont été également retrouvées des pièces de monnaies. Elles portent des symboles juifs typiques de l’époque de la révolte de Bar Kokhba comme la harpe et le palmier dattier. Les archéologues ont aussi mis la main sur des pointes de flèches et de lances, des morceaux de tissu, des sandales, et même des peignes à poux qui illustrent les objets de la vie quotidienne emportés par les juifs en fuite.
Autre découverte et changement d’époque. Les archéologues ont aussi retrouvé dans la même grotte un squelette vieux de 6 000 ans, daté au Carbone 14. D’après l’AAI, il s’agirait du corps d’un enfant, « probablement » de sexe féminin. Apparemment, l’enfant avait entre 6 et 12 ans. Son corps a été retrouvé, replié sur lui-même en position fœtale, tête et poitrine enveloppées dans une couverture pour un dernier sommeil. « En déplaçant deux pierres plates, nous avons découvert une fosse peu profonde creusée intentionnellement sous celles-ci, contenant [le] squelette », explique le préhistorien Ronit Lupu de l’AAI. « Il est évident, rajoute-t-il, que celui qui avait enterré l’enfant l’avait enveloppé et avait poussé les bords du tissu sous lui, tout comme un parent couvre son enfant dans une couverture. Un petit paquet de tissu était serré dans les mains de l’enfant ». En raison des conditions climatiques de la grotte, un processus de momification naturelle a eu lieu naturellement. « La peau, les tendons et même les cheveux étaient partiellement conservés, malgré le passage du temps », s’en est ému Ronit Lupu.
Le « plus ancien » panier du monde
Un autre objet mis au jour, quant à lui, dans les grottes de Muraba’at dans la réserve de Nahal Darga, a plongé les archéologues encore plus loin dans le temps : à la période néolithique. Il s’agit d’un grand panier tressé à partir de matériaux végétaux, sans doute des roseaux, vieux de 10 500 ans d’après le Carbone 14, soit environ 1 000 ans avant l’apparition des premiers récipients en poterie connus dans la région. « Pour autant que nous le sachions, il s’agit du plus ancien panier au monde qui ait été retrouvé complètement intact et son importance est donc immense », a déclaré l’AAI. Le panier a été retrouvé avec son couvercle et là encore les « températures élevées et l’aridité extrême de la région » ont permis sa très bonne conservation. Mais pour l’heure les archéologues ne savent pas à quoi il servait ni ce qui y était placé misant sur des « recherches futures sur une petite quantité de terre restant à l’intérieur ».