Terre Sainte Magazine accompagne votre confinement ! Parce qu’un peu de Jérusalem se cache partout en France, on vous raconte ce patrimoine souvent inconnu et actuellement inaccessible.
Ce n’est pas le hasard qui amène les passants dans la confidentielle boutique parisienne du luxueux Oscar de la Renta. Si c’est souvent l’achat d’une robe de soirée griffée de la maison de haute-couture, c’est aussi l’envie d’admirer le trésor qu’elle recèle : une toile monumentale représentant une visite officielle dans la Jérusalem du XVIIe siècle. Majestueuse, elle trône, au milieu des robes de soirées, dans le showroom du premier étage, encore tout auréolée du mystère de sa découverte, il y a tout juste deux ans.
Été 2018. Les travaux vont bon train dans un bel hôtel particulier de la rue de Marignan, perpendiculaire à la très chic avenue Montaigne, en plein quartier de la mode. Les ouvriers s’attaquent au plafond suspendu de ce qui était l’ancien open-space d’une maison de courtage d’assurance. L’architecte l’a jugé sans âme. Il doit être démoli.
Les délais sont serrés. Alex Bolen, le patron de la maison de haute-couture américaine Oscar de la Renta, compte bien ouvrir sa boutique parisienne d’ici janvier. Tout doit être prêt pour la saison des défilés. C’était sans compter sur un événement inattendu.
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À mesure que les morceaux du faux plafond s’écrasent sur le sol, de curieux assemblages de bois sombre se dévoilent. Bientôt, c’est tout un ensemble lambrissé qui refait surface : 29 caissons parsemés de différents sceaux héraldiques, et un diamant central. La découverte étonne bien que, l’immeuble datant du XIXe siècle, elle ne soit pas si surprenante.
Dômes et minarets
Les choses deviennent véritablement intéressantes lorsque les ouvriers, en abattant un des murs latéraux, ont une nouvelle surprise. Un tableau, noirci et encrassé par le temps, apparaît derrière les débris. Ses dimensions laissent le chantier pantois. Avec ses 6m de long sur 3m de haut, la toile s’étale sur tout un mur. Malgré sa noirceur elle laisse transparaître quelques détails. Au premier plan, un rassemblement de personnages et de cavaliers habillés de fastueuses tenues. En guise de décor, une ville, ceinte de remparts, déploie ses dômes et ses minarets…
Les artisans du chantier réalisent l’ampleur de leur découverte. « Tout, dans cette mise au jour, est exceptionnel, s’extasie encore le restaurateur Benoît Janson, dont l’entreprise, Nouvelle Tendance, a été sélectionnée pour la rénovation de la toile et du plafond. C’est le genre de chose qui n’arrive jamais. En quarante ans de métier je n’avais jamais rien vécu de tel. »
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Arrivé d’urgence en France, Alex Bolen met le chantier en pause. Les deux experts qu’il mandate font une première estimation. Il s’agirait du portrait équestre d’un ambassadeur de Louis XIV, arrivant devant Jérusalem. Marouflée contre le mur, l’huile sur toile daterait de 1674 et n’est pas signée.
Dans l’univers du luxe, c’est à qui aura l’expérience-client la plus exceptionnelle et la plus authentique. Ce trésor, dont l’énigme semble tout droit sortie d’un roman de Dan Brown, donnera, sans l’ombre d’un doute, du cachet à son magasin. Alex Bolen négocie avec les propriétaires des murs. Oscar de la Renta prendra en charge les frais de restauration, en échange de la jouissance du tableau pendant au moins 10 ans. La petite équipe du restaurateur Benoît Janson peut se mettre au travail. Il faut ôter la crasse et alléger le vernis qui s’est oxydé. D’anciens repeints, grossiers et maladroits, sont supprimés et retravaillés. Six mois sont nécessaires afin que la toile retrouve son éclat d’antan. « On s’est régalés », savoure l’artisan.
Une série de quatre toiles
À mesure que la restauration avance, les interrogations se multiplient. Comment cette toile s’est-elle retrouvée collée au mur de cet immeuble parisien du 8e ? Quelle est son histoire ? Pourquoi a-t-on voulu la dissimuler derrière une cloison ? Qui en est l’auteur ? Une enquête d’Histoire de l’Art commence.
Les premiers indices mènent à Athènes dont le musée abrite une autre toile monumentale représentant le marquis de Nointel devant le Panthéon. Athènes, Jérusalem, Constantinople, Alep… Le périple du marquis de Nointel, ambassadeur de Louis XIV au Levant, est relaté dans l’ouvrage de l’historien Albert Vandal, paru en 1900 : “L’odyssée d’un Ambassadeur : Les voyages du marquis de Nointel, 1670-1680”. Chargé par le Roi-Soleil en 1673 de renouveler les Capitulations, ces textes qui régissent les relations commerciales et diplomatique du royaume avec l’Empire ottoman, Nointel a immortalisé ses aventures dans une série de toiles gigantesques.
La commande devait permettre de décorer la salle d’apparat de l’ambassade de France à Constantinople. “Nointel est un personnage excessif, baroque. Il dépense sans compter. Son seul souci est d’être le digne représentant de Louis XIV”, raconte Guy Meyer, historien spécialiste du monde gréco-romain qui s’est penché sur l’histoire de la toile.
Vandal en a recensé quatre. La première illustrait l’ambassadeur signant le renouvellement des Capitulations. L’une de ses missions était de négocier le retrait des orthodoxes au sein du Saint-Sépulcre à Jérusalem et de réaffirmer la liberté de culte des catholiques romains dans le lieu saint. L’entrée à Jérusalem est donc le sujet du deuxième tableau. “La représentation de la ville est très fidèle, souligne Guy Meyer qui énumère : le Dôme du Rocher, le mur des Lamentations, le Saint-Sépulcre, aucun lieu saint n’a été oublié.” Un élément a toutefois retenu son attention. “Au centre du tableau, on distingue trois femmes devant un petit monument. L’une d’entre elles porte un enfant. C’est en fait une espèce de légende réalisée par le peintre pour indiquer qu’il s’agit du tombeau de la Vierge. C’est assez inhabituel !”
La scène de Jérusalem était complétée par un troisième tableau illustrant la cérémonie du Feu sacré au Saint-Sépulcre. La représentation du marquis devant Athènes venait clore la série.
Dispersion, disparition et redécouverte
Roulés et ramenés à Paris en 1780, les tableaux ont longtemps orné le vestibule du Château de Bercy. La bâtisse, laissée à l’abandon, est détruite en 1861. Un marchand parisien les achète, noircis et détériorés par les outrages du temps et de la poussière. Un riche banquier belge, Hyppolite-Léopold Mosselman, résidant au 4 rue de Marignan, fait leur acquisition après restauration. Le hasard des héritages conduit à leur dispersion, puis leur disparition. Jusqu’en 2018, seule la vue d’Athènes avait été retrouvée. “C’est ce qui rend la découverte rue de Marignan si inespérée, se réjouit Guy Meyer, qui convient : ce ne sont pas des chefs-d’œuvre, mais leur valeur historique est extraordinaire.”
Alors pourquoi cacher le tableau ? Certaines hypothèses avançaient que Mosselman étant juif, il aurait voulu protéger son bien des spoliations nazies de la Seconde Guerre mondiale. Mais la temporalité ne colle pas. Guy Meyer a une explication plus rationnelle : “Telle qu’elle est marouflée, la toile est inamovible du mur où elle a été collée. Il est plus probable que les anciens propriétaires, lassés d’une décoration vieillotte et probablement dénuée de sens pour eux, ont fait construire cloisons et faux-plafond pour donner un coup de neuf à un appartement qui se transformait en bureaux.” Il est aujourd’hui impossible de dater ces changements.
Un autre mystère demeure : l’identité du peintre. Deux noms circulent : un certain Arnould de Vuez, artiste flamand, et Jacques Carrey, élève de Charles Lebrun, peintre du château de Versailles. “Vuez était en Italie au moment de la réalisation des toiles. Il est plus vraisemblable que ce soit Carrey. Cela expliquerait l’influence du style de Lebrun dans certains détails, comme les chevaux”, indique Guy Meyer. L’incertitude demeure. Aucune preuve tangible ne peut pour le moment corroborer cette thèse.
Si la boutique du couturier Oscar de la Renta n’est pas “un musée”, selon les mots de son actuel directeur, les vendeuses se transforment volontiers en guide pour les visiteurs curieux qui pourraient avoir entendu parler du tableau. “Il est trop unique pour ne pas en faire profiter tout le monde”, glisse l’une d’elles. L’adresse se cache dans ces lignes…